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05 octobre 2023

J’avais répondu à une offre d’emploi posté sur internet au sujet d’une doctoresse qui recherchait quelqu’un pour gérer sa comptabilité. Je me disais qu’avec mon expérience au sein de l’entreprise familiale, être comptable ce serait à ma portée. J’avais décidé d’accepter quelques missions en freelance afin d'augmenter mes finances. L’allocation que me reversait l’État me suffisait à peine. Je n’avais pas de loyer à payer mais tous mes frais annexes restaient à ma charge. La nourriture, l’essence de ma voiture ou encore le shopping. N’ayant emporté que très peu de choses, j’avais pas mal de petites affaires et notamment des vêtements à racheter. Je vivais avec ce que l’État me donnait, mais pas assez bien à mon goût. Et puis, travailler me donner un but et surtout une activité occupant mes pensées afin de ne pas les laisser se faire envahir par de la négativité.

J’avais acheté un petit tailleur, entre le sérieux et le décontracté. L’entretien allait se passer dans un cabinet médical indépendant et pas une grosse entreprise. Pas besoin de se sur-vêtir. J’imprimais un cv sur mon imprimante d’occasion et allai à mon rendez-vous. J’étais stressée mais ma technique pour ne pas me laisser envahir c’était de tourner en boucle dans ma tête que j’allais tout déchirer. Je me présentai au cabinet. On me fit patienter un instant avant que Madame Nakayama me reçoive dans son bureau.

« Bonjour » lui dis-je chaleureusement en lui tendant la main. Je pris place sur une chaise attenante au bureau. Je posai mon cv sur son bureau et sortis de mon sac à main un petit calepin avec un crayon pour noter des informations importantes. « Je suis ravie de vous rencontrer. Votre bureau est charmant. »

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que j'avais quitté définitivement mon pays natal pour venir vivre mon rêve américain. Ce rêve, finalement aux antipodes des idées reçues. Pas question d'argent, de fortune, de gloire... Non, rien de tout cela. Seulement le sentiment d'être en paix et en sécurité, loin des tourments causés par mon père. Et pour le moment, chaque jour qui passe est un jour de plus où je me dis que j'ai fait le bon choix. Ici, pas de stress, pas de pression, pas d'angoisse. Seulement la vie d'un petit village de province, où tout le monde ou presque se connait, et vivent ensemble en harmonie depuis la nuit des temps. Peut-être que j'idéalise un peu trop cette nouvelle vie, mais ce qui est certain, c'est qu'elle me fait le plus grand bien. Enfin, probablement pas aujourd'hui. Depuis que j'ai démarré mon activité, les patients sont au rendez-vous. Les journées sont bien remplies, et avec cela, les contraintes liées à mon statut professionnel. Mon travail n'est pas simplement de faire des consultations, il y a aussi toute la partie administrative qui doit tourner, et bien qu'ayant quelques notions, cela devenait de plus en plus difficile de pouvoir assurer certaines tâches, notamment la comptabilité. C'est pour cela que j'ai publié une offre d'emploi, afin de trouver une personne pour m'aider. Et autant dire que faire la comptabilité d'un médecin n'est pas quelque chose qui fait rêver. Seulement une candidature, une comptable en freelance, et c'est tout. Après avoir échangé par mails interposés, nous convenons d'un rendez-vous pour aujourd'hui.

L'heure tourne, et, bien qu'étant dans une position de force, je sens que je suis très stressée à l'idée de rencontrer quelqu'un qui postule pour une offre d'emploi que j'ai publié. Je ne sais même pas à quoi ressemble la personne, ni à quoi ressemble sa voix. La seule indication que j'ai, c'est son nom et son prénom. Autant dire presque rien. Après m'être occupée du dernier patient de la journée, je me dirige vers la salle d'attente et je constate que la personne est arrivée. Elle est plutôt jeune, je dirai la trentaine, blonde, avec un joli sourire. Madame Mitchell ? Veuillez me suivre s'il vous plait. Pour l'instant, j'agis comme si c'était une patiente lambda, ça m'aide à évacuer la pression. Nous nous installons au bureau, et alors que la candidate sort de son sac à main son cv ainsi qu'un carnet pour avoir de quoi noter, elle complimente l'esthétique de la pièce. Merci, c'est gentil. Wow, ça commence par un compliment de politesse, que j'aurais pu anticiper d'ailleurs, et pourtant je sens mes joues devenir brûlantes. Il faut que je me reprenne, parce que là, je vais passer pour une folle. Recentrons les choses sur l'offre d'emploi. Je prends le temps de lire son cv, et cette femme semble avoir pas mal d'expérience dans le domaine. Vous semblez avoir une très bonne expérience en tant que comptable, pourquoi choisir de postuler à ce cabinet ? Ouf, c'est bon, j'ai réussi à poser la question sans bafouiller, maintenant c'est à son tour de parler. C'est bien plus facile d'écouter que de se faire écouter de toute façon.

La doctoresse commença l’entretien en me prenant connaissance de mes expériences passées. Je m’étais bien gardée de mettre totalement la réalité. La période où j’avais exercé dans l’entreprise familiale avait changé de nom pour ne pas me porter préjudice. On était jamais trop prudent, le FBI m’avait bien briefer sur les limites à ne pas franchir.

« J’ai travaillé dans une multinationale en grande partie mais j’avais envie de changer d’environnement de travail. Je viens d’emménager à Bar Harbor et j’ai décidé de me lancer en freelance. Je me suis dit que cette opportunité de travailler pour votre cabinet, serait quelque part un moyen de contribuer à la vie locale ! »

Ok c’était certainement pas la réponse la plus attendue mais c’était la plus honnête que j’avais. Je trouvais ça plutôt utile de travailler pour un cabinet médical, qui soignait les gens de la ville. En tout cas beaucoup plus utile et surtout plus réglo que de bosser la compta d’un réseau de trafic de drogue.

« J’ai envie de vous aider dans la gestion de votre cabinet. Si vous êtes déchargés de cette tâche administrative vous pourrez concentrer votre énergie à ce qui est le plus important : prendre soin de nous ! »

J’offris un sourire sympathique à ma recruteuse. J’espérais la convaincre de me donner ma chance. J’avais envie de ce travail. J’avais besoin de m’occuper, de me sentir utile.

C'est avec la plus grande attention que j'écoute les réponses de la candidate. Elle ne le sait pas encore, mais étant la seule à avoir postulé, il y a de très fortes chances que je l'embauche. En tout cas, Madame Mitchell met du coeur à l'ouvrage, avec des propos qui paraissent très chaleureux. Et cela me fait sourire intérieurement. Car je me retrouve dans ses motivations. L'envie d'aider une communauté, se sentir utile, vivre une nouvelle vie... A bien y réfléchir, la coincidence de rencontrer une femme ayant des aspirations quasi identiques que les miennes concernant Bar Harbor pouvait être interprété comme un signe du destin. Humainement, ça pourrait coller. Professionnellement, son expérience parle pour elle. Cela dit, ne nous emballons pas. Prenons le temps de bien analyser son profil afin de voir si cet entretien doit aboutir ou non. J'apprécie la sincérité de vos réponses. Il fallait que je lui dise. Comment fonctionnez-vous d'ordinaire ? Devrais-je vous envoyer les informations comptables de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle ? Ce que Madame Mitchell ne sait pas encore, c'est que j'apprécie que tout soit carré, et fait dans les délais. Il est hors de question que j'embauche quelqu'un si j'estime que je suis capable de mieux faire. Peut-être que mon père n'a pas le profil du père de l'année, mais il faut reconnaitre que les valeurs inculquées sur le rapport au travail me semblent primordiales. Et ça n'a rien à voir avec une envie de réussite, mais juste avoir le sentiment que le travail est correctement effectué. A titre d'exemple, c'est comme si moi, en tant que médecin, je disais à mes patients que je leur donnerait le diagnostic de leur visite dans les quarante huit heures. C'est impensable.

Par contre, je me dois de vous prévenir, si il y a bien une qualité impérative pour ce poste, c'est la ponctualité. En le disant, j'ai l'impression de me transformer en un monstre froid, sans coeur, sans émotion. C'est d'ailleurs ce qu'elle doit être en train de se dire, qu'elle est tombée dans un cabinet appartenant à un médecin psychorigide. Si ça se trouve, je vais lui proposer un contrat, et jamais elle ne me rappellera. D'ici là, j'espère que d'autres candidats se seront présentés. Si vous êtes en freelance, les termes du contrat seront différents. Je vous sollicite pour une prestation que vous me facturez, je vous paye et les comptes sont bons. Personnellement, ça me va. Est-ce bon pour vous aussi ou préférez-vous un statut de salarié ? Les deux statuts présentent des avantages et des inconvénients, mais nous devrions nous en sortir assez facilement. De toute façon, si elle est à son compte, c'est qu'elle doit avoir d'autres clients, donc devenir salariée ne devrait pas l'intéresser. Et en terme de rémunération, à combien facturez-vous vos prestations ? Alors que la candidate me répond, je réfléchis rapidement afin de savoir si j'ai d'autres question à lui poser, mais là comme ça, rien d'autre ne vient...

Je semble marqué des points lors de cet entretien. J’ai tenté de mettre en valeur la motivation à vouloir travailler pour ce cabinet médical. Je parlais avec cœur, en restant dans la sincérité. Je savais que mentir ne servirait à rien. J’étais du genre à convaincre les gens seulement si j’étais moi-même convaincue de ce que je leur disais. « Tout dépend comment vous souhaitez fonctionner. Pour ma part, avoir les informations en fin de mois ça me va. Après cela j’effectue le bilan comptable. Une ou deux journées de travail devraient suffire. » Je ne savais pas estimer exactement le temps de travail nécessaire. Je ne connaissais pas le nombre de patients qu’elle pouvait avoir. Je supposais que lors des périodes d’épidémies, le travail serait sans doute plus conséquent car les gens consultaient plus souvent. Et il y avait aussi les outils de travail mis à disposition. En fonction du logiciel utilisé et de l’automatisation des données ou non, le travail pouvait considérablement être plus court. « Ne vous inquiétez pas pour ça, je suis organisée et je déteste dépasser mes datelines. On est jamais à l’abri de contre-temps, l’informatique peut-être capricieux, mais en dehors ça, je mets toujours un point d’honneur à être dans les temps. J’aime le travail bien fait ! » Je pouvais vite être stressée et pour m’éviter du stress inutile, je cadrais tout. J’effectuais des todo-list avec des dates butoirs à ne pas dépasser. J’hiérarchisais également mes tâches pour être la plus efficiente possible. Et surtout, le challenge était mon moteur, j’aimais travailler sous pression tant que c’était une pression bénéfique bien entendue. J’offris un sourire à ma potentielle patronne. Je savais que je faisais du bon travail, que j’étais consciencieuse et j’espérais qu’elle le verrait en moi.

La prochaine question qui vint était à propos de mon statut. Je secouais la tête négativement à la mention d’un statut de salarié. Je voulais garder ma liberté de pouvoir travailler pour plusieurs clients. Découvrir les gens et leurs entreprises. Et surtout pouvoir me libérer facilement si ma vie tournait au vinaigre. « Le statut de freelance me convient. Je préfère rester sur ce profil-là et que vous faites appel à moi quand vous avez besoin. » Je réfléchis ensuite à la question sur ma rémunération. Je ne savais pas trop combien je pouvais estimer demander pour un boulot à Bar Harbor. Je lui donnai une fourchette approximative en espérant tomber dans quelque chose d’assez juste. Peut-être que je m’étais un peu sous-estimé mais ce n’était pas grave. Je percevais l’allocation du programme de protection des témoins et c’était pour augmenter un peu mes ressources, pas pour en vivre totalement. « Est-ce que je peux vous demander combien vous avez de patient en moyenne sur un mois ? C’est pour estimer la charge de travail approximative. » Je la laissai me répondre avant d’enchainer avec une autre question. « Et utilisez-vous un logiciel informatique de compta ? Sinon je peux vous en conseillez de très efficaces qui permettraient de rentrer vos paiements directement dans le logiciel. Cela fait un gain de temps car mon travail serait alors de vérifier si le nombre de patients correspond au nombre de paiements et de procéder aux différents calculs pour vos déclarations. » Nous étions dans une ère où les outils informatiques étaient nombreux et il serait bête de ne pas s’en servir. En plus de faire un gain de temps et donc d’argent pour la doctoresse, c’était également un moyen d’éviter un plus grand nombre d’erreurs. Il était toujours important de superviser le logiciel car il n’était pas infaillible, mais il permettait de dégrossir une grosse partie du travail.

Pourquoi ai-je l'impression de passer pour une amatrice en train de se faire donner la leçon ? Je suis certaine que ce n'est pas du tout le but de la candidate, mais voir mes lacunes sur la comptabilité exposées de la sorte me fait me sentir inconfortable. De façon rapide, je lui explique que je me suis contenté de télécharger un logiciel gratuit pour faire ma comptabilité, et que j'y passe parfois une semaine entière le temps d'intégrer toutes les données. Puis lorsqu'elle me conseille un logiciel permettant d'intégrer directement les paiements, je suis partagée entre la joie et le soulagement de cette méthode avec l'agacement de passer encore pour une amatrice. Toute ma vie je me suis donnée à fond pour être tout en haut de la liste. Et là, qu'une inconnue me fasse constater que je n'y connais rien dans ce domaine n'est pas des plus agréables. Et malgré toute la bonne volonté qu'elle met pour paraitre bienveillante, je suis touchée par la situation. Je prendrais quelques minutes pour pleurer à la fin de l'entretien, mais pour le moment, je ne dois pas laisser cette émotion négative m'envahir et poursuivre.

Après lui avoir donné les montants approximatifs de combien de patients je reçois par mois, je synthétise tout ce qui a pu être évoqué au cours de l'entretien. Le statut, la rémunération, la budgetisation d'un logiciel de comptabilité moderne... La candidate semble acquiesser sur chaque point, ce qui est une bonne chose. Aucune incompréhension durant l'entretien, tout est clair, que ce soit pour elle ou pour moi. Malgré le petit couac sur le thème de la comptabilité, cette femme a l'air d'avoir beaucoup de qualités, et il serait dommage de passer à côté de son profil. D'autant plus que la ville étant relativement petite, et que mon annonce d'emploi est disponible depuis plusieurs jours, je ne suis pas certaine d'avoir d'autres candidats. Bien que je ne puisse pas lui donner une réponse définitive maintenant, je tiens à la remercier d'être venue et d'avoir participé à cet entretien. Madame Mitchell, je vous remercie pour cet entretien très constructif. Vous semblez avoir de vraies qualités pour ce poste. Je vous recontacte très rapidement pour vous donner une réponse définitive. Toutefois, avant de clore définitivement cet entretien, je parcours une dernière fois son cv et je m'aperçois que je ne l'ai pas lu jusqu'au bout. On dira que c'est la faute du stress. Dans la rubrique des centres d'intérêt, je remarque que la candidate aime la lecture. Intéressant, étant une lectrice invétérée depuis longtemps. Oh, je viens de remarquer sur votre cv que vous aimez la lecture. Puis-je vous demander ce que vous aimez lire ?

« C’est moi qui vous remercie Dr Nakayama, de m’avoi reçue pour cet entretien. Ça été un plaisir de vous rencontrer. » En repensant aux minutes passées ensemble, un sentiment de confiance m'envahissait. Le contact avait été chaleureux, et je sentais que j'avais réussi à faire bonne impression. Une petite lueur d’espoir m’illumina quand je me pris à croire que je pouvais attendre une réponse positive de sa part.

Les yeux de la médecin parcoururent mon cv une dernière fois. Quelque chose attira son attention. En effet, elle rebondit sur un de mes centres d’intérêt qui était la lecture. Un sourire sincère s’afficha sur mes lèvres. « Je prends un énorme plaisir à lire, ça permet de voyager sans payer un billet de train ! » Un petit rire léger s’échappa de mes lèvres.

Je me demandais qu’elle réponse elle attendait. « La réponse honnête ou la réponse professionnelle, vous souhaitez ? » J’avais deux lectures en cours qui pouvaient refléter mes différentes facettes de ma personnalité. L’une sérieuse et l’autre plus légère. Un des romans que je lisais actuellement était à l’étude du club de lecture et l’autre était un petit plaisir coupable et personnel. « Je fais parti d’un club de lecture et nous avons commencé l’étude de Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald. Un grand classique mais qui parcours différentes thématiques très intéressantes à explorer, comme l’illusion du rêve américain. » Un sourire amusé éclaira mon visage avant d’ajouter. « Quant à ma lecture plus personnelle, j’aime les romans bit-lit tel que L'appel de la lune. Je sais pas si vous connaissez cette catégorie de livre ? Ce sont des romans fantastiques avec un petit côté … sulfureux … entre deux protagonistes. » J’étais curieuse de savoir si elle connaissait cette catégorie de romans. Peu de gens que je connaissais s’aventuraient dans ce genre de romans, ou bien … ne le disait pas explicitement de peur d’être gêné par une telle lecture.

Je marquai une courte pause avant d’ajouter avec une pointe de curiosité dans ma voix : « Et vous, Dr Nakayama, que lisez-vous en ce moment ? Quel type de romans aimez-vous ? » Tout en posant la question, je me rendais compte que cette petite touche personnelle dans notre conversation professionnelle apportait une dimension plus humaine à cet entretien. C'était agréable et cela rendait l’échange un peu moins formel. J'étais consciente que travailler avec quelqu'un, c'était aussi partager des intérêts au-delà du cadre professionnel.

Déjà très concentrée sur les réponses formulées par Mademoiselle Mitchell lors de son entretien, ma concentration augmente d'un niveau supplémentaire lorsqu'elle me parle de ses différentes lectures. Elle en parle avec tellement d'entrain que j'en oublierai presque que je suis en train de lui faire passer un entretien d'embauche. Immédiatement, une information vient se loger directement dans mon esprit. Il y aurait un club de lecture à Bar Harbor ? Si c'est bien le cas, il faut absolument que je me renseigne. Non pas que la compagnie d'autres personnes me manque, bien au contraire, mais intégrer un club de lecture est un excellent moyen de découvrir ou redécouvrir des oeuvres, des auteurs... Lorsqu'elle aborde le livre de Gatsby le Magnifique, je ne peux retenir un petit sourire, car c'est une oeuvre que j'ai déjà lu à plusieurs reprises. Cependant, je préfère garder cela pour moi, et le mettre en perspective par rapport à une potentielle future intégration au club de lecture. Puis elle m'explique le principe des romans bit-lit, genre dont j'ignorais l'existence. Face à sa description, je reste circonspecte. Oh, par sulfureux, vous voulez dire... J'hésite à finir ma phrase, tant je me sens gênée par le mot que je vais utiliser. Mais bon, en même temps, j'ai besoin d'en avoir le coeur net. ... érotique ? Les écritures érotiques ne m'ont jamais attirées, peut-être que cela est du à ma virginité.

Après quelques minutes, elle me retourne la question. Je suis surprise, après tout c'est à moi de les poser, pas à elle. Nous sommes toujours dans le cadre d'un entretien d'embauche après tout. Mais, étant moi-même à l'origine de l'abord de ce sujet, je me dois de répondre à mon interlocutrice. Etant très carthésienne, je ne lis que très peu d'oeuvres fantastiques ou de science-fiction. Je préfère de loin des lectures qui vont me forcer à me creuser l'esprit, comme des romans policiers, ou des textes plus profonds, faisant réfléchir sur des sujets importants. En le disant, j'ai l'impression d'être terriblement rasoir, mais bon, je ne vais pas lui mentir et dire que je suis une fan absolue de Twilight et de 50 Shades of Grey. Déjà parce qu'en le disant je ne serai pas crédible, mais aussi car si je dois être amenée à travailler avec elle, lui mentir à notre première rencontre ne serait pas la meilleure façon de débuter notre relation professionnelle. Par exemple, je suis admirative du travail d'Agatha Christie et de comment elle arrive à nous embarquer dans ses histoires, où chaque mot compte afin de s'approcher de la vérité. Un coup d'oeil rapide à l'horloge de mon bureau me fait comprendre qu'il va falloir clore l'entretien. Je n'ai rien d'autre à ajouter Mademoiselle Mitchell, je vous recontacte dès que possible. Par politesse, je me lève de la chaise sur laquelle j'étais assise, gardant les deux mains accrochées entre elles dans mon dos, le temps que la postulante se prépare. Mais, avant qu'elle quitte définitivement le bureau, ce qui marquera la fin de notre entretien, je ne peux m'empêcher de lui poser la question. Votre club de lecture accueille de nouveaux membres en ce moment ? Je serai intéressée d'y passer à l'occasion afin de voir comment ça se déroule.