All delighted people

Octobre 2023.

Assis sur le canapé du salon, je regarde les enveloppes d’argent posées sur un coin de la table ainsi que mon livre de compte que je tiens scrupuleusement. Si je n’avais jamais été bon élève au cours de ma scolarité, aujourd’hui je faisais mes calculs le plus sérieusement possible. Je ne comptais pas organiser des tournois toute ma vie ou baigner dans un business douteux à la scierie. Je faisais pour essayer d’accéder à un rang social supérieur à celui que j’avais. Je voulais arrêter de galérer dans la vie. Je voulais offrir à mes enfants, si un jour j’en avais, une vie que je n’avais pu avoir étant plus jeune. Je n’étais pas cupide, non. J’assurais juste mon avenir.

Je pris mon ordinateur portable et regardai les investissements fonciers que la ville proposait. Je ne savais pas si Bar Harbor voulait d’un casino en ville. Je ne parlais pas d’un grand casino du type Las Vegas, mais quelques machines à sous, quelques tables et pourquoi pas un partenariat avec un hôtel en ville ? Nous étions près de la frontière Canadienne, les touristes pourraient affluer en plus grand nombre, ce qui pourrait intéresser la mairie. Je m’enfonçai dans le canapé. J’avais des rêves plein la tête mais je savais qu’il ne fallait pas se précipiter. Ma colocataire apparut dans l’encadrement de la porte menant à la cuisine. Je lui fis un signe de tête et d’un geste de la même lui montra la place près du canapé. « Regarde un peu ça. Bien situé, pas trop excessif. Tu nous verrais à la tête du premier casino de Bar Harbor ? » Un sourire se dessina sur mes lèvres. Bien entendu que Delilah faisant parti de mon projet. Elle était ma plus fidèle amie et partenaire dans mes affaires, et ça depuis des années maintenant. Il me serait juste impensable de la laisser sur le banc de touche. Je passai mon bras autour de ses épaules et jouai machinalement avec une mèche de ses cheveux. « Si on joue bien nos cartes, on pourrait se faire un tas d’argent. » Un casino ne se montait pas du jour au lendemain mais j’étais motivé et je savais que j’avais toujours réussi à me débrouiller pour avoir ce que je voulais dans la vie. Je savais que ça allait demander beaucoup de temps et d’argent mais j’étais prêt à faire ce qu’il fallait pour que mon projet voit le jour.

Des idées plein la tête, des projets grandioses, peut-être que je voyais trop grand mais au moins je mettais un but dans ma vie. Je ne voulais pas être toute ma vie sur le fil de l’illégalité pour vivre convenablement. Mes doigts dansaient sur ma cuisse, rythmant les pensées qui me traversaient. J’en faisais part à ma colocataire, pour avoir son avis car il était précieux à mes yeux.

Quand Delilah me questionna sur mes certitudes concernant ce projet audacieux, mes yeux se plongèrent dans les siens, cherchant l'hésitation ou l'encouragement. J’étais conscience de l’implication dont je devrais faire preuve. J’hochai la tête positivement. « Ça va demander des sacrifices, notamment du temps et de l’argent, mais je suis sûr que ça peut le faire. » Ma gorge se serrait légèrement à l'idée de l'ampleur du défi, l’adrénaline d’un tel projet m’envahissait en même temps, donner un rythme plus important à mon cœur.

La rue ça vous apprenait à gérer un business bien plus vite qu’une école de commerce. Quand j’étais à Denver j’avais fréquenté des mecs pas du tout réglos et même si ce qu’ils faisaient toucher l’illégalité la plus totale, il fallait leur reconnaître qu’ils savaient mener leurs affaires d’une main de fer. « J’ai assez d’argent de côté pour demander un crédit pour un emplacement. Et avec ce que je me fais en supplément avec la scierie et des tournois de poker, ça permettra d’avoir un revenu les premiers temps. » Ma voix était assurée, mais mes mains trahissaient une légère tension en se crispant sur mon ordinateur portable. Je n’avais jamais dit à ma colocataire ce que je faisais à la scierie. Elle connaissait mon vrai job en tant qu’ouvrier, mais pas que je bossais à la surveillance de plants de Cannabis. Je retirai mon bras des épaules de mon amie et m’avançai vers la table basse pour y déposer mon ordinateur portable. Un soupir s’échappa de mes lèvres, comme si je libérais toute l’incertitude qui m’avait envahi ces dernières minutes. Mon coude se posa sur mon genou et ma main récupéra ma tête. Le visage tourné vers la jeune femme je la regardai avec un sourire. « Est-ce que tu es prête à me suivre dans cette folle ambition ? »

À ce moment, mon téléphone vibra, coupant court à mes réflexions. Comme si le ciel semblait vouloir envoyer un message pour me faire rebrousser chemin, je reçus un message de la part de mon patron. Court, efficace. "Descente à la scierie demain matin. Tout le monde à l’heure." Ma mâchoire se serra. Je balançais mon portable sur la table avec un grognement agacé. Manquait plus que ça. La dernière tempête avait fait des ravages et quelques matos de production et de transport de cannabis avaient attiré les soupçons de la police. De quoi mettre leur nez dans les affaires de l’entreprise. Je savais que le patron couvrirait ses gars. C’était pas dans son intérêt de dénoncer son trafic. Mais ça faisait chier parce qu’ils allaient enquêter sur les employés et j’avais vraiment pas besoin qu’ils fouillent ma vie. « La police enquête sur un possible trafic au sein de la scierie. Je crois qu’on va annuler le prochain tournoi. Je voudrais pas leur donner de quoi me mettre en garde à vue. » Je me passai une main dans les cheveux, clairement frustré. Ces tournois étaient trop importants pour mes économies et pour la construction du projet que j’avais en tête. Je savais que sans cette source de revenue, les fonds baisseraient drastiquement. On se faisait pas des milles et des sangs mais on ramassait quand même un joli pactole non négligeable chaque mois. Surtout quand on avait de gros poissons aux tables …

Je venais de recevoir un sms de mon patron qui annonçait rien de bon pour la scierie et du coup pour moi. Je devais me faire petit si je voulais éviter d’attirer les soupçons sur mon compte et mettre à mal mes projets d’avenir. La police allait débarquer pour une fouille à la scierie et j’en informai ma colocataire que j’allais devoir mettre en stand-by les tournois le temps que les choses se tassent. Ils allaient enquêter sur les employés, c’était certain, alors autant ne pas ébruiter que j’organisais des tournois clandestins de poker.

J’observai le sérieux présent dans les yeux de Deliah. Un sentiment de respect pour son pragmatisme m’envahit, me rappelant pourquoi j’avais besoin de mon amie dans ma vie. J’étais rêveur et elle était celle qui me ramenait les deux pieds sur terre avec sa prudence. « Tu as raison. » lui dis-je en en me frottant nerveusement la nuque. « Je ne sais pas ce qu’ils ont trouvé … » mais je m’en doutais. « … mais ça présage rien de bon … » Je laissai ma phrase en suspens, se perdant dans une réflexion intérieure.

Deliah mentionna qu’elle pouvait essayer d’en savoir plus à son boulot. Elle travaillait dans un cabinet d’avocats et pouvait récolter des infos sur les enquêtes en cours au sein de la police. C’était un des atouts pour notre business de poker. J’acquiesçai d’un signe de tête. J’omis sa question concernant ce dont je pouvais bien être au courant. Je ne voulais pas l’impliquer là-dedans. J’en avais pas le droit.

Je me levai du canapé pour m’approcher de la fenêtre du salon. La vue était magnifique. Nous avions de la chance de vivre dans un endroit aussi tranquille. Regarder dehors avait toujours le don d’apaiser mes angoisses et mon anxiété. Deliah appuya sur le faite que les projets pour le casino devaient être mit en pause le temps que cette affaire se tasse. Il ne serait pas bon de se lancer là-dedans pour l’instant. Je croisai les bras sur mon torse, contrarié. Je ne perdais pas espoir et je continuais de croire que mon projet était viable. Seulement, les contre-temps je détestais ça. « Tu as raison, on doit se débarrasser de ça avant. » lui reconnus-je.

Je décroisai mes bras pour mettre mes mains dans les poches arrière de mon jean. « J’en ai marre de bosser pour d’autres gens. Je veux pouvoir monter mon business, être fier de quelque chose que j’aurais créé de mes mains. Je me suis toujours démerder dans la vie pour m’en sortir alors je sais que je peux être capable de faire quelque chose de réglo. » Je sentis mon torse se bombait légèrement. Je ne pensais pas être qu’un simple grand rêveur. Je savais ce que je valais quand je m’en donnais les moyens. « Tu n’es pas obligé de me suivre dans ce projet un peu fou, mais sache que si tu veux avoir ta place là-dedans tu peux ! Et si tu ne veux pas me suivre je t’en voudrais pas non plus. Je comprends que ça peut faire peur. » Je me rapprochais de ma colocataire et une de mes mains se plaça sous son menton. « Peu importe ce que tu choisisses de faire, je te serais toujours reconnaissant d’être là pour me soutenir et être franche avec moi. » Un tendre sourire s’afficha sur mes lèvres. Elle était la personne la plus fiable que j’avais dans ma vie et pour rien au monde j’avais envie de la voir quitter ma vie. « Et qui sait ? Peut-être que ce rêve un peu fou sera la meilleure décision qu'on ait jamais prise … ou la pire ! » J’éclatai de rire avant de me laisser tomber de nouveau dans le canapé.