All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
T'es née un jour de pluie, Ava, le ciel triste, la mine grise, et pourtant, t'es arrivée dans ce monde tel un rayon de soleil. La bouche en cœur, la tête en fête, ça se voyait déjà que t'aimais la vie. T'as hurlé de toute tes forces comme pour signaler au monde entier que t'étais arrivée et que t'étais bien décidée à en profiter. T'as fait sourire ta mère, même si t'étais pas la première de ses trésors. La quatrième d'une grande fratrie, deux sœurs, un frère, rien que pour toi. De quoi te chérir, te gâter et t'aimer toujours plus.

Sauf qu'en grandissant, les sourires sur le visage de ta mère se sont fanés. Elle ne prenait pas le temps, il fallait travailler, toujours travailler. Seule la majorité du temps, les journées étaient longues. Heureusement, t'es née dans un foyer riche, alors il y avait toujours des gens pour s'occuper de toi, mais c'était pas pareil. Ton père était quasiment inexistant, à rentrer tard, partir tôt, s'évader en voyage d'affaires ou plus si affinités. A son retour, toujours le même manège. Des cris, avec tes sœurs, des cris, avec ton frère, des cris, avec ta mère.

A l'extérieur, il fallait faire semblant, sourire pour les photos et les mondanités. Car il n'y avait que ça finalement qui comptait à leurs yeux : l'apparence. Bien se faire voir, surtout ne rien leur laisser penser. T'étais spectatrice de tout ce monde sans savoir comment y trouver ta place. Tu détestais ces fêtes interminables avec tout le gratin de la ville, mais t'étais obligée d'y aller. Pour te montrer. Être le trophée de ta mère aussi peut-être. La petite dernière à qui tout semblait sourire.

Et puis, il y a eu ton petit frère. Le dernier. T'étais soudainement plus personne. T'es passée dans l'ombre comme un vieux chiffon qu'on finit par jeter par inutilité. Plus il grandissait, plus il te surpassait dans tout. Meilleur à l'école, meilleur en sport, meilleur en présentation. C'était son univers à lui, ce monde-là. Né pour ça, contrairement à toi qui ressentait toujours plus l'envie de vomir au sein de cette société pourrie de l'intérieur. A tous se jauger, se juger et se mépriser. Des amis sans en être. Des coups de poignards dans le dos, des sourires en face. Rien qui ne te faisait rêver, Ava.

Alors comme tous les adolescents de ce genre de milieu, t'as voulu te faire entendre, te faire remarquer autrement. T'as commencé soft avec quelques bêtises par-ci, par-là. Rien de bien méchant, juste de quoi énerver tes parents qui sentaient leur réputation se tâcher.

Et puis t'as perdu ton père. T'as vu ta mère chuter tout en essayant de garder la tête haute. La dernière étincelle qui brillait dans ses yeux, tu penses ne plus jamais l'avoir aperçue depuis. Un fantôme à la maison. En public, elle faisait semblant, comme toute ta fratrie d'ailleurs. Les apparences, toujours. Mais toi ça ne te convenait pas. On t'avait mise face à un avenir qui rendrait bien pour la famille. Des études de commerce, comme ton père, pour reprendre le flambeau alors que tu savais bien que toi, tu n'allais que te brûler.

T'as fait semblant, pour faire plaisir à ta mère, dans l'espoir d'apercevoir cette étincelle perdue dans ses yeux, pour ta fratrie aussi. Tu voulais pas être le petit canard des Lewis. Donc t'as porté ce masque pendant longtemps, trop longtemps.

Jusqu'à ce jour. T'avais quoi, Ava, dix-neuf ans ? Tu t'en souviens même pas, t'as préféré l'oublier, ce jour-là. Sauf que chaque fois que t'essaie de l'oublier, ça te revient en pleine gueule. T'étais tellement heureuse, vous étiez sorties avec ta meilleure amie Leah. Une soirée simple, pour rejoindre d'autres amis. Vous avez fait la fête, comme n'importe quel jeune aurait pu en rêver. Un moment hors du temps. Sauf que tout bonne chose à une fin, n'est-ce pas. Vous êtes rentrées les deux, pour la dernière fois.

T'as vite remarqué leur présence dans ton dos. Comme un jeu du chat et de la souris, ils vous suivaient. Au début, il y avait encore quelques passants, malgré l'heure tardive, donc ça allait. Et petit à petit, tout s'est terminé. T'as ressenti un truc au fond de toi. Comme une alarme. T'as serré sa main pour la faire accélérer jusqu'à arriver sur ce chemin où la lumière ne fonctionne pas toujours. Ce putain de chemin où tu n'es toujours pas capable de foutre les pieds aujourd'hui. T'as senti une main dans ton dos, pas la sienne à elle. Tu t'es retourné et depuis là, c'est comme si tout s'était déroulé comme dans un rêve, ou un cauchemar pour le coup. Tout s'est passé si vite. T'as vu deux hommes, et puis tout est devenu flou. On t'a attrapé, tu t'es débattue sans que ça ne suffise, t'as senti des mains où tu ne voulais pas en sentir. Et puis t'as crié, comme un animal en détresse, sauf que y'avait personne. T'as vu du coin de l'oeil Leah se débattre elle aussi, sauf que t'as vu aussi ce couteau se sortir de la poche de l'autre type. Et t'as fait un blackout.

Les jours ont passé sans que tu ne puisses cesser de pleurer. Tu comprenais pas ce qu'il t'arrivait, tu voulais pas croire ce qu'il venait de se passer. T'as entendu ta mère dire que ça ferait désordre, que les gens ne devaient pas savoir et une fois encore, t'as fermé les yeux. C'est plus tard, quand il y a eu une enquête pour meurtre que t'as repris petit à petit connaissance, que t'es revenue à la vie, même si ça faisait mal. T'as entendu ton frère te hurler de dire tout ce qu'il s'était passé dans les moindres détails, t'as entendu ta mère te susurrer de l'autre côté de ne pas parler de toi, pour ne pas entacher ta réputation. Ou plutôt la sienne.

Mais t'as préféré parler. Pour Leah. T'as suivi les conseils de ton frère et t'es allée au bout du procès. T'as vu le meurtrier de ta meilleure amie se faire juger coupable et ton bourreau à toi s'en sortir vis-à-vis de ton drame, bien que condamné pour complicité, parce que t'avais pas parlé assez tôt, que t'avais pas fait les analyses nécessaires et t'as eu mal, tellement mal.

Depuis ce jour, t'as dû faire le deuil de ta Leah tout en apprenant à te reconstruire. T'as eu du mal à voir ta mère en face et pourtant, tu l'as affronté pour un dernier caprice. Tu lui as annoncé vouloir quitter tes études pour devenir policière. Parce que t'en avais marre de voir la misère autour de toi sans pouvoir rien n'y faire.

Et tu t'es lancée malgré son désaccord. T'as entamé ta formation, tu l'as terminée et aujourd'hui, tu te sens enfin à une place qui te semble correcte après t'être engagée dans la police de Bar Harbor.