All delighted people

J'ai grandi à Bar Harbor dans une famille dysfonctionnelle. Aussi longtemps que je m'en souviens, mon père battait ma mère. C'était quelque chose de quotidien, de très violent... Et elle a fini par prendre sa propre vie lorsque j'avais 14 ans. C'est moi qui l'ai retrouvé pendue, qui l'ai décroché, j'ai même essayé de la sauver, mais il n'y avait plus rien à faire. Mon calvaire a continué, parce que mon père s'est mis à boire. Il ne me frappait pas et c'était déjà beaucoup, seulement il y avait rarement quelques choses à manger à la maison, le chauffage était souvent coupé, ce n'était pas une vie...
Taliyah, ma meilleure amie, était la seule à tout savoir de mon calvaire. Elle m'aidait comme elle le pouvait en me rapportant des sandwichs et en me proposant souvent de venir dormir chez elle. Mais ça ne se résumait pas qu'à ça, elle était toujours là pour moi et dès que je le pouvais, je restais avec elle. Je pouvais tout lui dire. Alors quand l'opportunité de partir à l'université avec elle s'est proposée à moi, je n'ai pas hésité une seule seconde. Je suis partie avec elle pour essayer de me construire une nouvelle vie, mais surtout pour fuir celle que j'avais déjà.
Quelques mois après avoir commencé à étudier à l'université, j'ai rencontré Sloan. C'était un beau jeune homme, qui jouait dans l'équipe de hockey sur glace. Il a su me charmer, il avait tout pour lui... Il était tellement parfait que lorsqu'il a été recruté par l'équipe de Seattle et qu'il m'a demandé de le suivre, j'ai foncé tête baissée en abandonnant tout derrière moi. J'étais naïve et je ne me rendais pas compte de ce que je faisais. Pour la première fois de ma vie, un homme me traitait convenablement.
La douceur de l'amour me berça quelques années, même si certaines choses auraient du me mettre la puce à l'oreille. Sloan n'aimait pas lorsque je sortais avec les autres femmes de joueurs, il contrôlait absolument tout ce que je mangeais, je n'avais pas le droit de m'habiller comme je le voulais... Mais il était tellement gentil avec moi mis à part ça. Alors quand au bout de 4 ans de relation il m'a demandé en mariage, j'ai accepté et à 24 ans je me suis mariée sous le soleil de Floride devant toute sa famille.
Peu après notre mariage, il s'est blessé et sa carrière s'est terminée bien plus tôt que prévue. J'ai découvert une facette très sombre de mon mari. Il était tout le temps en colère, il ne me supportait plus et lorsque j'essayais de lui en parler, il haussait la voix. J'avais beau reconnaitre tous les signes précurseurs des violences domestiques, je suis restée. Par amour pour lui, je voulais nous donner une chance.  
La première fois qu'il a levé la main sur moi, je me suis défendue, mais il était bien plus fort que moi. Il m'a tellement marqué que je n'ai pas pu quitter la maison pendant plusieurs jours. Il s'est excusé, mais je connaissais la chanson, je savais qu'il recommencerait. Il était comme mon père. Non, il était pire, parce qu'il ne s'arrêtait pas à la violence, il prenait plaisir à me descendre avec des commentaires tous plus destructeurs les uns que les autres. J'étais trop grosse, trop laide, incapable de lui donner des enfants, je n'étais qu'une bonne à rien sans avenir... Et à force de l'entendre j'ai fini par le croire. J'ai arrêté de manger, je me suis mise à faire beaucoup de sport, j'ai essayé tous les régimes possibles et imaginables pour aider à tomber enceinte, je suis devenue la femme "parfaite". Mais pour quoi ? Les coups continuaient de pleuvoir.
Personne ne se doutait de rien, parce qu'on vivait encore dans un certain confort et que Sloan était doué pour renvoyer une bonne image de nous. Mais lorsqu'il a perdu toute sa fortune dans de mauvais investissements, ce fut une tout autre histoire. On passa de la vie en villa à la vie en caravane, et les violences s'intensifièrent. C'est à ce moment là que je suis tombée enceinte pour la première fois. Ce petit bout n'avait aucune chance et je l'ai perdu avant la fin du premier trimestre. Mon anorexie était trop prenante. Personne ne peut préparer une maman au fait de perdre son bébé. J'ai pleuré pendant des semaines, en silence, je me griffais tout le corps dans l'espoir de souffrir physiquement et non plus mentalement. Ça n'a jamais fonctionné.
En l'espace de 7 ans, j'ai perdu 4 bébés. Ma maigreur extrême, les coups portés par mon mari et ma dépression ne leur permettait pas de s'accrocher. Mon corps était juste capable de les créer, pas de les porter à terme. Chaque perte m'affaiblissait, je n'étais plus que le fantôme de moi même. Il n'y avait qu'une seule chose qui m'apportait un peu de plaisir, c'était quand je composais de la musique.
En juillet, Sloan a totalement craqué et m'a battu sur le parking d'un supermarché parce que j'avais pris la mauvaise marque de bière. Il s'est fait arrêter et a pris 6 mois de prison ferme. Quelques jours après son arrestation, j'ai découvert que j'étais enceinte. Encore. J'ai pensé à avorter, parce que j'avais beaucoup trop peur de le perdre à nouveau, que je n'étais pas prête à revivre les mêmes souffrances... Mais j'ai décidé de lui donner une chance. Le premier trimestre a été très compliqué, j'ai du me forcer à manger entre les vomissements, j'ai du faire face à cette image de mon corps qui reprenait de la masse et qui me dégouttait, j'étais fatiguée et terrifiée à l'idée de me réveiller dans une marre de sang comme ça m'était déjà arrivée. Mais ce bébé s'est accroché et quand Sloan est sorti de prison, mon ventre était déjà rond. Je pensais que ça lui donnerait envie de changer, qu'il serait différent cette fois, mais non ! Il était sorti plein de rage, il m'en voulait de l'avoir laisser aller en prison... Et il m'a battu. Encore. Sauf que ça avait été la fois de trop et que je m'étais enfuis une fois qu'il s'était endormi.
Au volant du pick up de Sloan, avec quelques affaires à l'arrière, j'avais roulé jusqu'à Bar Harbor. Je n'avais pas la moindre idée de pourquoi j'étais revenue là alors que plus rien ne m'attendais ici. Mon père était mort depuis des années, mes amis... Sloan m'avait fait couper les ponts avec eux, donc je n'en avais plus. C'était juste le seul endroit au monde que je connaissais un peu.