All delighted people

Eli ne pouvait nier : sa vie actuellement était parfaite. Il faisait le job de ses rêves, passait les nuits et les journées libres avec l'homme de ses rêves... Disons que ça faisait beaucoup de rêves pour un seul homme et qu'Eli mesurait sa chance. Sam, un jour, Eli allait le demander en mariage, rien n'était plus sûr que ça. Il ne le laisserait pas filer et s'il avait été du genre canaille il aurait envoyé un faire-part à Elena. Mais inutile. L'ex-femme de Samuel n'était officiellement plus dans leurs jambes depuis que le divorce avait été légalement prononcé alors... Pourquoi continuer de penser à elle ?

L'automne arrivait à grands pas. Les feuilles n'avaient pas encore changé de couleur à proprement parler mais on sentait de manière explicable que le changement s'opérait. La forêt devenait comme plus sombre, plus froide la nuit venue. Les feuilles bruissaient abondamment dans les cimes et les pluies de fin d'été et de début d'automne rendait à l'écorce son essence la plus sombre et son aspect suintant. En journée ça la faisait briller mais la nuit ça commençait à lui donner un petit air lugubre que les gamins des environs adoraient côtoyer pour jouer à se faire peur.

Par la radio qu'il avait à la ceinture, Eli restait attentif à ce qui se passait dans les environs. Mais il y avait assez peu de choses à rapporter visiblement. Le départ des touristes avait fait place nette dans les environs et les locaux avaient pour beaucoup un boulot qui les tenait occupé à cette heure-ci. Le boulot d'Eli, lorsqu'il n'accompagnait pas un chercheur, un sondeur ou quelque chose de ce genre là, c'était surtout de repérer les sentiers rendus impraticables par la météo ou les derniers événements. Éventuellement faire le ramassage des ordures puisque les touristes multipliaient ce genre d'incivilité... Ou faire disparaître les traces flagrantes laissés par les feux de camps que les campeurs n'avaient pas jugé utile de brouiller.

Bref. Le train-train habituel. Parfois Eli croisait un coureur ou un marcheur.Les températures étaient très douces, ne tombant dans la fraîcheur que plus tard en début de soirée. C'était agréable de se balader et ses deux colosses, Donald & Daisy, auraient pu en témoigner eux-même ! Sauf que si ces dernières minutes les deux animaux avaient surtout chahuté un peu ensemble, leur flair avait finalement sentit autre chose. Sur des sentiers non balisés, évidemment ! Eli connaît bien les lieux mais par précaution il vient jeter un œil à sa boussole avant de suivre les deux chiens. Ça ne servait à rien de se perdre à deux !

Le vent joue en la faveur de celui que les chiens ont sentit parce qu'ils suivent la piste d'assez loin finalement ! Et lorsqu'Eli arrive, il y a un petit moment de flottement inattendu. Clairement, il ne pensait pas retrouver une montagne recroquevillée sur elle-même et larmoyante, en débarquant sur ce énième petit sentier semblable à tous les autres !

« Monsieur... ? »

Eli n'approche pas immédiatement, analysant un peu la situation pour sa propre sécurité autant que celle de l'homme.

« Daisy, Donald. »

Les deux chiens obéissent directement au rappel pour revenir à sa hauteur, s'assoyant en attendant la suite des opérations, leurs yeux exercés posés sur l'homme encore au sol. Il ne semblait pas être un danger d'aucune sorte si ce n'était par sa taille et sa corpulence massive qui se comptait plus en muscles qu'en gras, à vue de nez.

« Monsieur ? Est-ce que vous êtes blessés quelque part ? »

Et d'ajouter, tout en posant son index sur l'insigne des Rangers sur sa poitrine :

« Je m'appelle Eli. Je suis garde forestier à l'Acadia Park. Je suis là pour vous aider. »

Servir, c'était une des devises de son corps de métier, comme pour la police ou quoi. En tout cas :

« Si vous n'êtes pas blessé vous devriez vous relever. Le sol est froid et humide, ça ne sert à rien de tomber malade. »

La situation est surprenante mais pour l'heure, Eli parle encore avec une relative douceur. Cet homme ne semblait pas vouloir lui sauter à la gorge alors pourquoi lui aurait-il moins bien parlé ?!

Il y a encore un moment de battement et de silence du côté d'Eli. Aucun danger ne semblait émaner de cet homme et pourtant il ne pouvait s'empêcher de se tenir en alerte tant la situation avait tout d'étrange. Jamais il n'avait vu un adulte réagir de cette façon. Ses chiens, eux, semblaient parfaitement calme et c'était ce qui permettait à Eli d'aborder la situation avec moins de crispation malgré tout. Quand venait le temps de flairer le danger il se fiait moins à son instinct qu'à celui de ses deux bouviers bernois.

Petit hochement de tête pour confirmer qu'il avait compris à propos des blessures. Et d'expliquer ensuite :

« Vous êtes sortis des sentiers balisés. C'est toujours dangereux de le faire. Ce sont des sentiers qui ne sont pas fréquenté et dont on vérifie la viabilité moins souvent. »

Vérifier les arbres tombés, les glissements de terrains éventuelles, les crevasses... La nature pouvait être blagueuse et traîtresse. Les gardes forestiers du Parc n'avaient clairement pas les effectifs de tout sécuriser en permanence.

« Vous êtes de Bar Harbor ? Ou bien vous êtes de passage ? »

Parfois les voyageurs n'aimaient pas le mot « touriste » même si c'était ce qu'ils étaient. Quoi qu'il en soit, s'il était du coin il allait devoir faire un rattrape à propos du balisage. D'ailleurs, indiquant la direction dont il venait :

« On va y aller oui. Quand on sera revenu sur le sentier je vous montrerais le balisage. »

Qu'il sache où le trouver et quoi en faire ! Et puis histoire de ne pas traîner et de le rassurer éventuellement :

« Une fois sur le sentier si vous craignez de vous perdre à nouveau on ira jusqu'à mon pick-up et je vous déposer à la sortir du parc en voiture. Par contre il faudra marcher un peu, et ce dans l'autre sens que celui de la ville. »

A lui de voir ce qu'il préférait faire même si dans cette situation, Eli aurait quelques scrupules à le laisser aller seul. Finalement, parce que l'homme ne lui avait pas rendu la politesse :

« Et vous êtes... ? »

Son prénom, son nom. Et histoire de cerner un peu mieux la situation :

« Vous êtes venu en forêt tout seul ? Ça fait combien de temps que vous êtes là ? »

Une chance qu'il souffre d'une légère déshydratation ou pas du tout ? Eli pouvait se tromper mais il ne lui voyait pas de sac qui aurait pu contenir une gourde, quelque chose à manger, un vêtement chaud. A ce sujet donc :

« Même si vous ne partez que pour une petite balade, c'est mieux de prendre quelques affaires avec vous. Mais je vous donnerais une brochure de prévention. J'en ai dans mon pick-up. »

Et s'ils n'allaient pas jusque là ensemble, il lui conseillerait vivement d'aller s'en chercher à l'office du tourisme ou quelque chose comme ça ! Eli siffle rapidement ses chiens en faisant un pas dans l'autre direction. Daisy et Donald repartent immédiatement dans la bonne direction, Eli se contentant de jeter un petit coup d’œil rapide à sa boussole, par acquis de conscience.

« Allons-y. Ce ne sera pas très long de retrouver un sentier balisé. »

« Que vous n'avez vu aucun... »

Eli s'interrompt, un peu surpris. Mais l'homme lui explique qu'il n'est là que depuis un mois et il acquiesce avec ce petit air de l'homme qui vient enfin de comprendre. Ou qui croit avoir compris en tout cas. Un nouveau en ville, probablement un citadin à l'origine. Il n'y avait pas de panneau dans une forêt comme on en aurait eu sur les autoroutes ou dans le centre ville. Ce n'était vrai que pour signaler l'entrée en forêt, certaines de ses sorties aussi selon où elles débouchaient. Pour le reste du temps, la signalisation qu'on trouvait ici -et partout ailleurs dans ce genre d'environnement- revêtait une autre figure. C'était normal de ne pas en être familier et même ceux qui l'étaient, parfois, s'emmêlaient un peu les pinceaux. Expliquer, répéter... Ça ne l'avait jamais ennuyé tant qu'on l'écoutait.

Ils prennent le chemin tranquillement et puisque l'homme venait d'arriver :

« Bar Harbor vous plaît pour le moment ? »

En tout cas :

« Pas de problèmes, je vais vous ramener. »

Ceci étant dit, parce que ça faisait partit de son job :

« C'est très imprudent de partir seul si vous n'êtes jamais allé en forêt et que votre sens de l'orientation laisse un peu à désirer. »

Et de suggérer :

« Via l'office du tourisme ou quelques associations en ville, vous pouvez trouver des groupes qui organisent des randonnées pour tous les niveaux, si ça vous tente de découvrir un peu le parc d'Acadia. »

Eli fait un pas de côté pour éviter une grosse souche tout en continuant d'écouter son voisin, acquiesçant à propos de cette « petite promenade ».

« Je suppose que ça dépend à qui on demande. Et que cette personne ne pensait pas que vous étiez novice peut être. Et que donc vous prendriez un chemin compliqué. »

En fait il y avait tout un tas de raisons pour lesquelles un habitant de Bar Harbor avait pu lui dire quelque chose dans ce genre tout en pensant sincèrement ce qu'il disait. Il y avait de très jolies balades à faire, plus ou moins longues, plus ou moins difficiles.

Eli se tourne juste assez pour rendre sa poignée de main à Leo.

« Moi aussi, enchanté. »

D'ailleurs :

« Un bon conseil, prévenez toujours quelqu'un que vous partez en forêt. Si cette personne ne vous vois pas revenir et qu'elle appel les secours, on ira à votre recherche. Et c'est important, de ce fait, que vous ne bougiez pas de votre position. »

Plus facile de retrouver un homme statique qu'un homme qui se déplaçait en même temps qu'eux. Autant qu'il ménage ses forces en plus. Par contre Eli se retourne avec les yeux tout rond lorsque Leo lui affirme qu'il pensait que le Parc était grand comme un jardin public...

« Mais... Le parc national recouvre presque entièrement l'île. Presque 200km² en comptant les espaces maritimes. La ville même est une infime partie de l'île et du parc. »

Clairement, Leo devait avoir mal compris son interlocuteur parce qu'aucun local n'aurait ne serait-ce que sous-entendu que le parc n'était pas si grand. Bref, il balaie l'air de la main en assurant :

« Ce serait dommage de rester sur un mauvais à priori. Essayez les promenades organisées, vous verrez. C'est un endroit exceptionnel. En plus l'automne arrive, les couleurs vont être splendides. »

Ils arrivent sur les bords du chemin, même s'ils en avaient encore pour un moment pour arriver au pick up. Il y a un embranchement à proximité, balisé celui-ci, et Eli vient pointer de son index des bandes de couleurs bien visibles peintes sur un arbre.

« Vous voyez ces bandes de couleurs ? Vous en trouverez à toutes les intersections. Elles sont soigneusement refaites régulièrement. Chaque couleur correspond à un itinéraire de randonnées, ils peuvent être différents selon ou vous allez mais ils se ressemblent un peu tous. A chaque entrée du parc vous pouvez vérifier à quoi elles correspondent sur le panneau d'entrée mais vous êtes débutant, gardez la blanche en tête. Si la couleur blanche va tout droit, vous suivez. Si elle tourne à droite, vous tournez à droite et ainsi de suite. Les randonnées font presque toujours une boucle. Ensuite certains randonneurs expérimentés font leurs propres trajets mais vous n'en êtes pas là. »

Autant faire simple au départ !