All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
Gamin né d’ici, qui n’a jamais été ailleurs. Les rues de Bar Harbor sont aussi connues que les recoins de sa chambre, la région n’a pas plus de mystère qu’une carte au trésor déjouée. Il voit la richesse de ce qu’il y a autour de lui, peut-être que c’est pour cela qu’il ne cherche pas plus loin. Il n’a jamais eu le besoin Ford, jamais eu l’envie non plus. Explorer des contrées lointaines, c’est bien pour des vacances, des escapades qui ont une fin. Mais lui, lui il s’épanouit dans une sorte de familiarité. Il connaît les gens, a son réseau bien établi, sa vie, sa famille, sa femme… Bar Harbor est une base de laquelle il ne peut plus s’extirper aujourd’hui. Aussi beau qu’un paysage intouché par l’homme. Aussi dangereux qu’un marécage dans lequel il s’enfonce.

Aujourd’hui il a tout ce qu’il faut Ford, plus ou moins. C’était vrai il y a quelques mois en tout cas. Faut dire qu’il revient de loin quand même et qu’en le voyant on ne se douterait pas de qui il était quand il avait treize ans. Ado geek, un peu trop dans sa bulle, dans son monde. Moqué à cause de son poids aussi, bien que les moqueries étaient orientées vers un gamin qui n’avait pas fini sa croissance. Ca a laissé quelques traces en lui, des insécurités qu’il pense résolu mais au fond de lui, il se dit toujours qu’on pourrait trouver mieux. Pas sûr de ce qu’il y aurait de plus ailleurs, mais qui cherche bien trouve toujours quelque chose… Ford il n’était pas bête, plutôt le gosse moyen en tout, qui n’excelle dans rien ou plutôt, dans son cas, qui ne veut pas le montrer. Il s’est toujours bien débrouillé de ses mains, toujours réussi à faire les choses sans trop comprendre comment. Ça lui sert toujours finalement.

Son cœur a réagi la première fois qu’il l’a vu, comme dans ces films à l’eau de rose qu’il regarde rarement. C’était à une soirée basique, comme il y en a tant. Chez un pote, le genre de dîner qui s’éternise et qui est un peu plus alimenté en alcool qu’en nourriture. Sauf qu’elle, elle essayait de nourrir tout le monde. Petite fusée dans la cuisine, Caridad ne s’arrêtait pas. Tellement qu’il a d’abord cru qu’elle était en couple avec leur hôte, il pensait qu’elle essayait de prendre ses marques dans l’appartement, de trouver son rôle. Mais non, elle voulait juste que tout le monde soit bien, et Ford, au bout d’un moment, il a voulu s’assurer que ce soit elle qui allait bien. Une envie qui, finalement, n’a pas pris fin.

Plusieurs années de mariage qu’il n’a pas vu passer, envolées dans les rires, les pleurs et les petits riens du quotidien. Des années d’essais infructueux, toujours plus douloureux que les précédents. Il ne les compte plus Ford, ne sait plus combien de fois Caridad lui a dit que le test était positif. Sans doute qu’il ne l’a pas toujours su, d’ailleurs, parce qu’il connaît sa femme. L’éreintement pèse sur ses épaules aujourd’hui, plus que jamais auparavant. Au bout d’un moment, ils ont arrêté de se réjouir, arrêter d’être heureux de voir le plus sur le bâton, malgré leur envie dévorante de devenir parents. Parce qu’ils ne pouvaient pas savoir combien de temps ça durerait. Ils ne pouvaient pas prédire quand la terre allait de nouveau s’ouvrir sous leurs pieds. Tout ce qu’ils savaient, c’est ce que ça arriverait. Jusqu’à lui. Jusqu’à elle. Cette grossesse qui a duré, ce bébé qui s’est accroché. Neuf mois à grandir dans le corps de Caridad. Neuf mois pour planifier son arrivée, organiser enfin cette chambre. Cette fois c’était bon, ils allaient la former cette famille tant attendue. Jusqu’à ce que non. Le pire dans tout cela c’est que l’accouchement s’est bien passé, c’est que tout était normal et que rien n’aurait pu le prédire. Rien n’indiquait que quelques minutes après son arrivée au monde, leur enfant s’éteindrait dans leurs bras. Et cette fois, ça a été la fois de trop.

Cari et Ford, ils étaient ce genre de couple absolument agaçant. Le couple heureux, souriant, complices et confiants. Pas de souci dans la chambre, pas de crainte de jalousie. Juste un bonheur aveuglant qui énerve gentiment tous leurs amis. Mais plus aujourd’hui. Sept mois que Caridad est partie, laissant la maison beaucoup trop vide et silencieuse à son goût. Sept mois qu’il bosse trop pour ne pas penser à leur couple qui bat de l’aile, qui s’est perdu en chemin. Il y croit pourtant Ford, il est obligé d’y croire. Sans savoir qu’elle passe des nuits dans d’autres bras, qu’elle a des amants plus ou moins réguliers, qu’elle songe à ne plus jamais lui parler. Lui il attend, meurtri, incapable d’avancer. Il passe devant la nurserie chaque jour, retient ses larmes pour ne pas tomber. Parce qu’une fois commencé, il ne pourra plus arrêter. Et sans elle à ses côtés, aucun deuil ne peut être fait.