All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
Ce matin, j'ouvre les yeux. Là, allongée à côté de moi, ma raison d'être depuis maintenant quatre ans. Elle, c'est Sapphire, ma fille. Je la regarde dormir, encore si douce, si fragile, si innocente. Encore préservée par la vie. Pourtant, je ressens cette boule dans l'estomec, qui pourtant avait disparue ces dernières années. Pour comprendre ce sentiment d'anxiété qui m'habite, il faut revenir en arrière, lorsque c'était à mon tour d'avoir quatre ans.

Haute comme trois pommes, une vie sans histoires, sans problèmes. Je vis heureuse avec mon papa, ma maman et ma grande soeur, âgée de sept ans de plus que moi. J'ai ma propre chambre, mes propres jouets, et, à cet âge là, rien ne parait menacer cette tranquillité. Et du jour au lendemain, toutes ces certitudes ont volé en éclats. Ma mère, qui n'avait jamais rien laissé transparaitre, est emportée par la maladie. Mais moi, je suis bien trop petite pour comprendre tout cela. Maman est partie, mais Maman va revenir. Maman ne reviendra pas. Elle ne reviendra jamais. Et moi, je pleure. Je pleure presque toutes les nuits, inconsolable d'avoir perdu l'être le plus cher de ma vie. Je ne suis qu'une enfant, pas préparée à vivre une telle chose. Les années passent, la douleur s'atténue mais ne disparait jamais vraiment. Nous trois essayons de se soutenir tant bien que mal, mais le deuil est très compliqué. Et puis, trois ans plus tard, notre routine va prendre une nouvelle direction. Mon père, poussé par ma soeur, a trouvé du réconfort dans les bras d'une autre femme. Une femme qui va nous aimer comme une mère. Et avec elle, son fils qui va nous aimer comme des soeurs. Il a tout juste un an de moins que ma grande soeur, mais très vite nous allons former un trio très soudé. Les années défilent, je grandis, et l'amour de cette mère de substitution m'aide à atténuer cette douleur, cette blessure que j'ai au fond de mon coeur. Sans parvenir à la faire disparaitre, elle est en sommeil, là, quelque part en moi. Et tandis que ma grande soeur et mon grand frère partent de la maison pour vivre leur vie d'étudiants, je reste seule. Je reste une petite fille.

Puis ce fut à mon tour de devoir quitter le nid, presque sept ans après les autres. Afin de poursuivre mes études, mes parents ont accepté que je parte à Londres afin de préparer un bachelor en travail social, dans une université réputée. J'ai la chance d'avoir des dispositions intellectuelles me permettant d'entrevoir un avenir professionnel brillant. Mais parfois, il m'arrive de m'écarter du droit chemin. Durant l'année, j'ai fait la connaissance de Jordan, un étudiant de ma promo. Tout a très bien fonctionné entre nous, au point de sortir ensemble quelques semaines après la rentrée. Notre relation était incroyable, nous étions vraiment fusionnels. Et puis le temps passe, et les choses naturelles que doit avoir une femme chaque mois n'arrivent pas. Etant un peu stressée de nature, je me dis que ce sont les examens du premier semestre et que tout ira mieux après. Seulement non. Car l'impensable se produit, et voilà que je me retrouve avec un petit monstre en moi. J'ai encore la possibilité de m'en séparer, alors j'en parle à Jordan qui me fait comprendre que peu importe ma décision, il assumera son rôle. Alors, consciente que les choses seront compliquées mais ne voulant pas abandonner ce trésor que l'on m'a confié, je décide de le garder. Les premières semaines sont comme dans un rêve, mon chéri est à mes côtés, et nous traversons cela ensemble. Mais un soir, alors que je rentre plus tard de la fac, je m'aperçois que le peu d'affaires qu'il a ramené dans mon appartement ne sont plus là. Il y a juste une lettre, sur la table, m'expliquant qu'il doit d'abord penser à lui, ses études et sa carrière, et que rester avec moi l'empêcherait d'avoir la vie qu'il rêve. Enorme coup de massue. Je pensais que la vie dont il rêvait, c'était d'être avec moi et avec le petit. Me voilà seule pour affronter cela.

De mon entourage, personne n'est au courant, à part mon grand frère. Honteuse, il est le seul que j'ai mis dans la confidence. Et c'est avec soulagement que j'accepte sa proposition de le rejoindre à Miami, pour ne pas vivre la fin de ma grossesse seule. Il a même été jusqu'à plaider ma cause à l'université de Miami afin que je puisse intégrer le cursus en deuxième année. Quelques semaines après mon arrivée, Sapphire est née. Elle est si belle. Au départ j'ai squatté chez mon grand frère, et j'ai vite vu que malgré toute ma bonne volonté, ma présence et celle de la petite devenaient un poids dans sa vie de couple. Alors j'ai pris un petit studio, et je me suis débrouillée du mieux que j'ai pu pour allier mon rôle de mère, pour lequel je n'étais pas prête du tout, et mon rôle d'étudiante. Et cela a porté ses fruits, parce que j'ai été diplômée en ayant obtenu de très bons résultats. A Miami, j'ai aussi fait la connaissance d'un ami de mon frère, Deagan. On s'est tout de suite plu, jusqu'à ce que j'apprenne qu'il était en réalité le demi frère de mon frère, issu d'une précédente union entre ma belle mère et un autre homme. Malgré cela, nous sommes restés en couple quelques mois, et notre histoire s'est terminée d'un commun accord. Plus le temps passait, plus nous nous voyons comme de très bons amis. Et d'ailleurs, nous avons toujours des contacts réguliers, malgré le fait qu'il ait décidé de quitter Miami pour rejoindre un petit village dans le Maine nommé Bar Harbor.

Et puis il y a quelques mois, Jordan a de nouveau fait irruption dans ma vie. Je le trouvais changé. Prêt à assumer ses responsabilités. J'ai voulu y croire. Il était toujours aussi beau, toujours aussi rassurant. Nous nous sommes remis ensemble, tentant de vivre à trois pour la première fois de nos vies. Mais ce qui devait s'apparenter à un rêve s'est rapidement transformé en cauchemar. Autoritaire, impatient, colérique, il n'acceptait pas que Sapphire ne l'accepte pas. De longues conversations n'ont pas suffit, et la limite a été franchie le jour où, dans un excès de colère, Jordan a giflé Sapphire qui venait de faire une bêtise. C'était trop pour moi, alors je l'ai mis dehors, l'exhortant de ne jamais revenir. Je me souviens encore de ses yeux noirs, menaçants, et de ses paroles glaçantes. Je reviendrai. Les choses se sont tassées, et peu de temps après, alors que je vais chercher Sapphire au centre de loisirs, on m'informe que son père l'a déjà récupéré. Angoisse totale, coeur qui va sortir de ma poitrine, je suis dans une panique incontrôlable. J'essaye d'appeler Jordan qui ne répond pas, alors je me rends au commissariat le plus proche pour signaler sa disparition. A peine quelques heures plus tard, il était retrouvé, avec Sapphire qui n'avait rien, probablement trop petite pour comprendre ce qui était en train de se passer. L'attente a duré quelques heures, mais pour moi ça m'a paru une éternit. Ok Jordan va aller en prison pour un temps. Ok je ne devrais plus rien avoir à craindre de lui. Mais en agissant de la sorte, il a souillé Miami et la confiance que j'avais envers cette ville.

Ce matin, j'ouvre les yeux. Ce petit village de Bar Harbor dont Deagan m'a parlé est devenu ma maison depuis quelques semaines, nouveau départ pour une nouvelle vie. J'ai réussi un entretien d'embauche pour travailler à la mairie, Sapphire a été inscrite en urgence à l'école, et avec mes économies j'ai pu louer un logement décent en centre ville.