following the sun (w/salomea)
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Le soleil commence à baisser dans le ciel. Elle l’a bien vu, Nisa, depuis quelques jours déjà. C'est la fin de l’été, et bientôt, les touristes s’en iront, les enfants retourneront à l’école et tous reprendront le chemin du travail. La vie à Bar Harbor reprendra son cours, alors. Pour Nisa, cela ne change pas grand-chose. Elle a bien pris quelques congés, au début de l’été, qui lui semblent bien loin désormais. Puis elle est restée fidèle à elle-même, toujours à se concentrer sur le travail. Incapable de faire tourner sa vie autour d’autre chose. C'est qu’elle est passionnée, Nisa. C'est qu’il n’y a peut-être pas grand-chose d’autre qui l’intéresse. Elle n’a plus de grande histoire d’amour, elle n’a pas d’enfants, elle n’a pas réellement de loisirs. Elle pourrait facilement être heureuse en passant simplement le reste de sa vie à lire, avec le bruit de l’océan en fond, des vagues s’écrasant sur la plage. Quelque part, elle a un peu tout cela déjà, mais pas en même temps – elle a fait un métier-passion, qui lui mange peut-être un peu trop de temps sur sa vie personnelle, certes, mais elle a décidé presque d’y renoncer d’elle-même, de toute façon. Car après tout, à quoi bon ?
Elle ne pourrait pas aimer n’importe qui, sans doute même encore aujourd’hui.
Alors elle a fait son choix. S'est persuadée que tout était très bien comme cela.
Le soleil commence à baisser dans le ciel. Elle le voit de jour en jour.
D'ici quelques semaines, l’automne sera là déjà. Mais elle ne veut pas encore y penser, Nisa. À la place, elle a préféré aller se promener, du côté d’Otter Creek, un peu plus à l’écart du centre-ville. Comme elle le fait, quand elle arrive enfin à lâcher son pc. Ou ses bouquins. Ou à quitter simplement ses songes. Quoique, ses pensées divaguent même quand elle se balade dans les rues de Bar Harbor. Même quand elle voit les gens, les entend. Même quand elle évite un cycliste ou traverse au passage piéton. Elle est dans la lune, Nisa, fidèle à elle-même. Toujours à rêver, toujours à se perdre dans son imaginaire. Même adulte, elle n’a pas changé là-dessus, la brune.
Et puis, tout à coup, les neurones se reconnectent, l’esprit se réveille. C'est qu’elle a aperçu une silhouette familière. Une silhouette appréciée, d’une âme sympathique, devenue amie. Salomea. Elle ne s’attendait pas à la voir là, mais ne s’en plaint pas ; loin de là. « Hey ! » la salue-t-elle quand elle arrive à sa hauteur, son regard ayant croisé le sien quelques instants plus tôt. Instantanément, elle lui sourit, heureuse de cette rencontre fortuite. « Comment tu vas ? » C’était quand, la dernière fois ? Elle s’engloutit tellement dans le travail, qu’elle ne sait plus, Nisa. Le pire étant, qu’elles travaillent finalement dans le même domaine, toutes les deux. Cela explique peut-être leurs atomes crochus. « Toi aussi, tu as voulu profiter du soleil pour faire un tour ? » Peut-être ont-elles eu la même idée. C'est qu’elles se ressemblent, toutes les deux, en vérité. Pas pour rien qu’elles sont devenues amies. Se sont tout de suite entendues.
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Cela doit faire des heures qu’elle est assise sur cette chaise, qui commence à devenir inconfortable, ses yeux parcourant les nombreuses lignes, les nombreux mots écrits sur cette page blanche. Une page à la fois, une phrase à la fois, un mot à la fois. Des heures que son dos lui réclame un petit peu d’attention, des heures que Salomea ignore la douleur vive qui se fait sentir dans tout son corps. Tu as toujours été préoccupée par ton job, Salomea, il n’avait pas tort. Elle n’avait pas tort. Son job, son premier, et seul, enfant. Sa seule occupation réelle en dehors de ces quelques séances de boxe que Salomea s’offre une fois de temps en temps. Peut-être que c’est pour ça qu’elle se retrouve toute seule, aujourd’hui, Salomea parce qu’elle refuse de faire pause quand vient le temps de travailler.
Peut-être parce qu’elle retourne à ses vieilles habitudes.
Celle de se retrouver le nez plongé dans un bouquin, silencieuse. Comme l’adolescente qui a parcouru les couloirs du lycée sans prêter attention à ce qui se passe autour d’elle. Il doit bien y avoir une raison pour laquelle toutes ses relations se sont terminées du jour au lendemain ; la première parce que les sentiments ont disparu avec le passage du temps et la deuxième parce qu’elle était une simple porte de sortie d’une vie ordinaire, ennuyante. Une distraction l’espace de quelques heures, rien de plus. Alors, Salomea a fait ce qu’elle sait faire le mieux : se plonger le nez dans les pages blanches, en espérant y retrouver une échappatoire. Une minute de répit. Le temps de quelques heures. Des heures qui se transforment en heure puis le temps continue de passer, les paupières commencent à se faire lourde. À plusieurs reprises, ses doigts viennent se frotter les yeux. Une ligne de plus et j’arrête, la fausse promesse murmurée à soi-même. Ne s’arrête pas, continue toujours plus loin. Jamais satisfaite d’où elle s’arrête. Puis le ciel commence à perdre de sa brillance, les cris commencent à se faire de moins en moins entendre par la fenêtre de cet appartement loué. La ville grouille moins, les habitants, les visiteurs commençant à rentrer à la maison pour le repas. Salomea le saute.
Comme elle saute souvent les repas, dernièrement.
Finit toujours par grignoter à des heures impossibles de la nuit, souvent après avoir avalé quelques verres de vin. Ou une ou deux bières au pub de Bar Harbor. Bar Harbor, ville de son enfance. Là où tout a commencé et là où tout semble se finir pour Salomea. Le ciel continue de perdre de sa clarté et se décide, enfin, à se lever de sa chaise, s’étirant de tout son long. L’air qui règne dans l’appartement la dégoûte, elle se dégoûte elle-même. Salomea a besoin d’air frais, se retrouve à l’extérieur, la légère clarté qui l’aveugle, le geste est instinctif lorsque ses lunettes de soleil se positionnent sur son visage. Marcher lui semble être une bonne idée, une habitude perdue ; et ça lui fait déjà bien sur le coup. Esquive les gens qui arrivent dans sa direction, se fait le plus petit possible, regarde gauche droite, droite gauche avant de traverser une intersection. Nisa qui apparaît dans son champ de vision, léger geste de la main dans sa direction. À travers les vitres fumées, Salomea regarde Nisa arriver à sa hauteur et pour la première fois, il y a un mince sourire qui s’accroche à ses lèvres. « Hey Nisa. J’ai connu pire comme journée et toi ? » Ne prend pas la peine de camoufler sa réponse d’un mensonge, la vérité étant trop facile à émettre. « Soit ça ou mon teint qui brille dans la noirceur a eu raison de moi. » Si ça fait du sens, Salomea n’en sait trop rien. Words are hard quand on ne parle pas une journée entière sauf à soi-même. Mentalement. « J’étouffais à l’appartement et marcher quand il y a trop de gens est horrible, c’est le meilleur moment pour le faire et on dit que ça aide pour aérer la tête, ça vaut le coup d’essayer. » Pas trop de gens, juste assez pour ne pas avoir l’impression de marcher dans une ville fantôme.
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Cette vie, elle l’a choisie. À se partager entre Portland et Bar Harbor. À être dans la première la moitié de la semaine, la seconde chez elle. Parce qu’après tout, pourquoi pas ? Elle est seule, Nisa. Elle n’a personne dans sa vie, personne à aimer, personne à retrouver. Personne à l’attendre, personne pour râler sur ses absences, sa carrière trop prenante. Pourtant, celle-ci a eu raison de sa dernière histoire d’amour, de sa dernière relation sérieuse. Mais, finalement, si elle n’a pas cherché à trouver un arrangement, c’est qu’elle n’y tenait pas tant. C'est qu’il n’était pas le bon. Pas celui lui donnant envie de faire des efforts, de faire un choix aussi. C’est le boulot, en premier, toujours. Ce sera toujours le boulot, sauf si quelqu’un peut un jour le détrôner dans son cœur. Mais ce n’est pas gagné. Et c’est sa carrière qu’elle a choisie, avant même de la débuter. Ses études, d’abord, qu’elle a priorisées, quand ses parents à l’époque lui ont donné un ultimatum. Nélida ou les études. Mais pas l’un, et l’autre. Comme si c’était impossible, incompatible. Choisir Nélida, ce n’aurait pas été raisonnable. Ç'aurait été choisir l’instabilité, l’incertitude. Peut-être qu’elle n’aurait même pas pu faire d’études. Pas pu faire ce dont elle rêvait. À l’époque, alors, elle a choisi. Renoncé à l’amour pour la première fois de sa vie – mais il n’y a qu’avec Nélida, que cela lui a fait tant de mal.
Cette vie, elle l’a choisie. Parce qu’elle n’a pas les contraintes de l’amour, d’une relation sérieuse. Parce que cela lui permet d’exercer un métier qu’elle aime, tout en restant à proximité des Özen la moitié de la semaine. Ce ne sont pas de ses parents, dont elle veut rester proche, Nisa. C'est plutôt de ses sœurs, de son frère, sur lesquels elle veut encore veiller. Même s’ils sont grands, adultes, comme elle, désormais. Ils sont quand même importants, encore après tout ce temps. Mais ils ont leur vie, eux aussi, alors elle ne les voit pas tout le temps. Se retrouve souvent seule, comme maintenant. Mais c’est cette vie, qu’elle a choisie. Et elle ne le regrette.
Sauf peut-être un peu, quelques fois.
Au moins, elle est libre de faire ce qu’elle veut de son temps libre. Comme maintenant, alors qu’elle se balade, après sa journée de travail. Besoin de prendre l’air, de se changer les idées, de reposer son cerveau aussi. C'est agréable. Cela fait du bien, de marcher un peu. Et puis, c’est l’occasion de retomber sur une connaissance, devenue amie. Salomea. Elle ne pensait pas la trouver là. Mais il faut croire que le hasard fait bien les choses. Qu'outre la passion pour les bouquins, elles ont autre chose en commun. Aimer peut-être se promener par-là. Elle est contente de la voir, en tout cas. « Ça va. Je te souhaite que demain soit meilleur, alors. » Car, à sa réponse, elle peut en déduire que, si cela pourrait être pire, cela pourrait être aussi mieux. Mais il est encore trop tôt pour demander si elle veut en parler, et puis, elle ignore si Salomea a le temps de rester discuter. Elle lâche alors un rire, aux mots de son amie, quand elle lui demande si elle a elle aussi voulu profiter du soleil. « Je ne peux que comprendre. » Elle n’est pas sortie de la journée, pour sa part. C'est elle qui a choisi cette vie, elle ne s’en plaint pas le moins du monde. Elle a trouvé son organisation, en fonction. Les journées passées à travailler chez elle, elle se force toujours à sortir le soir, pour s’aérer. Voir du monde. « C’est vrai que c’est le meilleur moment. Au moins, c’est plus calme et on se marche pas dessus. » Elle n’aime pas non plus marcher, Nisa, quand il y a trop de monde. Elle n’aime pas, alors, aller dans les coins très touristiques en cette saison de Bar Harbor – au contraire, elle les évite. « J’espère que ça marche. Que ça t’aide à t’aérer l’esprit. Moi aussi, j’en avais bien besoin. » Elle lâche un petit soupir. Elle ressent la fatigue de cette journée, à avoir travaillé d’arrache-pied, sans avoir bougé, ni fait vraiment de pause. Quelque part, c’est traître, de bosser depuis chez soi. « Je peux me joindre à toi ? Si ça ne te dérange pas, je t’oblige pas, bien sûr. » dit-elle, sourire aux lèvres. Non, elle ne se vexera pas si Salomea décline, ou si elle prévoyait par exemple de rentrer chez elle. Pas son genre de s’imposer.
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