All delighted people

« Quand est-ce qu’il nous rejoint papa ? » Les yeux de Terry étaient perdus dans le paysage qui défilait par la fenêtre du taxi. Terry tenta de lui offrir un sourire chaleureux, mais il se dissipa avant même de prendre forme. « Pas pour l'instant, mon chéri. Il a énormément de travail en ce moment. » Elle mentait et cette simple vérité déformée pesait lourdement sur son cœur. Mentir à son fils était la dernière chose qu'elle désirait, mais elle se trouvait contrainte à cette douloureuse dissimulation. Tommy était bien trop sensible, bien trop vulnérable pour supporter la réalité de la séparation imminente de ses parents. Terry savait à quel point le chagrin avait laissé une cicatrice profonde en lui après la perte de sa grand-mère. Cette sensibilité, il la tenait certainement d'elle, bien qu'elle s'efforçât toujours de la dissimuler derrière une façade de maîtrise de soi. À l'arrière du taxi qui la conduisait vers la maison de son enfance, elle se sentait envahie par l'appréhension. Elle n'était toujours pas certaine que le retour à Bar Harbor après tant d'années fût une décision judicieuse, mais l'idée de demeurer à Boston, où chaque coin de rue lui rappelait des souvenirs de sa vie avec Matthew, était devenue insupportable.

Le chauffeur de taxi venait de déposer la dernière valise sur le trottoir. Elle le remercia d'un geste tout en lui tendant quelques dollars pour la course. Un regard en direction de la maison qui avait été la sienne il y a vingt ans maintenant. Des souvenirs affluèrent, un anniversaire de sa mère célébré en compagnie de son ex-mari, le dernier qu'ils avaient partagé tous ensemble. C'était avant que sa mère ne doive intégrer une maison de retraite, devenant incapable de s'occuper d'elle-même, avant que la mort ne la prenne moins d'un an après. Une vague de nostalgie la submergea tandis que Tommy lui pressait la main. « Maman, on y va ? » Son fils brisa la rêverie de Terry. Elle acquiesça d'un signe de tête avant de faire glisser les valises contenant les maigres affaires qu'elle avait emportées de son ancienne demeure. Elle sonna à la porte, espérant que Temperance soit présente. Elle n'avait pas pris la peine de la prévenir de son retour à Bar Harbor, une décision prise dans la précipitation. Lorsque la porte s'entrouvrit, une crinière blonde apparut, celle de sa petite sœur. Rien qu'à la vue de Temperance, le cœur de Terry se remplit d'un doux réconfort. « Tata ! » s'exclama Tommy avant de se précipiter dans les bras de sa tante. Un sourire éclaira le visage de Terry, même si elle ressentait toujours une pointe d'appréhension quant à la réaction de sa sœur. Lorsque Tommy finit par se dégager, Theresa caressa doucement la tête blonde de son fils. « Tu veux bien aller faire un tour dans le jardin, vérifie si la vieille balançoire de mamie est encore là. » Elle ignorait si Tempe avait entrepris de rénover le jardin, mais cela leur permettrait de discuter à l'abri des oreilles indiscrètes de Thomas. Une fois son fils s'éloignant, Theresa étreignit sa sœur avec une émotion palpable, bien qu'elle refusait de laisser les larmes s'échapper. « J'ai demandé le divorce. » lâcha-t-elle finalement, toujours tenant sa sœur contre elle. Elle finit par se reculer légèrement. « Je ne pouvais pas rester à Boston, alors je me suis dit que... » Elle s'interrompit, réalisant qu'elle aurait peut-être dû mûrement réfléchir avant de prendre cette décision impulsive de revenir ainsi.

Ecouteurs dans les oreilles, Tempe faisait son ménage tout en exécutant quelques pas de danse au passage. Cela faisait longtemps que cela ne lui était arrivé. Non pas de faire le ménage, mais de le faire en musique tout en dansant. A croire que finalement, ce retour aux sources à Bar Harbor n’était pas une si mauvaise idée que cela. Bon, idée un peu précipité par le testament de sa mère, soit… Certes, les débuts avaient été difficiles. Croiser Gabe, découvrir qu’il était heureux en ménage et père de famille… apprendre son futur mariage. Mais en parallèle, elle se plaisait dans son nouveau poste à l’hôpital local, il y avait son idylle naissante avec Dash. L’improbable, l’impensable, et pourtant… cela lui réussissait plutôt bien. Sans compter la présence actuelle de Taliyah, sa sœur cadette.

Alors qu’elle en était à la meilleure partie du refrain de sa chanson, le bruit de la sonnette à l’entrée retentie. Tempe se stoppa dans son élan, ôta ses écouteurs tout en mettant pause à la musique. Qui pouvait bien venir lui rendre visite à cette heure-ci ? Taliyah était partie pour la journée, Dash bossait à la caserne… Sourcils froncés, elle se dirigea à la porte d’entrée, croisant les doigts pour que ce ne soit pas la vieille bibliothécaire, qui lui tiendrait la jambe encore pendant trois quarts d’heure. Dégageant les mèches rebelles qui lui retombaient devant le visage, elle entrouvrit la porte… et se retrouva face à une petite tête blonde qui se jeta dans ses bras. « Hey… » Un large sourire éclaira son visage au contact de l’enfant. Son regard croisa celui de Terry, sa sœur aînée. « Pour une surprise… » Un peu abasourdie, elle reposa son neveu au sol. Sa mère s’empressa de l’encourager à aller dans le jardin trouver la vieille balançoire. « Qu’est-ce que… ? »

J’ai demandé le divorce. Petite bombe lâchée tandis que les deux sœurs s’étreignaient. La voix étranglée de Terry alarma Tempe. Lorsque sa sœur se recule légèrement, elle posa ses mains sur ses épaules. « Mon Dieu… que s’est-il passé ? » Décidément, les sœurs Lockwood n’avaient guère de chance en amour. A croire que c’était fait pour elles les happy ending. « Tu as bien fait de venir ici Terry. Vraiment. » Temperance ouvrit en grand la porte d’entrée, faisant signe à sa sœur d’entrer, l’aidant à porter ses bagages. « Tu es ici chez toi tu sais. » tint-elle à lui rappeler, tout comme elle l’avait fait avec leur benjamine. « D’ailleurs, Tal est ici également… enfin pas là tout de suite, mais elle est de passage, elle aussi. » Elle jeta un bref regard au jardin par la fenêtre, où Tommy s’amusait avec la balançoire, qui était toujours suffisamment solide pour résister au poids de l’enfant.

Lorsque le regard de Terry croisa celui de sa sœur, une légèreté s'empara de son cœur. Elle n'était plus seule. Garder autant de choses pour elle la frustrait grandement, et elle savait qu'elle ne pouvait pas avoir ce genre de conversation avec son petit garçon de sept ans. Avec une douceur empressée, Terry envoya son fils jouer dans le jardin pour pouvoir discuter en privé avec sa petite sœur. Il ne fallut pas plus que cela pour que la blonde se jette dans les bras de Tempe pour lui annoncer son divorce. Sans détours ni préambules, elle préféra lui révéler la vérité de manière brute. C'était la première fois qu'elle exprimait à voix haute cette douloureuse réalité, et elle en prenait réellement conscience à cet instant précis. Les bras de Temperance enlaçant ses épaules la sortirent de sa torpeur. Terry prit une profonde inspiration avant de se lancer dans les explications simples concernant l'échec de son mariage. « Je l'ai surpris au lit... avec sa secrétaire. » Elle ne savait plus si elle retenait ses larmes ou ses nausées, tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle avait du mal à chasser les images de son esprit. Les souvenirs de Matthew se retournant vers elle avec effroi, bafouillant que ce n’était pas ce qu’elle croyait, la hantaient. Dans leur propre lit.

Fort heureusement, Tempe semblait ravie de l'accueillir dans leur ancienne demeure. Elle lui ouvrit grandement la porte d'entrée pour confirmer ses paroles. Malgré son cœur lourd, Terry lui offrit un sourire de gratitude. « Merci, Tempe. Ça me fait tellement bizarre d'être ici... Sans maman. » Elle n'avait pas remis les pieds dans cette maison depuis que leur mère avait été placée en maison de retraite. Tempérance lui annonça que Taliyah, la benjamine, était également de retour pour un certain temps. Terry fut surprise, mais continua d'avancer jusqu'au centre de la pièce principale pour y déposer ses valises. « C'est vrai ? Je n'ai pas eu le temps de la contacter depuis... » Elle se mordit la lèvre, hésitant à répéter à voix haute ce qu'elle avait dit à sa sœur si aisément quelques minutes plus tôt. « On ne s'était pas réunies toutes les trois depuis l'enterrement. » Un sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle observait son fils jouer dans le jardin où elles-mêmes avaient joué il y a de nombreuses années. « Je n'ai pas encore osé le dire à Tommy... Il croit qu'on est là pour quelques semaines » poursuivit-elle en détournant le regard, se pinçant le nez pour contenir ses larmes naissantes. « Je ne sais même pas ce que je vais faire. » Maintenant qu'elle avait tout quitté, était-elle obligée de refaire sa vie dans cette ville qu'elle avait quittée vingt auparavant avec soulagement ? Ses yeux commencèrent à briller, mais elle se reprit rapidement, posant sa main sur le bras de sa sœur. « Et toi, alors ? Comment ça se passe depuis ton retour ? » Malgré son propre tourment, elle gardait cette habitude de s'inquiéter pour ses deux sœurs à la moindre occasion.

Terry ne mis guère de temps à lui dévoiler les raisons de sa demande de divorce.  Elle avait surpris son mari au lit avec sa secrétaire. « Aïe. » Tempe grimaça, imaginant sans peine le sentiment de trahison et le chagrin que devait éprouver sa sœur en cet instant précis. « Je suis vraiment désolée Terry… » Que dire de plus ? Une main dans le dos de son aînée, elle l’invita à entrer dans la maison qui les avait vu grandir. Cette dernière verbalisa que cela faisait bizarre d’être là sans leur mère. Un sourire sans joie se dessina sur les lèvres de Temperance. « C’est pas moi qui te dirais le contraire… » Elle-même s’était tenue à l’écart de Bar Harbor, et de cette maison, durant dix huit années.

L’annonce de la présence de Taliyah parut ravir Terry. « C’est vrai qu’on est rarement toutes les trois au même endroit au même moment. » renchérit-elle avec un hochement de tête. Cette réunion de famille était pour le moins imprévue, à croire que le destin avait décidé de les réunir pour une raison qui lui échappait encore. Tempe suivit le regard de Terry, dirigé vers son fils qui jouait dans le jardin, avec toute l’insouciance dont sont capables les enfants de son âge. « Y a pas urgence. Tu as le temps de trouver les bons mots. » Elle passa un bras autour des épaules de sa sœur pour la réconforter. « Et puis, tu n’es pas toute seule. Ok ? » Tempe aurait bien été en mal de l’aiguiller plus sur ce que pouvait devenir son avenir.

Terry changea alors de sujet de conversation, s’enquérant à son sujet. « Moi ? Oh tu sais… j’ai entamé quelques rénovations dans la maison, et je bosse aux urgences du MDI. Faut bien garder un salaire, je ne sais pas combien de temps je vais rester à Bar Harbor… » Elle hasarda un regard vers Terry. « J’ai revu plusieurs de nos anciens amis… Gabe va se marier, tu le savais ? » Non, elle n’en savait probablement rien. Tempe se félicita d’ailleurs de pouvoir évoquer le futur mariage de son ex petit ami sans que sa voix ne faiblisse ou ne trahisse quoi que ce soit. « Et… je sors avec Dash. » Elle se redressa, passa une main dans ses cheveux. « J’ai fait du café, tu en veux ? Sinon, j’ai du thé aussi… » Peu désireuse de s’attarder sur sa vie sentimentale, elle préférait couper court à la conversation, et revenir sur un terrain plus… neutre. « Et pour ton boulot ? Tu vas faire quoi ? » demanda-t-elle à sa sœur , tout en sortant des tasses du placard.

Les mots se frayent un chemin, pour la première fois, hors des lèvres de Terry et ils pèsent lourd, chargés du poids de la trahison qu'elle a endurée. Les doux soupirs qui s'échappent de ses lèvres portent l'écho de son chagrin contenu, tandis qu'elle fixe son fils, une vague mélancolie dans le regard. Les émotions la submergent, menaçant de briser le fragile équilibre qu'elle maintient pour le bien de son fils, Tommy. Lorsque les paroles de sa sœur, empreintes de compassion, touchent son âme meurtrie, Terry baisse les yeux. Sa voix, douce et empreinte de résilience, tente de dissimuler ses tourments. « Ça va aller » murmure-t-elle, un mantra de force face à ses problèmes. Les deux sœurs se tiennent là, réunies après vingt ans, comme si le temps n'avait pas passé. Terry se sent adolescente à nouveau, responsable cette fois d’une tête blonde en plus. Tempe la soutient de tout son cœur, enveloppant Terry de son étreinte réconfortante. Elle trouve un réconfort dans les bras aimants de sa sœur. Les mots échangés ne sont peut-être pas suffisants pour apaiser toutes les peines, mais ils portent la promesse d'une unité retrouvée. « Si vous n'étiez pas là, je ne sais pas ce que j'aurais fait » avoue-t-elle sincèrement, laissant sa voix trembler légèrement sous le poids de ses émotions refoulées.

Dans l'espoir de détourner ses pensées des tourments qui la hantent, Terry choisit de se plonger dans l’actualité de sa sœur. Les paroles de Tempe révèlent qu'elle a accepté un poste temporaire à l'hôpital local pendant les rénovations. Terry perçoit dans cette décision la temporalité du retour de chaque membre de la famille Lockwood à Bar Harbor. Une mélancolie diffuse la submerge, sachant que ces retrouvailles sont éphémères. Bientôt, elles reprendront chacune leur chemin et cette perspective lui serre le cœur. « Et ça se passe bien ? Ça doit être plus calme qu'à Portland » s'enquiert Terry, cherchant à comprendre la nouvelle vie de Tempe. Bar Harbor n'est pas une ville animée et elle imagine que les journées de sa sœur sont désormais moins agitées que dans son précédent poste. Tempe lui livre quelques détails sur les habitants de la ville, évoquant le prochain mariage de Gabriel. Les souvenirs de l'amoureux de sa sœur ressurgissent, mais Terry ignore encore les développements de leur histoire. Un simple hochement de tête est sa seule réponse. « Je crois que je n'ai plus envie d'entendre parler de mariage pendant les vingt prochaines années » lâche-t-elle, empreinte d'une certaine amertume. Les illusions sentimentales semblent s'être évaporées et la vision du bonheur lui paraît bien lointaine. Cependant, la révélation suivante de sa sœur la laisse sans voix. « Attends… Quoi ? » balbutie-t-elle, interloquée. Tempe tente de lui proposer un café, mais Terry connaît trop bien sa sœur pour se laisser détourner. « Oui, un café avec deux sucres et des explications en prime » réclame-t-elle, les bras croisés, ne détachant pas son regard de sa sœur, stupéfaite. Elle mentionne ensuite le travail de Terry et cette dernière ne peut contenir un soupir. « J'ai envoyé ma lettre de démission. Heureusement que j'ai des économies, parce que je me serais retrouvée sur la paille » avoue-t-elle, se disant qu’elle a le temps de réfléchir pour le côté professionnel, ayant d’autres priorités pour le moment.

Terry avait toujours été un modèle, un pilier, une force, aux yeux de Temperance. Pas seulement parce qu’elle était son aînée, mais parce qu’elle avait mené sa vie d’une main de fer, une carrière brillante, et jusqu’à présent, un mariage heureux. Comme quoi rien n’était jamais acquis. Tempe le savait déjà, mais une fois de plus, le destin s’acharnait sur les Lockwood. Voir Terry autant démunie lui brisait le cœur. « On est une famille, toutes les trois. C’est normal de s’entraider en cas de coup dur, non ? » Leur père avait fui les problèmes au lieu de les affronter. Tempe avait eu tendance à fuir son passé, son histoire. Mais peu à peu, elle réalisait que ce temps là était révolu.

Terry l’interrogea sur sa vie, notamment depuis son retour aux sources, ici même à Bar Harbor. « Difficile de tenir la comparaison entre Portland et ici, en effet. Mais avec la saison touristique, on ne s’ennuie pas pour autant. » Lorsque Tempe aborda le sujet « Gabe » et son prochain mariage, la réaction de sa sœur ne la surpris guère. Elle-même eut un petit rire sans joie en écho au propos de Terry. « Le mariage ne doit pas être fait pour les Lockwood, j’en ai bien peur. » Le couple qu’avait formé leurs parents s’était transformé en désastre, et chacune d’elles avaient connu des expériences amoureuses désastreuses jusqu’à présent. Terry semblait être celle qui s’en sortait le mieux entre les trois, mais la malédiction venait de la rattraper de toute évidence. Evidemment, lorsqu’elle évoqua sa relation avec Dash, Terry ne manqua pas de réagir face à cette information pour le moins… inattendue. Tempe se sentie rougir sous le regard inquisiteur de son aînée. Pour se redonner contenance, elle entreprit de servir le café. Des explications ? « Ahem… » Elle remplit les tasses et en tendit une à sa sœur. « Y a pas vraiment d’explication en fait… c’est arrivé… comme ça. » Ce qui était la plus stricte vérité. « Il est gentil, compréhensif, sexy… » Le type d’homme dont elle pourrait facilement tomber amoureuse après tout. Comme Gabriel… « Je ne sais pas où ça nous mènera. J’ai décidé de prendre les choses comme elles viennent. » Petit haussement d’épaule pour ponctuer ses paroles.

Terry lui avoua ensuite avoir envoyé sa lettre de démission. « Attends, tu as quoi ? » Elle savait combien Terry s’était démenée pour en arriver là où elle en était, professionnellement parlant, et combien elle aimait son job. « Je… C’est… inattendu. Je veux dire, tu aimes tellement ton boulot ! » Un éclat de rire enfantin retentit alors à l’extérieur. Tommy jouait avec cette insouciance dont seuls les enfants sont capables. « Tu lui as dit quoi à Tommy ? » demanda-t-elle alors à Terry, histoire de ne pas commettre d’impair devant son neveu.

Terry, malgré le tourbillon de douleur qui la déchire de l'intérieur, lutte pour maintenir une certaine contenance. Son visage, son ton de voix portent la lourde charge de ces jours sombres, et elle se demande, en un éclair mélancolique, la dernière fois qu'elle a ri de tout cœur, une éternité avant cette trahison qui a ébranlé son mariage. C'est comme si le bonheur avait déserté son existence depuis si longtemps qu'elle n'ose même pas se confronter à la réalité de cette absence. Les mots de Tempérance trouvent cependant un écho dans son âme meurtrie. « Tu as raison. » répond-elle, baissant les yeux, un fugitif sourire dansant sur ses lèvres, un bref éclat de lumière dans l'obscurité qui l'entoure.

Terry s'efforce de détourner son attention de ses propres tourments, s'intéressant de plus près à la vie de sa sœur pour échapper, ne serait-ce qu'un instant, à ses propres préoccupations. Elle questionne Tempérance sur son adaptation à sa nouvelle vie ici, où le calme règne en maître, à des années-lumière de l'agitation de la ville. « L'arrivée des touristes, ça fait bien longtemps que je n'y ai pas goûté » avoue Terry. Il est vrai que ses retours à Bar Harbor sont devenus rares, se limitant généralement à des événements familiaux liés à leur mère. Le sujet glisse vers Gab et son mariage à venir, mais Terry ne parvient pas à susciter l'enthousiasme nécessaire. Sa situation personnelle la préoccupe trop, alors elle aborde ça avec humour, prétextant qu'elle souhaite faire une pause sur le sujet du mariage. Tempérance réagit en disant que le mariage ne semble pas fait pour leur famille. Terry rit légèrement en retour. « Tu penses que c'est une sorte de malédiction qui plane sur les femmes de la famille ? Peut-être que Taliyah est la seule capable de briser ce sortilège. » Terry imagine mal sa sœur se marier dans un avenir proche, compte tenu de sa carrière prenante. Puis, Tempérance aborde sa relation avec Dash, un ami d'enfance. Terry est tellement surprise par cette révélation qu'elle empêche sa sœur de changer de sujet. Elle accepte le café que lui offre Tempérance, déposant quelques morceaux de sucre dans sa tasse tout en gardant un regard inquisiteur sur sa sœur. « Mais attends, c'est sérieux entre vous deux ? » Elle essaie de comprendre Theresa, curieuse de savoir si cette relation est une bonne idée ou non, bien qu'elle soutienne sa sœur dans tous ses choix. « Ça signifie que tu envisages de t'installer ici de façon permanente ? » Terry se souvient que Tempérance parlait de rénover la maison pour la vendre, mais elle n'avait pas réalisé que sa sœur envisageait de rester à Bar Harbor.

C'est maintenant à Terry de partager une révélation, tout en expliquant à Tempérance qu'elle a démissionné de son poste de juge fédéral. Elle sirote son café, appréciant la chaleur qui lui procure un moment de réconfort. « J'ai toujours aimé mon travail, mais Tommy a grandi entouré de nounous » confie-t-elle. Elle a réalisé que passer si peu de temps avec son fils depuis sa naissance est l'une de ses plus grandes erreurs, un reproche que Matthew lui a souvent adressé. « J'ai envie de faire passer Tommy en priorité. » Elle sait que l'éloignement de son père sera déjà une épreuve difficile à surmonter pour lui, et elle ne peut se permettre de le négliger davantage. Son regard se pose sur son fils, en train de jouer dans le jardin, son visage illuminé d'innocence. Elle ne veut en aucun cas briser cette insouciance. Sa cadette lui demande alors ce qu'elle a dit à Tommy pour justifier leur départ soudain. Terry répond avec un soupir : « Je lui ai dit qu'on allait passer quelques jours de vacances dans la vieille maison de mamie. » Elle sait que mentir n'était peut-être pas la meilleure solution, mais elle n'était pas prête à tout lui dévoiler. « Je vais devoir l'inscrire à notre ancienne école, c'est là qu'il commencera sûrement à me poser des questions. » Terry soupire de nouveau, posant sa tasse sur la table.

Les sœurs Lockwood étaient-elles maudites en amour ? Si l’idée en soi était saugrenue, il fallait admettre que finalement, elles n’avaient connu respectivement que des fins tragiques à leurs histoires. Terry semblait tenir le cap mais elle venait d’être touchée à son tour par cette « malédiction ». « Ou alors il faut faire appel à un prêtre exorciseur. » rétorqua Tempe lorsque Terry soumis l’hypothèse que leur cadette pourrait peut être briser le sortilège. Evidemment, la discussion dériva sur sa relation balbutiante avec Dash, et son aînée n’eut pas l’intention de lâcher le morceau aussi facilement. Etait-ce sérieux entre eux ? « Seigneur, je n’en sais rien du tout Terry… » Elle bu une gorgée de son café tout en réfléchissant à la question. « C’est vraiment récent, je n’y ai même pas réfléchi pour tout t’avouer. » Ce qui était la stricte vérité. Voulait elle s’installer définitivement à Bar Harbor ? Là aussi, elle n’avait guère réfléchit à la question, ne se l’était même pas posée. Parce que jusqu’à présent, cette option lui avait toujours paru inenvisageable. « Pour l’heure, je restaure la maison. Ensuite… ensuite je verrais où j’en suis. » Voilà qui était beaucoup moins catégorique qu’avant.

Mais dans l’immédiat, c’était surtout la situation de Terry qui importait à Temperance. Cette dernière admit avoir démissionné de son poste, ce qui était surprenant. De toute évidence, elle voulait accorder plus de temps à son fils. Tempe ne pouvait que l’encourager dans cette voie. De plus, Tommy aura besoin de sa mère lorsqu’il réalisera que ses parents ne vivront plus ensemble. Que sa vie allait changer radicalement. Tempe apposa un regard indulgent sur son aînée. « Tu ne crois pas que tu devrais tout lui dire le plus tôt possible ? » émit-elle, songeant qu’il était en âge de comprendre certaines choses, et qu’elle-même aurait apprécié que les adultes lui parlent un peu plus franchement lorsque leur père avait sombré puis mis les voiles. « Tu sais… je suis sûre que Tommy se doute que quelque chose ne va pas. Ne le laisse pas se morfondre avec ses questions. » Ni dans la culpabilité. Mais cela, elle ne le dit pas, ne désirant pas accabler sa sœur plus qu’elle ne l’était déjà.  

Terry ne peut réprimer un rire lorsque sa sœur évoque l'idée de faire appel à un exorciste pour lever la malédiction des Lockwood. La tragédie de ne jamais connaître la chance en amour semble frapper invariablement les femmes de cette famille. Bien que, jusqu'à présent, Terry ait été épargnée, elle sait que son mariage n'est en rien le conte de fées qu'elle laissait paraître devant ses proches. Pour l'instant, elle se penche sur l'histoire de sa petite sœur avec Dash, qui la trouble. Elle aimerait être heureuse pour elle, mais une certaine inquiétude émerge en elle. Tempérance ne semble pas savoir ce qu'elle veut, et ce qu'elle vit avec Dash ne ressemble en rien à une romance idyllique. Terry prend une nouvelle gorgée de café sans quitter Tempérance du regard. « Je comprends » souligne-t-elle avant d'ajouter plus comme un conseil que comme un reproche « Cependant, essaie de ne pas blesser Dash. » Elle sait que Tempérance est perdue, mais elle doit se rappeler qu'elle n'est pas seule dans cette relation. Dash pourrait avoir des sentiments plus profonds pour sa sœur et Terry ne souhaiterait rien de plus que leur amitié d'enfance ne soit entachée par cette histoire.

Terry se retrouve dans une situation inédite et se sent désemparée quant à la manière de gérer les réactions de son fils. Elle sait qu'elle n’est pas la mieux placer pour donner des leçons de morale à sa sœur et elle se demande si lui mentir sur leur situation actuelle est la meilleure option. Elle-même a du mal à réagir face à tout ce qui se passe et la réaction de son fils est un défi qu'elle n'est pas encore prête à affronter. Lorsque Tempérance lui conseille d'aborder le sujet avec Tommy le plus tôt possible, Terry soupire et détourne le regard, hésitante. « Je ne sais pas. » avoue-t-elle. Elle a le pressentiment que son fils se doute de quelque chose, étant exceptionnellement intelligent pour son âge. « Je préfère... ne rien lui dire pour le moment. » Elle se tourne vers sa sœur, une lueur d'inquiétude dans les yeux. « Promets moi de ne rien lui dire, Tempe. » Elle ne veut pas que son fils apprenne la situation de quelqu'un d'autre que d'elle-même. Terry essaie de reprendre un peu de contenance, passant une main dans ses cheveux en bataille. « Je pensais installer Tommy dans mon ancienne chambre et dormir dans celle de maman, à moins que vous n'ayez réorganisé les pièces différemment ? » Maintenant que Tempérance et Taliyah sont de retour à la maison familiale, il y a moins d'espace à l’instar de l'époque où elles étaient adolescentes.