All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
J'ai quelques secondes. Ma vie bascule déjà quand, au lieu d'être déposée sur le corps de ma génitrice, je suis emmenée aux soins directement. Je ne le sais pas, mais c'est l'unique fois de ma vie que je suis si proche de la femme qui m'a donné la vie. Quelques instants plus tard, je me retrouve dans une pièce avec quelques nouveaux nés qui partageront le même funeste sort, portant le même fardeau. Celui d'être né sous X. Sur mon berceau ne figurent que mon poids, ma taille, et un prénom : Iris. Plus tard, j'apprendrais que ma génitrice ayant voulu garder l'anonymat, je n'aurais aucune information pour tenter de la retrouver. Aucune information sur mon géniteur également. Ce qui signifie qu'à peine ma vie commence que je suis déjà orpheline.

J'ai quatre ans. Les dames du foyer sont gentilles avec moi. D'après leur dires, j'ai vraiment une bouille trop mignonne. Pourtant, je suis toujours ici. Trop calme, trop réservée, trop grande déjà ? Les familles adoptantes défilent, avec à chaque fois ce même regard, à la fois si doux et si dur, entre l'attendrissement de voir cette "bouille trop mignonne" et la fatalité de vouloir un enfant plus jeune. Alors je reste là. Et quand à l'école, nous devons faire un cadeau pour la fête des mères, je reste en retrait. Je ne participe pas. Et je sens en moi que les petites graines de la colère sont en train de germer petit à petit.

J'ai sept ans. L'espoir est déjà parti, je ne prends même plus la peine de me montrer sous mon meilleur jour face aux familles adoptantes. Je reste dans mon coin, à faire du dessin ou du coloriage. Et j'aime ça le dessin. C'est la seule façon de m'évader d'ici. D'ailleurs, les dames du foyer me disent que je suis vraiment douée pour une petite fille de sept ans. C'est gentil. Ce qui l'est moins, c'est lorsqu'elles me crient dessus parce que j'ai tapé un enfant plus jeune, ou quand elles m'entendent donner des ordres. Il faut que j'arrête de faire ma cheffe. Pourtant moi j'aime ça, donner des ordres et taper les autres. C'est nul que je doive arrêter.

J'ai onze ans. Ma puberté a commencé, et dans son sillage mon caractère s'affirme de plus en plus, à tel point que les femmes du foyer me surnomment "la reine". Ce qui n'est pas du tout laudatif, au contraire. A y réfléchir, quoi de plus normal pour une reine que de vouloir dominer et gérer son royaume ? Je sais que je vais rester dans ce foyer jusqu'à ma majorité, alors autant montrer à tout ceux qui y sont que la reine, c'est moi. Il y a de plus en plus de cris, de hurlements, de coups. Et, ça va avec, de punitions. Mais je m'en fiche, ça ne m'empêchera pas de recommencer. Je continue à me passionner pour le dessin, et j'expérimente tout un tas de techniques et de styles différents.

J'ai treize ans. Et je suis une femme. Ou en tout cas, j'ai perdu ma virginité. Une histoire avec un mec de ma classe, plutôt beau gosse, on est sortis ensemble quelques semaines et on a séché un cours de sport pour baiser dans les escaliers de secours du collège. Franchement c'était pas ouf, mais ça m'a donné envie de recommencer très rapidement. Je comprends également que les mecs de cet âge sont des chiens, et qu'il y a peut-être un truc à faire. Alors, secrètement, je me lance dans un petit business débile, mais qui m'a permis de me faire un peu de fric. J'avais repéré un petit débarras au collège où un jour la clé était restée dessus. J'ai piqué la clé, bien sûr, pour y avoir accès facilement. Moyennant de l'argent, je montre mon corps à celui qui le demande. Mais il y a des règles. Pas de photos. Pas de contact. Dix secondes pas plus. Et ça peut être en sous-vêtements ou à poil. Les gens repartent ravis, et moi avec leur argent. J'ai arrêté au bout de quelques semaines après avoir failli me faire griller à poil dans le débarras par une femme de ménage.

J'ai quinze ans. Je suis au lycée, et ça part un peu en vrille. Je me bagarre régulièrement, je fais la découverte de l'alcool et de la cigarette. Et quand j'y vais, parce que je sèche quand même pas mal les cours, c'est pour foutre le bordel dedans ou en dehors. Au foyer, je suis devenue un peu une star, malgré moi. Le fait de me rebeller régulièrement contre les meufs du foyer fait que les gamins me voient comme un modèle défiant l'autorité. Beurk. Aussi, c'est à cette période que je comprends que je ne suis pas attiré que par les mecs, mais par tout le monde. J'ai très souvent envie de baiser, et lorsque personne ne peut m'aider, je me fais plaisir toute seule. Bien sûr, pas devant tout le monde, j'suis pas une pute non plus. C'est aussi à cet âge que je fais mon premier tatouage après avoir menti au tatoueur sur mon identité. Une couronne que j'avais moi-même dessinée, ornée de pierres précieuses, tatouée sur le poignet.

J'ai dix huit ans. Je dois faire mes papiers d'identité, et pour cela il me faut un nom de famille officiel. Je peux choisir n'importe lequel. Après réflexion, je choisis "Quinn". Parce que je suis la reine du foyer, tout simplement. Mais, étant majeure, je dois quitter mon royaume. Comme j'y ai passé toute ma vie, j'ai eu le droit de rester quelques mois supplémentaires, le temps de me lancer dans la vie active. Sympa. J'ai arrêté l'école, faut que je trouve un boulot, et un peu par dépit, j'arrive à être embauchée comme stripteaseuse dans un club de la ville. Le début de l'ère de la débauche. Je me fais appeler Silver, la meuf avec ses cheveux argentés et ses tatouages. Et j'arrive à palper pas mal de thunes me permettant de quitter le foyer et de vivre seule dans un appart du centre ville. En plus du sexe et de l'alcool, il faut aussi rajouter la drogue dans la liste de mes addictions. Et ça commence à faire beaucoup.

J'ai vingt et un an. Ma vie prend un tournant. Je travaille toujours au même endroit et, un jour où je suis allée bosser sans être en état de le faire, merci la cocaine, je me suis grave embrouillé avec un client, allant jusqu'à lui fracasser une bouteille sur la tête. Je me suis faite virer dans la foulée, et alors que ça aurait du en rester là, j'ai vécu l'enfer le temps d'une soirée. Un soir, en partant de chez moi pour aller dans un bar, une camionnette noire s'est arrêtée à ma hauteur et m'a enlevée. Quand j'ai repris connaissance, j'étais nue, attachée sur un lit, avec en face de moi la tête du type que j'avais agressé. Avec lui plusieurs types, certains armés, qui riaient comme des débiles. Même si j'étais en panique, j'ai réussi à garder la tête froide pour trouver comment me sortir de là. Après les avoir écoutés pendant longtemps m'expliquer comment ils allaient me violer, ils sont tous partis de la pièce. Par chance, mes jambes n'étaient pas attachées, et j'ai réussi à saisir une bouteille de bière vide, que j'ai cassée avant de m'en servir pour couper les liens me retenant. Puis je suis partie en escaladant la façade, heureusement qu'il n'y avait que deux étages, et j'ai couru, couru et couru, simplement couverte par le drap du lit. Je me suis évanouie sur la route à la sortie de la ville, avec un panneau direction Bar Harbor. J'y ai vu un signe.

J'ai trente deux ans. Ma vie n'a pas beaucoup évolué en vrai, mais je m'en fous. Je suis résidente à Bar Harbor depuis quasiment dix ans maintenant. J'ai une bande de potes qui déchire, je fais très régulièrement la fête et j'ai toujours mes addictions. Et puis, sous l'impulsion de mes proches, j'ai décidé d'ouvrir mon salon de tatouage depuis trois ans. Rien de bien fou hein, je fais des tatouages dans mon appart que j'ai aménagé exprès pour l'occasion. C'est toujours l'occasion de faire un petit billet de plus.