All delighted people

Gabriel avait eu un petit moment de blanc lorsqu'il était rentré chez lui ce soir et qu'il avait trouvé, dans la boîte aux lettres, un petit mot d'une voisine qui habitait plus haut sur le chemin. Elle avait son colis. Son colis. Ça lui avait pris quelques minutes pour se rappeler du fait qu'effectivement un soir d'ennui il avait fait un peu de shopping en ligne. Et il s'était raclé la gorge, tout seul dans le hall d'entrée, en se rappelant ce que le colis contenait. La femme du message disait qu'elle l'avait malencontreusement ouvert mais que rien ne manquait. Ah. Oui. En même temps il aurait mal pris qu'elle décide de s'accaparer ses culottes en dentelles ou son tanga en flanelle. Bon sang... Encore un peu et elle tombait sur une commande de gadget aussi intime qu'indécent qu'il avait faillit commander le même soir pour tromper les longues nuits d'hiver !

Bref.

A ce stade, Gabriel avait un peu hésité. Il venait de rentrer du taff et dehors le mauvais temps avait commencé à se lever. Il savait que dans le coin ça pouvait vite dégénérer, surtout que le quartier était proche du port et donc de la mer. Est-ce qu'il avait le temps de faire un crochet par chez cette voisine ? Le plus tôt serait sans doute le mieux histoire de tuer la honte un peu dans l’œuf ! Et puis de toute façon il était déjà trempé par la neige. Un peu plus ou un peu moins...

Le voilà donc qui fait demi-tour, cherchant dans sa tête ce qu'il allait dire à cette fameuse voisine. Elle avait signé « Aurora ». C'était joli. Ça lui rappelait ce conte remixe par Disney. La princesse qui se piquait le doigt sur l'aiguille d'un rouet. La version originelle était nettement plus trash que celle du dessin animé... Une princesse adolescente violée par son prince pendant son long sommeil... Qui accouchait de jumeaux qui, en lui têtant le doigt, retiraient l'épine maudite, ce qui lui faisait reprendre conscience. Disons qu'il souhaitait à sa voisine de tenir plutôt du conte de Disney hein... !

Lorsqu'il frappe à sa porte, le vent s'est levé d'un coup. Il siffle et les quelques volets pas encore fermés des maisons alentours claquent de manière assez violentes. Lorsque la porte s'ouvre, Gabriel est déjà en train de grelotter et il l'entend à peine lui dire d'entrer rapidement, ne voyant que sa silhouette qui se pousse pour lui faire de la place. Une bonne âme !

Claquant brièvement des dents, Gabriel glapit presque, indigné :

« Mais c'est quoi ce temps ? Il y a 20 minutes il faisait presque beau ! »

Il exagérait un peu mais le temps était si changeant par ici... New-York pouvait être traître à ce niveau mais là, c'était du jamais vu pour Gabriel.

« Je m'appelle Gabriel. Vous avez reçu mon colis. »

D'une main il montre la note qu'il tenait encore. Le papier était à moitié collé à ses doigts par la neige et l'écriture avait tant bavé qu'on ne lisait plus que quelques mots ici ou là. Quant à Aurora, elle tenait effectivement beaucoup de la princesse Disney finalement. Elle n'était pas grande... Mais elle n'était pas petite non plus. A peu de choses près ils devaient faire la même taille finalement et à bien y regarder, puisqu'il était un homme, c'est lui qui était petit cette fois... En tout cas elle était belle, blonde comme un champs de blé avec de beaux yeux vert comme la mousse des arbres. Des lèvres fines en cœur, une silhouette menue... Oui vraiment : elle était belle.

« Désolé, si j'avais su j'aurais attendu demain... »

Parce que là il ne se voyait pas vraiment faire demi-tour. Ce qui était un peu gênant puisqu'il devait encore récupérer ses sous-vêtements ! Néanmoins, parce qu'il préférait avoir un peu honte que de se transformer en congère en rentrant chez lui :

« Ça vous ennuis si j'attends quelques minutes au moins ? Juste que ça se calme un petit peu. Je suis venu à pieds. »

C'était quoi ? 10 ou 15 minutes de marche. Mais dans ce blizzard...

J’avais reçu par erreur un colis à mon domicile. Attendant moi-même une commande que j’avais effectuée quelques jours plus tôt, je n’avais pas pris la peine de vérifier que le paquet m’était bien adressé. Le carton étant neutre et dépourvu de marque, aucun indicateur ne m’aurait permis de savoir que ce qui se trouvait à l’intérieur n’étaient pas mes produits de beauté. Avec une confiance aveugle j’avais ouvert le paquet, enlever le papier kraft qui emballait le trésor et … mon geste s’arrêta lorsque – surprise – je me rendis compte ce que je tenais en main n’était pas du tout une solution d’hydratation. Non ce que je tenais dans ma main était pourvu de tissu et semblait être des sous-vêtements féminins.

Le rouge me monta aux joues, un peu honteuse de m’être invité sans prévenir dans l’intimité d’une inconnue. Mes yeux parcoururent le nom apposé sur le carton du colis. Gabriel Medina. L’adresse était proche de chez moi, c’était une rue que j’avais l’habitude prendre. Je m’en souvenais bien car sur le panneau indiquant la rue quelqu’un avait collé un sticker de homard mangeant un burger. Le facteur avait dû s’emmêler les pinceaux en postant le colis. Je pris mon manteau, ma paire de gant, enfilai mes chaussures et me rendis à l’adresse indiquée. Malheureusement, personne ne répondit. Je laissai un mot sur le perron de la porte, espérant que le mot ne glisse pas et disparaisse, laissant cette personne dans une attente interminable concernant son colis.

De retour chez moi, je posai le paquet sur ma table. Comme s’il contenait une bombe sur le point d’exploser, je gardai mes distances jusqu’à la fin de la journée. C’est alors qu’au moment où je lançai une énième partie de Mario Kart, j’entendis frapper à ma porte d’entrée. Je remis mon gilet correctement et quittai la partie en cours. Tant pis pour mes stats ! J’ouvris ensuite ma porte et découvris un homme, inconnu. Un vent glacial me provoqua un frisson le long de ma nuque. Quel temps ! J’esquissai un sourire lorsque mon le jeune homme en face de moi s’exclama à propos du temps. Il se présenta et je réalisai à qui j’avais à faire.

« Aurora ! Vous êtes au bon endroit. »

Je sentis mon cœur s’emballer légèrement dans ma poitrine, réactivant la gêne quand au faite d’avoir vu ce que contenait le paquet. C’était d’autant plus gênant que Gabriel semblait être UN Gabriel et non UNE Gabriel … J’étais ouverte d’esprit et chacun pouvait bien porter ce qu’il voulait tant qu’il se sentait bien mais … je devais bien avouer que j’étais un peu décontenancée.

« Entrez, entrez. Je m’en voudrais s’il vous arrivait quelque chose sur le chemin du retour. Je pense que ça va passer d’ici quelques minutes. »

J’avais vu beaucoup trop d’épisodes d’esprit criminel pour ne pas espérer un court instant que cette rencontre n’était pas un traquenard d’un psychopathe … Je me raclai la gorge légèrement et chassai cette pensée de ma tête. On dit que les apparences peuvent être trompeuses mais ce jeune homme ne semblait pas être dangereux.

« Je peux vous offrir un café, un chocolat ou du thé ? Je pense qu’en dédommagement c’est le moindre que je puisse faire. »

Je l’emmenai vers mon petit salon. Mon appartement n’était pas très grand mais j’avais essayé tant bien que mal de le rendre cosy. Une ambiance cocooning, inspiration scandinave, avec quelques plantes vertes ici et là. Je pointa du doigt le colis posé sur ma petite table de salon.

« Excusez-moi encore pour le paquet … je voulais pas … »

Je détournai le regard, un peu honteuse, et sortis deux tasses dans lesquelles mettre nos boissons chaudes. Gabriel semblait bien moins embêté que moi par la situation.

Elle lui confirme qu’il est au bon endroit et… C’est déjà un bon début. Gabriel n’avait même pas songé au fait qu’il aurait pu s’être planté de maison. A ce stade, son niveau de poisse aurait crevé le plafond ! Quoi qu’il en soit, il perçoit le subtil malaise chez sa voisine. Enfin… « malaise » n’était peut-être pas le mot le plus adéquat. Disons son embarras. Et ça lui rappelle qu’au-delà de la météo et du colis, la jeune femme a OUVERT le fameux colis. Il rosit très légèrement de son côté mais peut remercier son teint de sable de camoufler un peu la chose.

Il ne dit rien, tapant un peu ses pieds sur le paillasson de l’entrée pour bien décroché la neige de ses chaussures. Mais puisqu’elle l’invite finalement à entrer complètement, il se permet de les enlever pour de bon histoire de ne pas mettre de l’eau partout chez elle. Gabriel se défait aussi de son manteau, l’accrochant dans l’entrée.

« Quelques minutes… Je me doute que vous avez raison mais j’ai du mal à le croire. »

Si changeant et si vite… C’était à vous donner le tournis ! Aurora le détail un peu et il ne peut pas vraiment le lui reprocher : il a fait pareil. Gabriel avait néanmoins conscience d’être un homme inconnu chez une femme… Et il se sent un peu mal à l’aise de réaliser qu’il pourrait avoir l’air moindrement inquiétant.

« Encore désolé… J’aurais vraiment dû réfléchir. Je m’invite chez vous alors que vous êtes tranquille… Vous êtes sûre que ça ne vous dérange pas ? Je peux repartir quand même si vous voulez. »

Il n’allait pas s’envoler ni crever d’hypothermie avant d’arriver chez lui hein. Ce ne serait pas un moment agréable à passer mais il n’avait pas envie que la jeune femme soit stressée durant tout ce temps. Déjà qu’elle devait s’imaginer des TAS de choses avec cette histoire de colis. Les gens étaient rarement familiers avec la lingerie masculine ! Et Gabriel ne pouvait pas vraiment le leur reprocher : lui aussi l’avait découvert sur le tard.

Elle semble néanmoins bien décidée à lui prouver les lois de l’hospitalité locale et Gabriel esquisse un petit sourire.

« Un thé je ne dis pas non s’il vous plaît. Et vous ne me devez aucun dédommagement. »

Il soupire, supposant :

« J’ai emménagé depuis peu. Je suppose que ça n’a pas aidé le facteur. »

Qui avait malgré tout dû être assez distrait mais bon. Il n’allait pas venger son relatif embarras sur son dos. Gabriel suit son hôtesse jusque dans un petit salon chaleureux, confortable… Et son regard tombe d’abord sur son paquet lorsqu’elle le lui indique ! Blonde comme elle l’était, elle avait le teint pâle qui allait avec et ses joues s’étaient empourprées d’une jolie manière. Paradoxalement, ça détend Gabriel qui plaisante :

« Première fois que je me lance pour acheter ce genre d’article sur un site de lingerie pour homme et il faut que ça arrive. »

Ça aurait pu être pire à ce stade mais c’était déjà un joli level de poisse.

« Je crois que je suis maudit ou quelque chose comme ça. »

Il repousse un pan du carton pour voir l’intérieur… Avant de le refermer. Il était quand même content malgré la situation ubuesque et il avait quand même hâte de mieux découvrir ses achats une fois rentré chez lui ! Avec amusement, il songeait aussi au fait que c’était peut-être la dernière fois qu’une femme voyait ses sous-vêtements !

Par contre son regard est ensuite attiré par la télévision. C’était facile en même temps parce que malgré le son bas, il avait largement reconnu le thème hein ! A l’écran, la voiture était à l’arrêt et, l’instant d’après, la course se terminait, indiquant les scores et le classement.

« Ah mince ! Je t’ai fait rater ta course ?? »

Il jouait lui aussi ! C’était une activité facile même lorsqu’on était tout seul !

« Tu joues quel personnage ? J’adore prendre Toad et Toadette ! »

Avec ses petites tresses roses !

« J’ai le jeu à la maison. Mais depuis pas très longtemps. J’en suis encore à essayer de rester en vie sur la rainbow road… ! »

Et puis réalisant que dans la petite euphorie du moment il l'avait tutoyé :

« Ca t'ennui le tutoiement ? »

J’observai Gabriel qui se tenait devant ma porte. Surprise de découvrir que le paquet appartenait à un homme et non à une femme comme j’avais pu le supposer. Je me trouvais embrassé par ce jugement hâtif, biaisé par mes propres représentations de qui pouvait bien porter de tels sous-vêtements, mais aussi parce que tout simplement je faisais face à un homme. Et peu importe le type de petite culotte que j’aurais pu trouver, je serais dans une position inconfortable.

L’homme me demanda l’hospitalité le temps que la tempête passe. Je ne pouvais pas le lui refuser, le laisser retourner dehors par ce temps serait peu empathique. J’acceptai sans aucune hésitation. Gabriel me dit qu’il pouvait tout de même repartir si sa présente était dérangeante. Je secouai la tête négativement. A la place je lui proposai de lui servir une boisson chaude et il accepta de prendre un thé. J’en fis de même pour moi. J’étais friande de thé et surtout lorsque le temps à l’extérieur était froid et morose. Je lui indiquais que son paquet était posé sur la table, les joues sans doute légèrement rougies par le malaise intérieur que je ressentais. J’esquissai un sourire amusé quand à sa précision sur son achat et sur le fait qu’il devait être maudit.

« Les commères de mon immeuble avaient l’air de dire ce matin que notre facteur venait de se faire quitter par sa compagne. Alors je pense que ça ne doit pas aider à garder les idées claires au travail. Je pense que ça, plus votre nouvelle adresse ça à du l’emmêler dans ses livraisons. »

Je haussai les épaules légèrement tout en ramenant la boite de petits sachets de thé sur la table de mon petit salon. C’est alors que Gabriel remarqua ma partie de Mario Kart qui était en cours sur mon poste de télévision. Il se mit à me tutoyer, sans doute pour briser un peu plus la glace. Ca ne me dérangeait pas, au contraire. Cela rendait les choses un peu moins formels et plus amicales.

«Oh c’est pas grave, j’en ferais d’autres. Je joue pas forcément pour le classement mais plus pour passer le temps. »

La bouilloire bipa et je m’empressai d’aller récupérer les tasses avec l’eau chaude. D’un signe de main je lui fis comprendre qu’il pouvait se servir dans la boite de thé et choisir ce qui lui conviendrait.

« J’ai pas vraiment de personnage préféré, mais j’avoue que j’ai une petite préférence pour Peach ou Daisy ! Mais j’approuve le choix de Toad et Toadette ! » Je m’assis sur le canapé et pris un sachet de thé que je fis tomber dans l’eau chaude contenu par ma tasse. « La Rainbow est vraiment difficile. J’arrive à la finir facilement en 50 ou 100cc mais au-delà ça se complexifie ! »

Il me demanda si le faite de me tutoyer était dérangeant pour moi. D’un signe de tête je lui signifiai que non.

« Pas du tout. Je t’avoue que je préfère aussi. Je me sens prendre quelques dizaines d’années de trop quand on me vouvoie. »

Je lâchai un petit rire amusé. Je me sentais beaucoup plus détendue et le malaise quand au contenu du colis que j’avais ouvert par mégarde avait pratiquement disparut. Si j’avais eu un peu de cran je lui aurais demandé pourquoi acheter de tels sous-vêtements, curieuse de connaître les raisons. Mais je n’en fis rien. Au lieu de cela je lui tendis une manette avec un sourire.

« Une partie ? »

Tant qu’à être coincé ici le temps que la tempête se calme, autant le faire dans la bonne humeur et en s’amusant. On choisit respectivement nos personnages et nos véhicules, puis je mis une course en aléatoire. J’aimais bien laisser le jeu décider pour moi.

« Et donc … Tu disais que tu venais d’emménager à Bar Harbor. Je peux te demander ce qui t’amène par ici ? Le travail peut-être ? »

J’essayais de faire la conversation pour ne pas laisser un blanc pesant s’installer entre nous, la musique du jeu en fond. C’était une question des plus basique, il n’était pas obligé de répondre s’il ne le souhaitait pas ou même rester vague. Je ne m’en offusquerais pas.

Possible que le facteur ait été distrait oui. Ça arrivait vite ! Il suffisait de pas grand chose. Un désordre sentimental oui peut être bien. Ou bien une mauvaise nouvelle. Même une bonne nouvelle parfois ! Gabriel était un peu contrarié mais pas réellement fâché pour autant. Disons que c'était une curieuse façon de faire la rencontre d'une voisine. Et dieu seul savait ce qu'elle imaginait à cet instant précis à son sujet ! Il faut dire que la lingerie pour homme n'était pas toujours très plébiscitée !

« Ça va, je ne lui en veux pas vraiment. J'ai de la chance que tu sois honnête. Certaines personnes auraient gardé le colis sans rien dire. »

Enfin... Évidemment là la nature du colis était un peu spéciale ! Mais Aurora ne semblait pas être de ces personnes qui s'enthousiasment devant un colis livré par erreur et le garde ni vu ni connu. Il était heureux de faire sa connaissance rien que pour ça presque !

« C'est déjà arrivé ce genre d'erreur à ta connaissance ? »

La pauvre si elle devenait la succursale des colis perdus hein ! Bref, le regard de Gabriel s'était posé sur le télévision pendant que son hôtesse disparaissait dans la cuisine, répondant à l'appel de la bouilloire. La suivant finalement, il se penche sur la boîte avec les nombreux sachets de thé, hésitant un long moment. Un sourire passe sur ses lèvres en voyant le thé au jasmin, qui lui rappel celui qu'il avait partagé avec Aaron il y a quelques jours de ça. Et finalement il jette son dévolu sur un très cliché mais très efficace thé vert à la menthe. Gabriel porte le sachet à ses narines pour en apprécier le parfum. Y avait rien de mieux que de sentir ce genre de choses. Et histoire de faire la conversation, tout en trempant le sachet dans sa tasse :

« Tu savais que les sachets de thé -de vrai thé, pas les thé « saveur quelque chose »- une fois utilisés tu peux les mettre dans ton congélateur et quelques heures plus tard, les appliquer sur tes paupières. C'est bon pour décongestionner les yeux fatigués. »

Petite astuce bien être et beauté au passage hein ! Mais de faire remarquer, amusé :

« Pas que tu sembles en avoir besoin, tu as une peau parfaite et de beaux yeux ! »

Ils en reviennent au salon et à la partie de Mario Kart qui poursuivant la rétrospective de la course perdue, affichant en filigrane le classement.

« Ah, je ne suis pas surpris que tu choisisses une princesse ! »

Ça le fait rire, parce que physiquement Peach avait quand même tout de la princesse Aurore non ?! Quant à la difficulté de la Rainbow road...

« Je crois que je passe plus de temps à tomber de la route qu'à rester dessus. Pourtant je suis pas si mauvais sur les autres. Depuis peu je sais même plutôt bien gérer les flammes bleues ! »

Et il était fier de le dire, un peu comme s'il avait accompli quelque chose de très difficile qui était pourtant un peu à la portée de n'importe quel jour un tant soit peu assidu ! En tout cas, Gabriel a un petit rire en venant souffler sur sa boisson chaude.

« Je pense que tu fais bien assez jeune pour qu'on ne s'imagine pas trop de choses... ! »

Mais ça l'arrangeait ce tutoiement. Il était plus à l'aise et ça donnait un caractère moins protocolaire à cette rencontre. D'ailleurs à ce sujet :

« Malgré les circonstances je suis heureux de faire ta connaissance. »

Il avait une nature très sociable qui aimait les rencontres et les échanges. Et même s'il avait déjà commencé à se faire un petit cercle d'amis, ce dernier était encore restreint. Aurora pouvait être un bel ajout si le courant passait bien des deux côtés. Et ça semble être le cas vu qu'elle lui propose de se joindre à elle le temps d'une partie ou deux !

« Allez ! »

Gabriel vient rapidement s’asseoir à même le sol pour être confortable, sa tasse près de lui alors qu'il vient sélectionner ses personnages fétiches et son kart. Quant à la question d'Aurora :

« Oui, c'est absolument ça. Avant je travaillais à New-York dans un cabinet d'avocat. Mais j'avais envie d'autre chose, de calme... Le cabinet Strand & Associés recrutait pour son ouverture pile au même moment. Je ne sais pas si tu les connais ? En tout cas je ne suis pas avocat, je suis secrétaire juridique. Je préfère préciser au cas où ! »

Parfois dans les petites villes tout le monde connaissait tout le monde disons !

« Et toi ? Tu es native de Bar Harbor ? C'est une très belle ville, j'ai hâte de voir à quoi elle ressemble au printemps ou à l'été. »

Puis parce qu'ils faisaient simplement la conversation :

« Et tu fais quoi dans la vie si je puis me permettre ? »

Ma gêne s’était quelque peu dissipée. Le fait de discuter avec mon nouveau voisin d’autre chose que son colis perdu, m’aidait à ne plus penser à ce que j’avais bien pu voir. Il me fit rire quand il me glissa que les sachets de thé pouvaient être congelés pour être réutilisés pour décongestionner les yeux fatigués. Gabriel se rattrapa pour m’assurer que je n’avais pas une tête fatiguée dans le cas où j’aurais pu mal percevoir l’information.

Apparemment nous avions une passion commune pour les jeux vidéo, ou au moins pour Mario Kart. Il me demanda quel personnage je préférais et quand je mentionnai mes deux préférés, il avoua ne pas être surpris de ma préférence. J’esquissai un sourire amusé. On parla ensuite d’un des circuits les plus difficiles en jeu, le rainbow road. Apparemment, il était tout autant en difficulté que moi sur cette course. Il faut dire que tous ces virages dans tous les sens n’étaient pas une mince affaire.

« Ça me fait plaisir aussi de faire ta connaissance, même si j’avoue que c’était une rencontre un peu gênante. » lui répondis-je.

Je lançai une partie tout en continuant la discussion entre nous. Tandis que nos thés s’infusaient et que nous attendions sur la ligne de départ, Gabriel me fit par de la raison de son emménagement à Bar Harbor. Tout droit venu de New York il avait eu une opportunité professionnelle ici dans un cabinet d’avocat en tant que secrétaire juridique. J’hochai la tête et il me retourna ma question, s’intéressant à ma personne.

« Après mes études à la fac j’ai travaillé un temps pour mon père. J’ai décidé de couper le cordon et de prendre mon envol on va dire. En vérité, j’ai un peu mis mon doigt au hasard sur la carte pour venir ici. J’avais besoin de changement. J’ai pas beaucoup d’attaches ici et ma famille me manque mais malgré tout je suis pas mécontente d’habiter dans cette ville. »

Je brodais l’histoire que je brodais à chaque fois. Ne pas donner trop de détails pour ne pas s’embourber dans des éléments qui pouvaient être contradictoires par la suite. Mais juste assez pour que cela n’amène pas le doute. Et puis c’était pas totalement faux. J’avais travaillé pour mon père et j’avais besoin d’un changement – d’identité notamment – après avoir vendu mon père au FBI. Mais tout ça je ne pouvais pas le dire.

« Je suis comptable en freelance. Pas le métier le plus passionnant du monde, mais j’aime plutôt bien ce job. »

Je profitai d’une ligne droite dans ma course pour retirer le sachet de thé de ma tasse avant de remettre les deux mains sur ma manette. J’avais loupé un virage et j’étais sixième du classement. Pas un très bon score mais je pouvais encore me rattraper.

« Et en quoi consiste le fait d’être secrétaire juridique ? Est-ce que cela implique un peu plus que de répondre au téléphone et faire suivre les appels ? Je suppose que tu dois avoir pas mal de notions en droit non ? »

Je ne connaissais absolument pas le domaine juridique. J’avais côtoyé des avocats de part ma situation mais je devais bien avouer que je ne m’étais pas intéressé à ce que chaque membre d’un cabinet pouvait bien faire.

« Oh put… punaise ! » me rattrapai-je dans mon juron. Il était impoli de jurer ainsi que la sorte devant quelqu’un que je venais de rencontrer. Je venais de me prendre une banane jetée par mon concurrent de devant qui était … « Oh mais c’est toi ! »

J’éclatai de rire. Il m’avait bien eu sur ce coup-là. J’avais encore perdu quelques places mais je ne me démoralisais pas. Je n’allais quand même pas me laisser avoir par mon propre invité non mais !

« Il faudra que je t’ajoute en ami, on pourra se faire quelques parties ensemble si tu veux. Tu me sembles être un adversaire assez coriace ! »

J’étais peut-être un peu entreprenante en lui demandant cela. On ne se connaissait pas, mais le feeling passait bien et puis c’est pas comme si je lui proposais un rencard. J’espérais qu’il ne verrait pas les choses comme cela. Quoi que … Après tout …

Gabriel avait eu une petite grimace à propos de cette rencontre gênante ! Elle l'était pour tous les deux mais sans doute encore un peu plus pour lui. Il aurait pu tenter de lui faire croire qu'il avait commandé ça pour sa copine... Mais même si Gabriel ne balançait pas sa sexualité sur tous les toits il n'en était pas non plus à l'étape du mensonge. Et puis il espérait qu'un jour ça choque moins peut être de voir un homme aimer la dentelle et ce genre de choses. On était en 2024, les mœurs changeaient tout doucement. Un jour peut être les personnes comme Aurora et lui ne seraient plus embarrassés par ce genre de choses parce que ce serait devenu banal.

« J'avoue. Et le pire c'est que j'aimerais me justifier mais je sens que la gêne sera juste PIRE. »

Il pouvait pas gagner ! Alors il a un petit soupire boudeur, rien de bien sérieux toutefois ! Il espérait juste qu'au delà de la bienveillance qui transpirait d'Aurora elle avait l'esprit ouvert et réellement bienveillant. En même temps si ce n'était pas le cas il serait probablement en train de remonter la rue avec son colis en pleine tempête de neige... !

Aurora lui parle un peu d'elle de sa voix douce mais décidée. Elle n'avait pas forcément l'air d'une femme de tête qui monte au créneaux si facilement... Mais elle avait de toute évidence de la suite dans les idées !

« Tu étais dans une grande ville alors avant ? »

Puisque ça la dépaysait tellement ? Ou peut être dans un état avec des températures moyennes beaucoup plus hautes à longueur d'année. La Californie par exemple. Par contre à propos de son boulot, Gabriel assure :

« Il en faut. Et quand je vois le nombre de clients que j'ai vu passer dans mon ancien cabinet pour des défauts de trésorerie... J'ai envie de te dire que les personnes comme toi sont d'une nécessité absolue ! »

Bien sûr il y en avait pour utiliser leurs compétences à mauvais escient, pour faire des montages financiers, des optimisations fiscales un peu douteuses... Mais avec Aurora on ne parlait pas de ça, si ? Ou alors elle était l'escroc la moins dépensière du monde vu son intérieur très tranquille et sans abus de richesse !

« Je fais le café et je ramène des cookies aussi. »

Gabriel éclate de rire, assurant rapidement :

« Je plaisante. Même si je le fais aussi et de bon coeur ! »

Et de confirmer de fait :

« J'ai fait des études de droit. Et j'ai un rôle très polyvalent. J'assure la vitrine du cabinet bien sûr avec l'accueil des clients, le téléphone et parfois même les mails. J'écoute la raison de leur venue et selon leur problème je les met en relation avec l'avocat qui traite le genre de soucis qui les amène. Si les avocats sont débordés je peux travailler avec eux à propos de leurs plaidoiries ou plus généralement de l'aspect constitutif des dossiers. »

Gabriel avait pas mal d'étiquettes. Il n'était spécialisé en rien et il n'avait pas les qualités ni l'expertise des avocats du cabinet... Mais il était là en soutient et c'était un post passionnant à ses yeux. Il faisait beaucoup de choses différentes et puis...

« Sans vouloir me vanter, j'ai une excellente mémoire. C'est vrai je t'assure. Je lis un truc une fois et hop, je l'oublie plus jamais ! »

Ça aidait ! Gabriel profite d'une seconde d'inattention de sa camarade pour lui envoyer une peau de banane ! Il n'osait pas espérer qu'elle fasse mouche et pourtant ! A nouveau il éclate de rire, plaisantant :

« Ah mais tous les coups sont per... »

Un éclair zèbre l'écran, son kart rétrécit dans un petit couinement et Gabriel fait une sacrée sortie de route en grimaçant.

« Karma... »

Mais il ne demandait pas mieux que cet ajout en ami. Aussi Gabriel acquiesce, vraiment volontaire.

« C'est ce dont j'avais le plus peur en arrivant ici. Les petites villes -même si Bar Harbor n'est plus à l'étape du village non plus- sont souvent tissées très serrées. J'avais peur de ne pas réussir à me faire une place. Je suis surpris d'y arriver si bien jusqu'à présent. J'aime le contact avec les gens et si je devais rester seul dans mon chez moi pendant des jours je crois que je deviendrais dingue... ! »

Du coup, curieux :

« Tu t'es fait beaucoup d'amis dans le coin ? »

Elle était douce, aimable, accueillante... Gabriel n'avait pas de mal à imaginer qu'elle aurait pu se faire des amis d'un simple claquement de doigts si elle l'avait voulu.

Je n’en dis pas trop sur ma vie passée. Je ne pouvais tout simplement pas donner des informations trop personnelles sous peine de mettre ma vie en danger. Je me disais que ce serait quand même incroyable si je me confiai à une seule personne et que cette info fuitait aux oreilles de ma famille. Mais comme on me l’avait répété à plusieurs reprises, il suffisait d’une seule personne pour compromettre ma sécurité. Quand Gabriel rebondis sur ce que je lui avais dit à mon propos, je me sentis à un peu mal à l’aise quand à la réponse à lui donner.

« J’ai vécu à Miami. » lui dis-je sans trop réfléchir.

C’est une ville que je connaissais parce que j’y avais passé beaucoup de mes vacances d’été. Alors s’il me questionnait à ce sujet je saurais y répondre sans trop de difficultés. Un demi-mensonge, ou une demie-vérité selon le point de vue.

Lorsque je le questionnai sur son rôle au sein du cabinet d’avocat dans lequel il travaillait, il me répondit dans un premier temps avec une blague sur le fait de faire le café et apporter des cookies. Cela me fit rire de bon cœur. Je sentais que le reste de ses attributions allaient arriver et ce fut bien le cas. Un rôle polyvalent dans lequel il semblait avoir du travail varié à effectuer. Il ajouta qu’il avait une excellente mémoire qui aidait également dans son travail.

« Ça doit être pratique si tu perds ton téléphone ! Tu dois avoir tous les numéros de téléphone dans ta tête. » plaisantai-je. « J’aurais l’impression d’avoir la tête qui exploserait au bout d’un moment. J’ai une petite mémoire, mon cerveau fait le tri régulièrement. Je vais souvent entendre, lire, voir quelque chose et si inconsciemment je juge que c’est pas important, pfiou aux oubliettes ! »

Mon cerveau était une vraie station de recyclage. Je pouvais presque entendre les rouages de la déchiqueteuse tourner… Gabriel me prit de court lors de la partie avec un coup un peu traître. Je fis semblant d’être contrariée le temps de quelques instants avant de me mettre à bondir légèrement sur le canapé quand le karma se retourna contre lui.

« Bien fait pour toi ! »

Je tournai la tête une fraction de seconde vers le jeune homme pour lui offrir un large sourire satisfait. Cela me permettait de regagner quelques places dans le classement. Je proposai à mon invité de pouvoir se refaire d’autres parties à l’occasion, en tout bien tout honneur, espérant qu’il ne comprenne pas autre chose de plus. Gabriel me confia qu’il avait eu des appréhensions lors de son installation. Il avait peur qu’une petite ville comme Bar Harbor ait du mal à lui faire une place au sein de sa communauté. Je ne pu m’empêcher de sourire quand il me dit avoir besoin d’être au contact du monde.

« Tu es bien le contraire de moi ! Si je pouvais rester enfermer chez moi durant des semaines, je le vivrais bien. J’aime voir du monde mais j’aime aussi beaucoup me retrouver avec moi-même, être au calme. »

J’étais d’une nature introvertie. Pendant longtemps, je me demandais pourquoi je n’étais pas comme d’autres filles de mon entourage qui ne pouvaient s’empêcher de faire la fête chaque soir, de s’entourer d’un tas de gens et de se sentir déprimer si on les interdisait de sortir. Je me trouvai étrange. Puis un jour j’ai accepté que j’étais comme ça et que ce n’était pas étrange. Depuis je le vivais plutôt bien, j’acceptais que j’avais une personnalité de pantouflarde.

« Pour le coup, non je n’ai pas beaucoup d’amis. Mais ça me va bien aussi ! Je me suis fait quelques connaissances en ville, d’ailleurs j’ai deux voisines hyper sympas qui m’ont prise un peu sous leurs ailes quand j’ai emménagé. J’ai aussi rencontré un garçon mais c’est un peu bizarre … On verra bien ! »

Mes pensées allèrent vers Luis pendant quelques secondes. Notre relation n’était pas clairement définie et après notre premier rencard j’étais encore plus perdue à son sujet.

« Tu as emménagé il y a combien de temps ? Je sais plus si tu l’as mentionné … ma petite tête … »

Je lâchai un rire moqueur envers moi-même. Je ne crois pas qu’il ait fournit cette information. La course prit fin. Je terminai quatrième. Dommage j’avais loupé le podium d’une place. Ce n’était que partie remise ! Je posai la manette sur la table et pris ma tasse de thé dans les mains. Instantanément je sentis la chaleur m’envahir. C’était agréable une petite boisson chaude.

Miami ! Gabriel n'y avait jamais mis les pieds. Mais il en avait forcément entendu parler hein ! Et il avait zieuté un certain nombre de séries ou de films qui prenaient place là bas !

« Je n'y suis jamais allé. C'est vrai qu'il y fait toujours chaud ? »

Et après un petit rire :

« Je suis Vénézuélien. M'adapter au climat New-yorkais ça a été ma première épreuve de force ! Le slang la seconde... ! »

Maintenant il se débrouillait bien et en même temps les années avaient passées. Sa bonne mémoire, son talent relationnel... Ça aidait à pratiquer beaucoup. Et dans l’apprentissage d'une langue, y avait pas de secret à part celui de la pratique.

Gabriel profite que son kart soit dans les choux pour venir aspirer avec un petit peu de bruit c'est vrai le dessus de son thé. Le goût et la chaleur se répandent vite, c'est agréable et le thé est de qualité. Pas qu'il s'y connaisse en mode expert mais Gabriel faisait la différence entre des thés disons « naturels » et des thés qui n'étaient que des « saveurs ». Ces derniers étaient moins cher, très fort en goût... Mais pas le « bon » goût. Pas celui qu'il recherchait en tout cas.

A propos du téléphone perdu ça le fait rire mais avec un petit air gouailleur, il demande :

« Tu veux me tester ? »

Il pouvait vraiment ! Dans l'ordre ou même dans le désordre. Ça ne lui semblait jamais vraiment extraordinaire parce que ça avait toujours été comme ça. Mais il avait finit par prendre conscience que ça restait une sorte de talent exceptionnel, même s'il avait choisit de ne pas en faire quelque chose d'incroyable finalement. On avait tous notre particularité. Gabriel était sûr que Aurora avait la sienne, sans savoir à quel point elle était encore plus extraordinaire !

« A une époque il m'est arrivé de me sentir encombré. De ne plus savoir si mes souvenirs étaient lointains ou plus récents. Parce qu'ils avaient tous le même parfum de fraîcheur dans ma tête. Maintenant ça va mieux. »

Aurora se moque gentiment de lui et ça fait rire Gabriel qui n'a pas pour autant dit son dernier mot.

« Le pire c'est que je suis sûr que toi et moi on met à l'amende l'IA habituellement et là à bavarder et se tirer dans les pattes, on va faire un score vraiment minable ! »

Quant au côté beaucoup plus introverti de sa camarade... Honnêtement ça se voyait un petit peu. Mais ça lui allait bien. Ça lui donnait une forme de candeur naturelle qu'il qualifierait bien de « touchante ».

« Je comprends. Il y a quelqu'un à mon travail qui est un peu comme ça. Un avocat. Pour ses affaires il s'impose des choses qui le brûlent complètement. J'ai beaucoup d'admiration pour ça, même si je ne souhaite à personne de devoir en arriver là. »

C'était difficile parfois de voir Jameson revenir épuisé d'un rendez-vous à l'extérieur. Mais ça le rendait fier. Et quelque part, lui aussi devait être fier.

« Si tu as trouvé le bon équilibre pour toi, pour être bien... C'est parfait. »

Par contre la jeune femme pique clairement sa curiosité et Gabriel met le jeu sur pause !

« Ah non ! Si tu commences à parler garçon il va falloir en dire plus que ça ! Tu m'as teasé, tu ne peux pas me laisser comme ça ! »

Il éclate de rire, précisant rapidement :

« Je suis arrivé à la fin du mois d'octobre l'année dernière. Pour l'instant je n'ai connu Bar Harbor que sous la neige. »

Puis malicieux :

« Ne change pas de sujet ! Qu'est-ce qu'il a de si bizarre ce garçon ? »

Et dans un nouveau petit rire :

« Il a fait livrer ses sous-vêtements sexy chez toi ? Ou c'est ma bizarrerie rien qu'à moi ? »

Gabriel avait rebondi sur le climat à Miami. J’avais hoché la tête avec un sourire amusé lorsqu’il s’était empressé de rajouter qu’il était Vénézuélien et que s’adapter au climat New-Yorkais avait été quelque chose. Sans doute avait-il vu la neige pour la première fois là-bas.

On continua notre course tandis qu’il me confia avoir une mémoire à toutes épreuves. Un avantage lorsqu’il s’agissait de se souvenir de numéros de téléphone lui avais-je dit en plaisantant. Mais je me demandais aussi si ce n’était pas trop intense de ne jamais avoir de données qui s’échappaient pour se perdre dans l’oubli. L’homme me confia qu’il fut un temps où cela l’avait beaucoup encombré de pas avoir ce ménage de fait. Aujourd’hui les choses étaient plus supportables.

« Je suppose que c’est une autre façon de travailler avec son cerveau. »

Je lui confiai ensuite un peu plus sur ma personne, lui disant que j’étais à l’opposé de lui. Trop attaché au confort de ma maison, d’être posée dans ma bulle, coupée des gens pour me retrouver avec moi-même. Gabriel glissa un mot au sujet de l’un de ses collègues.

« C’est ce qui est pas mal avec le fait d’être comptable, tu vois le client pour signer le contrat, faire le bilan, mais en dehors de ça tu es juste avec des chiffres dansants sur des livres de comptes ! Mais après, quand la passion est là, on est souvent prêt à quelques sacrifices pour réussir ce qu’on aime … Bons ou mauvais les sacrifices … »

Est-ce que j’avais choisi un job où j’étais volontairement loin des gens ? Peut-être. Mon travail au sein de l’entreprise familial avait été un peu différent, mais il y avait toujours eu ce côté seul avec soi-même durant une majorité du temps.

Gabriel avait cette capacité à rendre les échanges légers et agréables. Je me sentais à l’aise en sa compagnie, malgré la gêne du début. Tellement à l’aise que j’avais finis par évoquer Luis. Cette information ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd, bien au contraire. Je vis la curiosité de mon voisin piqué au vif et il pesta quand je changeai – en vain – de sujet. Je me mis à sourire un peu gênée.

« C’est pas qu’il est bizarre, mais … »

Gabriel me coupa pour plaisanter en demandant s’il avait fait livrer des sous-vêtements sexy chez moi ou si cette particularité lui appartenait. Je ne pu m’empêcher de me mettre à rire.

« Non, heureusement ! »

Je ne m’attendais pas à autant de dérision et pas à ce moment-là. Je sentis le rouge me colorer légèrement de nouveau les joues. Pour gagner quelques secondes, je saisis ma tasse de thé et but de nouveau une gorgée, savourant la chaleur apaisante du liquide.

« On s’est rencontrés sur Tinder. Je cherche pas forcément quelque chose de sérieux, je … » Je me raclai un peu la gorge, gênée par mes propos. « … J’avais juste besoin d’un peu de compagnie. Et je l’ai rencontré. Ça a matché dans tous les sens du terme. On s’est vus lors d’un rencard. Et bon, quand t’as un rencard Tinder, y a quand même de fortes probabilités que les choses finissent … » Un sourire gêné, un petit silence, un mouvement de la tête et je finis par lâcher l’information « … au lit, tu vois ? »

Je fis tourner ma tasse entre mes mains avant de la poser sur la table basse pour camoufler que mes gestes ne trahissent davantage mon inconfort à parler de cela. J’avais pas vraiment pour habitude de parler de mes sentiments mais encore moins à un nouveau voisin fraîchement rencontré.

« Et à la fin du rendez-vous on s’est juste quittés. Pas de baiser, pas de promesse de se revoir, ni même d’invitation à venir passer la nuit. Pourtant la soirée avait été … chaude ? »

Je me mis à rire à l’emploi de ce mot un peu direct. Mais comment résumé cette soirée que par ce terme ? La tension sexuelle avait été palpable. Alors je n’avais pas bien compris pourquoi il ne s’était rien passé.

« Donc … voilà pourquoi c’est bizarre. »

« Oui. Je ne connais que celle-là. Plus petit je ne comprenais pas pourquoi les gens ne retenaient pas les choses. Pour moi c'est vous qui étiez bizarres ! »

C'est un peu comme ces personnes qui étaient atteintes de synesthésie. Celles qui voyaient les lettres ou les chiffres avec des couleurs par exemple. Pour ces personnes là, tout le monde voyait aussi les sept de couleur violette et les deux en orange quoi. Et puis un jour, ils réalisaient que ce n'était pas le cas. Sacré choc. Et les daltoniens ? Au fond, qui pouvait réellement affirmer que ce n'était pas eux qui voyaient comme le corps humain l'avait prévu ? Peut-être que la normalité, ou ce qu'on appelait comme tel, n'était qu'un défaut fabriqué en série. Et si l'homosexualité avait été la norme, mère nature n'aurait-elle pas trouvé un autre chemin pour la procréation ? Mais là Gabriel partait un peu loin dans sa tête sans doute !

« Toi tu as l'impression de faire des sacrifices ? Pour ton métier je veux dire. »

Tout le monde en faisait certainement, plus ou moins consciemment et des sacrifices plus ou moins douloureux aussi. Lui avait quitté son pays puis sa ville d'accueil. Mais même si c'étaient de tous petits sacrifices, il y gagnait bien assez au change à son avis pour que l'impact soit très limité.

En tout cas, l'embarras qui plane un instant au dessus d'eux lorsque Gabriel se montre très curieux (peut-être un peu trop?) ne lui échappe pas. Pour autant, la belle Aurora semble déterminée tout de même à lui répondre ! Peut-être que c'était plus facile pour lui parce que contrairement à elle il était un extraverti. Ou peut être simplement qu'il avait dépassé le stade de l'embarras à partir du moment où il avait vu le carton de ses sous-vêtements en dentelle bien ouvert en venant le récupérer !

Un éclat de rire franchit ses lèvres alors qu'il avait fait preuve d'un peu d'autodérision et qu'elle lui avait répondu dans un éclat qui venait droit du cœur !

« Désolé, mieux vaut en rire qu'en pleurer hein ! De toute façon, c'est du tabou que naisse bien des incompréhension et des peurs. »

Gabriel n'était pas de ceux qui peuvent se résoudre à vivre cachés, même si paradoxalement il ne tenait pas toujours à trop parler de sa vie privée et de son homosexualité. Parfois les gens le supposait, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Ça ne le dérangeait pas. Mais il était rarement celui qui leur donnait des certitudes pour rien. Si ça devait venir dans une conversation, ça le faisait naturellement, point à la ligne.

Ça restait amusant et un peu surprenant d'apprendre qu'Aurora était plutôt épicurienne dans sa vie privée et intime. Il l'aurait bien imaginé se posant pour de bon dans une relation rendu confortable justement parce qu'elle avait des racines dans le passé, dans l'expérience de l'autre. Peut être que finalement, ça apportait un peu de piquant à son existence ? Il ne jugeait pas ça en tout cas.

« J'adore comment tu racontes avec des airs absolument pudiques quand tes mots ne le sont pas du tout... ! »

Il rit, ajoutant rapidement :

« Je ne le dis pas pour te mettre mal à l'aise ! Je trouve ça très mignon. »

Et c'était sincère ! Lui-même ne savait pas s'il aurait pu raconter les choses de cette façon... Mais peut être ! Ils ne se connaissaient peut être pas mais ils bavardaient tranquillement et comme de vieux amis quand même. Ça créait une atmosphère plutôt propice.

« Je vois. Mais du cou tu considères que toi aussi tu es bizarre ? »

Il l'avait demandé avec un petit sourire complice, précisant sa pensée :

« Vous avez tous les deux agis de la même façon finalement. »

Sans embrassades, sans au revoir, tout ça.

« Vous ne vous êtes pas reparlé depuis ? Tu aimerais le revoir ? »

Et de convenir :

« Je suis super intrusif. A tout moment tu m'envoies bouler évidemment. »

Face à la réparti et la spontanéité de Gabriel, je me sentais à la fois décontenancée et amusée. Ses réponses étaient tellement naturelles et pleines de vies, que je ne pouvais m’empêcher de suivre son énergie. Lorsqu’il me retourna la question du sacrifice, je restai un instant silencieuse, laissant mes pensées vagabonder. Je me surpris à me demander si le métier que j’exerçais était un sacrifice ou bien un choix délibéré. Je pense qu’il y avait un peu des deux étant donné ma situation personnelle.

« J’ai aspiré à autre chose que comptable freelance pendant un temps, mais des évènements m’ont conduit à ce job et même si je pouvais avoir quelques regrets, je ne suis pas pou autant malheureuse. J’aime vraiment mon boulot. »

Le sujet délicat de ma rencontre avec Luis me mit légèrement dans l’embarras. J’appréciai néanmoins le tact et la compréhension dont faisait preuve Gabriel en abordant la situation. Son rire franc et chaleureux dissipa ma gêne et je me lançai dans le récit de mes petites mésaventures si je puis dire. Je sentis mes joues s’empourprer lorsqu’il mentionna ma façon de raconter.

« Je suis pas très à l’aise lorsqu’il s’agit de m’ouvrir mais bon … il en est ce qu’il en est. J’ai une vie sexuelle, enfin … j’avais … j’espère toujours en avoir une … bref … »

Je me mis à rire nerveusement et secouai légèrement la tête pour chasser le bourbier dans lequel je commençai à mettre les pieds. La question de l’homme concernant ma relation avec Luis me fit hésiter un instant. Je ne savais pas si je comprenais bien sa question. Il se précisa et j’entamai une mini-réflexion intérieure.

« Il est vrai … j’aurais pu prendre les devants aussi … » dis-je doucement, pensive.

Une autre question arriva. Est-ce que j’aimerais le revoir ? Sans aucune hésitation, ma tête hocha positivement tandis que Gabriel s’excusa d’être un peu trop intrusif. Je portai ma tasse de thé à mes lèvres avec un sourire amusé.

« Non ne t’en fait pas ! Finalement tu apportes une autre dimension à cette rencontre dont j’avais pas forcément conscience. » Je m’enfonçai un peu plus dans le canapé. « Je suis pas très entreprenante et lui semblais l’être, alors je pensais qu’il aurait initié quelque chose tu vois. Finalement on s’est juste quittés et ça m’a fait me questionner sur … mon sex-appeal ? »

Je lâchai un petit rire timide. Je n’étais pas de celle qui se vantait d’être jolies. Non j’étais plutôt humble sur ce côté-là. Je savais que je pouvais plaire à certains hommes mais je manquai de confiance en moi et il m’en fallait peu pour me faire douter. C’est ce qui c’était passé.

« Et toi ? Il y a quelqu’un dans ta vie. Est-ce que j’oserais demander … quelqu’un à qui est dédié le paquet ? »

Je n’osais pas regarder Gabriel. J’étais un peu gênée d’évoquer le contenu du paquet, mais je trouvais cela drôle d’en plaisanter. C’est d’ailleurs lui qui avait commencé avec cela.

« Alors c’est tout ce qui compte. »

Gabriel ponctue sa phrase d’un petit sourire. Parfois le destin nous amenait dans des endroits inattendus, pour y faire des choses tout aussi inattendues. On pouvait mal vivre ces changements de temps en temps et puis d’autres fois, la transition se faisait bien. L’important c’était de ne pas vivre avec pour compagnon de chambre les remords et les regrets.

Un petit gloussement rieur franchit les lèvres de Gabriel lorsque Aurora lui « avoue » ne pas être très à l’aise quand venait le moment de s’ouvrir. Il n’allait pas la forcer à parler de toute façon et le fait qu’il pose des questions n’impliquait pas nécessairement qu’elle y réponde !

« Tu sais moi aussi j’ai mon jardin secret. Je ne cherche pas à te faire sortir brutalement de ta coquille si tu n’en as pas envie. »

Ça ne l’empêche pas de rire tandis qu’elle essaie visiblement de s’ouvrir sur le sujet du jour et après un petit hoquet rieur :

« Tu n’es pas au courant de si tu en as une ou pas ? Tu admettras que c’est original… ! »

Il voulait bien croire que c’était l’embarras qui lui faisait dire ce genre de choses. Ou peut être que ses pensées allaient trop vite pour qu’elle les attrape. Ça lui arrivait parfois aussi et ça lui faisait dire certaines stupidités qui lui donnait envie de se cogner la tête contre des murs.

« Je ne sais pas. On est dans une époque moderne où les femmes prennent parfois les devants. Mais je ne dis pas que ça aurait forcément changé grand-chose. »

Gabriel réfléchit avant de hausser les épaules :

« Ma philosophie, si elle t’intéresse, c’est de me dire que je préfère demander pardon que la permission. »

Alors… Gabriel lève une main pour préciser :

« Il n’est pas question de consentement sexuel là hein ! Ce que je voulais dire c’est que je préfère tenter les choses, même celles qui m’effraient… Et me prendre un stop… Plutôt que de passer à côté de l’occasion d’une vie. »

Ceci étant dit :

« Enfin je dis ça mais je suis incapable en ce moment de dire à la personne qui me plaît qu’elle me plaît, justement… ! »

C’était nouveau pour lui. Gabriel était plutôt un fonceur d’ordinaire. Il était peut-être simplement à une période de sa vie où il voulait « autre chose ».

« Alors je t’arrête, tu n’as pas à te questionner sur ton sex-appeal. Tu es une très belle jeune femme, avec la tête visiblement bien pleine. Peut être que ça n’a pas matché pour une raison moins évidente. Peut être que plus ou moins consciemment, vous vous êtes mutuellement dit que vous n’étiez pas fait pour cette relation, éphémère ou pas. »

Quant à lui, il éclate d’un rire joyeux alors qu’elle se met à le taquiner sur son colis ! Et avec malice il demande :

« Tu veux savoir si le contenu du paquet est pour quelqu’un d’autre que moi ? »

Et après réflexion :

« C’est pour moi. Mais je ne détesterais pas les mettre pour faire plaisir aux yeux de quelqu’un d’autre… ! »

Du coup :

« Je suis célibataire. Mais je viens d’arriver en ville alors je ne mets pas la charrue avant les bœufs tu comprends ? »

Gabriel l’avait déjà évoqué alors il reprend :

« J’ai des sentiments pour quelqu’un. Et soit ce n’est pas du tout réciproque soit c’est un aveugle devant mes appels de phare… ! »

Il soupire, toujours souriant malgré tout. Pas triste en tout cas !

« Tu ne m’as pas dit si tu voulais revoir ce type qui t’a fait douter de toi sans le vouloir ? »

J’écoutai les réflexions de Gabriel avec attention. Ses mots résonnaient avec une sincérité qui ne pouvait que me toucher. J’aimerais avoir un peu plus de courage quelque fois pour mettre en action sa philosophie de vie, sa capacité à prendre des risques même dans les moments où la peur prenait le dessus. Je n’étais pas très téméraire, mais j’essaye petit-à-petit de changer cela.

« C’est une belle façon de voir les choses. » répondis-je doucement, mon attention toujours à demi-plongée dans mes réflexions. « Il est vrai que prendre des risques c’est aussi s’éviter des regrets parfois. »

Gabriel se confia sur son dilemme personnel auquel il était confronté en ce moment-même. Un petit sourire compatissant se dessina sur mes lèvres. Lui aussi se laissait finalement guider un peu par ses appréhensions.

« Je suis certaine que le bon moment va arriver, un moment où tu te sentiras suffisamment en confiance pour le lui dire. Mais … parfois il faut aussi provoquer le moment … »

Je le taquinai en retournant ses propres conseils sur le fait de prendre les devants, d’oser dire les choses plutôt que de passer à côté. Je le questionnai si le paquet qui lui avait été livré était destiné à une occasion particulière, une personne spéciale. Il se mit à rire de bon cœur. L’homme me confia ne pas être conter l’idée de porter sa lingerie pour quelqu’un même s’il était pour le moment célibataire.

« Je comprends parfaitement ! Je suis un peu dans cet état d’esprit, c’est pour ça que Tinder est un bon moyen de ne pas être totalement seul tout en prenant le temps de s’installer convenablement à BH. »

Il m’avoua avoir des sentiments pour une personne. Seulement celle-ci ne semblait pas partagé ses sentiments ou bien ne semblait pas voir les signaux. Je grimaçai légèrement. Les relations humaines, les sentiments, une grande complexité de l’être humain.

« Peut-être que le paquet aurait dû être livré à son adresse par mégarde ! » Je lâchai un petit rire amusé. « Ça pourrait être une bonne solution pour lui mettre littéralement sous le nez ton intérêt pour lui ! »

Il rebondit ensuite en me questionnant sur mes envies de revoir Luis.

« C’est une super personne, j’aimerais beaucoup. Je crois que j’aimerais bien. Et je me promets d’être un plus directe la prochaine qu’on se voit ! Mais … de ton côté fais-en aussi de même ! »

Je pris ma tasse de thé et la termina en laissant un fond de liquide qui me semblait toujours trop fort pour que je puisse apprécier. Je regardai par la fenêtre. La tempête commença à se calmer doucement.

« J’ai hâte que la saison hivernale cesse. Le froid ne me déplait pas mais je préfère beaucoup plus le printemps. Quand la nature s’éveille et qu’on peut commencer à profiter des terrasses sans mettre de grosses doudounes. »

J’esquissai un sourire en me disant que j’essaierai de me trouver un petit endroit pour télétravailler au calme dès qu’il ferait plus beau. Je n’avais pas de bureau en tant que comptable freelance et c’est une chose qui ne me déplaisait pas. Je pouvais ainsi aller où je voulais, quand je voulais.

« Tu sais qu’apparemment les baleines ne nagent pas si loin de la côte ? Ce serait fou d’en apercevoir ! Je trouve que ce sont des animaux majestueux. »

J’avais pu apercevoir un phoque dans la baie il y a quelques temps. Je me disais que même si je n’avais pas choisi de venir à Bar Habor, cette ville n’était pas si mal pour recommencer une vie. J’avais de la chance d’être dans un cadre si merveilleux.

Oui, mais c’était parfois aussi la méthode parfaite pour foncer un peu dans le mur. Disons qu’il fallait un juste milieu et Gabriel n’était pas sûr qu’il existe une seule personne en ce bas monde qui puisse se vanter d’avoir toujours le bond choix au moment de se lancer dans quelque chose ou bien pas. Dans le fond, peut être que les joueurs compulsifs avaient un avantage sur les gens comme eux. Ils avaient l’habitude de tout parier et étaient des habitués des dés creux et des cartes truquées. La déception se gérait peut-être mieux.

« En tout cas, ça te donne des certitudes que tu n’aurais jamais eu si tu n’avais pas essayé. Ça peut s’avérer douloureux mais tu ne penses plus à « et si ? » au moins. »

Aurora y va de son propre conseil ensuite… Et il acquiesce, conscient qu’elle disait vrai. Il aimerait pouvoir le faire et si l’objet de toutes ses attentions avait été ouvertement gay, peut être que c’était ce qu’il aurait fait. Mais là ce n’était pas le cas alors Gabriel retenait une forme de pudeur. Parce qu’il ne souhaitait pas exhiber sa sexualité même s’il l’assumait. Un peu comme là il ne s’était pas ouvert sur le sujet avec Aurora même si elle devait se douter rien qu’aux sous-vêtements mais il ne ferait pas l’équilibriste pour le lui cacher non plus.

Quant à Tinder, ils avaient une approche assez différente des relations personnelles et/ou intime. Mais Gabriel savait que la façon de voir de Aurora était populaire. Et quand bien même ça n’aurait pas été le cas, ça ne lui aurait pas donné moins de légitimité.

« Je suppose que je suis un brin trop romantique pour Tinder ou ce genre d’appli… ! »

Ça l’amuse, le fait rire un peu entre deux gorgées de thé avant qu’il ne refroidisse pour de bon. Lui il aimait l’idée de trouver « la » bonne personne. Et ça ne lui manquait pas nécessaire de faire une « traversée du désert » en attendant. Ça ne voulait pas dire que ça ne lui manquait pas… ça signifiait juste qu’il n’était pas capable de ne pas s’impliquer émotionnellement.

« Même si je partais sur le principe de relations éphémères ou que je me disais que « ça peut arriver » j’aurais du mal à ne pas m’investir, espérer, m’attacher sentimentalement. Je suis fait comme ça. »

Et puis bon…

« En plus mon milieu, si on peut dire, est peuplé de personnes qui ne recherche que l’éphémère au sens le plus brut du terme, malheureusement. »

Il y avait plein de belles histoires d’hommes gay mais en général fallait pas se mentir : les hommes homosexuels sur ce genre d’application cherchaient surtout et presque exclusivement du sexe.

Gabriel a un éclat de rire léger, manquant de recracher son thé dans son mug lorsque Aurora suggère de faire livrer le colis chez son béguin.

« On travail ensemble. Si jamais mes sentiments ne sont pas partagés, il y aura soit un énorme malaise, soit toute la boîte sera au courant dans la foulée ! »

Alors il allait éviter une telle confrontation, même si l’idée en elle-même était plutôt drôle. Bref. Aurora décide de mettre en application les éléments de leur conversation. Gabriel lui souhaitait d’en avoir l’occasion, au moins pour être fixée. Quant à la météo :

« J’avoue que j’ai un peu hâte de voir autre chose que de la neige. C’est presque tout ce que j’ai eu depuis mon arrivée. Et puis bon, je suis vénézuélien alors je te prie de croire qu’il a fallut que je m’habitue, même à New-York. »

Qui n’était pas épargné par le froid et la neige à outrance. D’ailleurs celle-ci s’était de toute évidence pas mal apaisée à en croire ce qu’il en voyait pas la fenêtre.

« On dirait que ça se calme. Je vais sûrement pouvoir y aller. »

Mais avant ça :

« Je vais te laisser mon numéro de téléphone. Tu n’es pas obligée de l’utiliser mais si un jour tu veux sortir ou quoi… ça me ferait plaisir. On est voisin et je ne vois pas ce qui nous empêcherait de devenir amis aussi. »

Ce serait même très agréable ! Du coup, rebondissant sur ce qu’elle lui apprend :

« Sérieusement ? Il y a une période où on les voit mieux ? Ce serait la bonne occasion de sortir. J’ai un très bon ami qui a un bateau. Adam, il est pêcheur. Mais peut être qu’il acceptera de nous rapprocher des baleines pour les voir. Et ça lui plaira peut-être. Je lui demanderais si tu veux ! »