All delighted people

Je sais qu’on me dit discrète, qu’en dehors de mon travail ou de la superette, c’est assez rare de me croiser en ville, mais en ce moment, je ne me sens plus tout à fait moi-même. Je mets ça sur le compte des beaux jours de printemps qui arrivent un peu en avance cette année, a moins que ça ne autre chose que je n’ai pas envie de m’avouer. Ce matin, mêmes les insultes de papa n’ont pas réussi à ternir ce petit sourire qui semble coller a mes lèvres.

En ce samedi, je n’ai pas eu envie de juste rester m’occuper du potager ou m’angoisser pour ce toit abimé dont je n’ai ni l’argent ni les compétences pour m’assurer qu’il passera un nouvel hiver. Dès que la vaisselle du petit déjeuner est faite, c’est a vélo que je suis allée au centre-ville, juste pour le plaisir de déambuler dans les petits commerces qui se préparent a l’arrivée de la saison des touristes. J’ai l’impression que la ville a changé, qu’elle est encore plus belle et joyeuse qu’avant, a moins que ca ne soit, tout simplement, moi qui me découvre heureuse.

J’ai cette curieuse impression que rien ne pourra ternir cette journée, sans savoir a quel point je me trompe en passant devant la vitrine d’une boutique de vêtements. Je reste un instant en admiration devant une robe longe, un peu vaporeuse, avec des petites manches et un imprimé bohème qui me plait. Ce n’est pas raisonnable, mais depuis combien de temps ne me suis-je pas offert ce genre de petit plaisir ? Et est ce bien seulement pour moi que je veux me sentir jolie ? De toute façon, je sais bien que c’est juste dans ma tête, mais ca me fait quand même du bien d’avoir l’impression de ne pas être invisible.

Il est loin mon dressing plus grand qu’un appartement. Je me persuade que juste essayer la fameuse robe n’engage à rien avant d’entrer dans cette boutique. La vendeuse a l’air occupée avec une autre cliente dans la cabine d’essayage, ca me laisse encore un peu de temps a rêvasser devant le tissus du vêtement avant que je n’entende la femme de la cabine répondre a la vendeuse. Cette voix… elle ressemble a s’y méprendre a une que je ne pensais plus jamais entendre dans ma vie. C’est fou a quel point on dirait elle. Mes mains deviennent presque tremblantes sans que je ne me rende compte.

Athenais, ma sœur de coeur, celle qui m’avait pointée du doigt, condamnant ma famille a l’exile et me rejetant comme si j’étais un encombrant sacrifiable. Malgré moi, avec une démarche peu assurée, je me rapproche de la cabine, mon cœur battant un peu plus fort a chaque réponse de la cliente, dont le timbre est si proche de celui de mon ancienne amie. J’ai beau savoir que c’est impossible, que mon esprit me joue forcément des tours, j’ai besoin d’en être sure.

Le rideau se tire alors qu’une jeune femme sort, souriante, rendant une partie des vêtements a la vendeuse avant de relever le visage vers moi. Blême, mes yeux se posent sur ce visage que je ne reconnais que trop certes, ici et là, le temps a posé sa patte, mais ça reste elle. Je suis incapable d’articuler un seul mot, ni détacher mes prunelles de ce sosie trop parfait pour ne pas être Athenais. Ça en est presque douloureux. L’air semble manqué et les larmes ne sont pas loin, alors que je suis obligée de poser une main sur le mur pour lutter contre cette sensation que le monde s’écroule sous mes pieds. Je devrais surement dire quelques choses, ou répondre a la vendeuse qui s’inquiète de savoir si je me sens bien, mais je me contente de forcer un peu le sourire avec un :

« J’ai… j’ai oublié quelques choses... je … désolée…je dois y aller… »

Puis, je pars en hâtant le pas, c’est presque une fuite, pour sortir de cette boutique devenue étouffante. J’ai oublié ma robe, oublié mon sourire et tout le reste devant ce fantôme de mon passé.  

@Aurora Mitchell

Cela faisait maintenant plusieurs mois que je travaillais pour différentes entreprises en tant que freelance. L’allocation versée par le programme des témoins n’étant pas suffisante, je devais travailler pour pouvoir trouver un rythme de vie plus ou moins confortable. De plus, cela me permettait de rencontrer du monde et de me faire une place dans cette ville où j’avais à présent ma vie.

J’avais économisé sur mes trois derniers salaires pour m’offrir une session de shopping de qualité. Ma maigre valise n’avait pu emporter que quelques vêtements pratiques et peu de mes plus belles pièces. Cela me manquait d’avoir un dressing aussi pauvre et j’avais bien l’intention de le renflouer un petit peu aujourd’hui. Je m’étais rendue dans une boutique de prêt-à-porter dans laquelle j’avais repérée quelques tenues qui m’iraient sans doute parfaitement. Un style chic et décontracté en même temps. Des tenues que je pourrais mettre pour quelques occasions spéciales.

Une vendeuse m’avait aidé à choisir quelques pièces en assemblant des hauts avec des bas. J’étais d’ailleurs dans la cabine du magasin entrain d’essayer l’une des compositions. Je n’étais pas certaine de ce que je portais. Je crois que la couleur ne semblait pas vraiment aller avec mon teint. Je me dévêtis de la tenue, ouvris le rideau pour rendre les tenues que je ne prenais pas et là … je me retrouvai face à un visage connu. Ce n’était pas la vendeuse. Non c’était un visage que j’avais reconnu et même si cela faisait presque dix ans que je ne l’avais pas vu.

« Alexandra … »

Son nom resta en suspends quelques instants. Elle comme moi venions d’avoir un choc mutuel en nous retrouvant l’une face à l’autre. Je vis la panique s’éprendre d’elle et mon ancienne meilleure amie prit la fuite sur quelques paroles bredouillées. Je saisis mon sac à main et sans un mot pour la vendeuse, je sortis à précipitamment de la boutique pour rattraper Alexandra. Dans la rue, mon regard la chercha. Je la vis entrain d’attendre à un passage piéton quelques mètres plus loin. Je me hâtais pour la rejoindre avant qu’elle ne s’éloigne de nouveau. Le feu passa au vert mais je la saisis par le bras pour la retenir vers moi.

« Alexandra, qu’est-ce que tu fais ici ? » Je ne lui laissai pas le temps de répondre que j’enchaînai avec une voix remplie d’enthousiasme. « Oh mon dieu, c’est incroyable de te croiser ici. Est-ce que toi aussi tu as pris l’opportunité de commencer une nouvelle vie … ? »

Je ne savais pas si elle comprendrait le sous-entendu. Est-ce qu’elle avait pu être placer dans un programme de protection des témoins à Bar Harbor elle aussi ? Cela semblait irréel. Mais sa famille, comme la mienne, n’était pas clean et peut-être qu’elle avait finit par les dénoncer eux aussi … J’étais à la fois si heureuse de la revoir et en même temps inquiète car notre séparation amicale avait été abrupte.

La fuite, voila la seule chose que j’avais été capable de faire alors que je me retrouve en face d’un fantôme de ce passé que je pensais avoir bel et bien laissé derrière moi. Athenais avait été mon amie, ma sœur et aussi celle par qui le malheur avait trouvé une faille pour m’éclater au visage. Je suis parfaitement consciente que ma famille avait été l’architecte de sa propre chute avec ses activités illégales et sa cupidité. Ca, je ne pourrais jamais le reprocher a mon ancienne amie. Non, là où j’ai été cruellement blessée ca avait été par les menaces et son silence qui m’avait laissé comme un arrière-gout de trahison amère. Une vie a me reconstruire, a accepter qu’elle ne serait plus dans la mienne et encaisser le fait que j’avais été montrer du doigt alors que mon seule crime avait été de rester loyale a ma pseudo sœur de cœur.

Surement qu’il y aurait eu beaucoup a dire a cette apparition, mais je n’en avait pas la force. Le manque d’air, le tourbillon d’émotion contradictoire avaient discuter cette sortie précipitée. Oublié la jolie robe comme tout ce qui faisait que mon sourire semblait tatoué sur mon visage ce matin. J’étais bien trop bouleversé pour reprendre pieds et le seul fait de lutter pour ne pas me mettre a courir ou a pleurer tenait du miracle. Je peine a retrouver un souffle, je dois être pale comme un linge et je fais au mieux pour tenir une apparence. Je ne peux pas me permettre de faire une crise de nerf en plein centre-ville. Alors que j’essaye de me calmer et que je m’apprête a traverser, je sursaute en sentant une main sur mon bras. Je me retourne vivement pour faire face a Athenais.

Je reste a la dévisager, partager entre l’envie de la serrer dans mes bras et celle de me dégager brutalement. Elle est souriante, comme s’il ne s’était rien passé, comme si nous nous étions quitté hier, que tous les rêves que j’avais fait avec elle n’avaient pas été bouleversés il y a si longtemps. Je devrais surement lui parler, surement lui expliquer que son enthousiasme me fait du mal, mais, a la place, je fais encore pire, surtout que je ne comprends pas de quelle opportunité elle me parle. A la place, c’est d’une voix parfaitement neutre que je me contente de lui demander :

« Excusez moi Melle, je pense que vous vous trompez de personne. »

Ma nouvelle vie… des études bâclées, une vie solitaire et chargée de culpabilité pendant des années avec un père « compliqué » a charge, avant que j’arrive a reprendre un peu pieds pour me retrouver.

« Pourriez vous me lâcher le bras s’il vous plait ? Je suis attendue… »

Un autre mensonge, mais je trouve cela mieux que de juste laisser exploser ma colère ravalée pendant des années… mieux ou surement plus lâche aussi.

@Aurora Mitchell  

J’étais sous le choc. Dans une ville aussi éloignée de ma vie passée, je ne pensais pas un jour tomber sur un fragment de mon histoire. Encore moins revoir une ancienne amie, ma meilleure amie, dont je n’avais plus eu de nouvelles depuis presque dix ans. La première chose qui me vint en tête c’est qu’elle aussi ait intégrée le programme de protection des témoins. C’était l’une des raisons les plus probables qui pouvait expliquer sa présence ici.

Alors que la jeune femme s’enfuyait dans la rue, je la rattrapai au niveau d’un passage piéton. Il était hors de question que je la laisse partir, pas après tant de temps sans avoir eu de ses nouvelles. Je ne peux contenir ma joie et lui demande alors subtilement si elle aussi à démarré une nouvelle vie à Bar Harbor.

Alexandra ne semble pas me reconnaitre. Je reste en peu stupéfaite. Je suis pourtant si certaine de ne pas commettre d’impair. Je sais, je sens que c’est ma meilleure amie qui se tient devant moi. Oui le temps à changé ses traits, mais elle reste la même que dans mon souvenir.

« C’est moi Athenais … »

Dire ce prénom à haute de voix me fait une sensation bizarre, ravivant un tas de souvenirs que je me suis efforcée de garder scellés depuis quelques mois. Alexandra me demande de la lâcher. Ma main glisse de son avant-bras et je me recule d’un pas. Je commence à douter de mon discernement. Peut-être est-ce un double, un sosie ? C’est possible … Alors qu’elle s’apprête à s’éloigner, je lâche une bombe, qui je l’espère, va la faire réagir.

« J’ai dénoncé ma famille aux fédéraux et je dois me cacher à Bar Harbor en attendant le procès. »

Je ne comprends pas bien pour quoi la jeune femme ne veut pas me parler, ne veut pas me reconnaitre. Peut-être a-t-elle perdue la mémoire qui sait ? Cela pourrait être une autre explication. Le temps avait filé et je ne savais pas ce qu’elle était devenue.

« Je t’en ai voulu d’avoir parlé aux policiers le soir de la fête, mais aujourd’hui je sais pourquoi tu l’as fait et je t’en veux pas. C’était courageux et c’est sans doute ce que tu as fait ce soir-là, qui m’a donné le courage d’en faire de même … »

Mes parents m’avaient dit que si la descente avait eu lieu et que si l’un de mes cousins avait écopé d’une peine de prison ca avait été à cause de la langue bien trop pendue de Alexandra. Sur le coup j’avais été en colère, je lui en avais voulu parce que je m’étais sentie trahie. Mais plus maintenant. Je voulais juste comprendre.

Je reste de marbre devant Athenais, même si ca me coute. Une part de moi a tellement envie d’oublier toutes ces années d’épreuves et de rêves brisés par sa faute, de reprendre les choses ou nous les avions laissées. Mais c’est trop tard, on ne me rendra jamais ce que j’ai perdu par sa faute. Je ne parle pas de la belle maison, du simulacre de ma famille, des études prometteuses ou de tout ce que nous aurions dû faire a deux, juste de la confiance aveugle que j’avais en elle.

Sa main relâche enfin mon bras alors que j’hésite a partir le plus rapidement possible ou rester entendre ce qu’elle a me dire. Peut être qu’avec des excuses ou des explications, la blessure qui n’a jamais vraiment cicatrisé pourra enfin guérir un peu. J’arque un sourcil quand elle annonce, sans détour, avoir dénoncé sa famille. Mon cerveau a du mal a appréhender vraiment toute ce que cela implique, outre le fait qu’ils avaient réussi a perduré aussi longtemps en toute impunité. Si une vague d’empathie sincère s’enclenche d’avoir fait, avec les siens, ce que l’on m’accuse d’avoir fait, elle disparait rapidement quand elle enchaine. Je suis connu pour ma douceur, ma chaleur humaine et mon inébranlable compréhension devant les erreurs des autres, mais là, c’est diffèrent. Dire que je me sens saisie et dire que je suis outrée est un euphémisme, surtout par une des rares personnes autant capables de m’atteindre. C’est d’une voix froide que je ne me connais pas que j’articule chaque syllabe.

« Toi, tu m’en as voulu ? J’espère que tu plaisantes ?»

J’ai un rictus amer et je secoue négativement la tête m’en voulant d’avoir espéré autre chose de cette conversation. J’aurais mieux fait de passer mon chemin. Même si elle continue sur une note plus positive, la boule de colère est en train de me ravager les entrailles. Je prends sur moi pour ne pas lui hurler dessus d’avoir réussi a réouvrir un peu plus cette plaie douloureuse qu’elle m’avait faite. A la place, je ravale ma colère et mon envie de pleurer, serre juste les poings avant de prendre le temps de lui dire, d’une voix faussement calme.

« J’imagine qu’il serait de bon ton de te dire que tu as été très courageuse sans souligner que tu aurais pu le faire plus tôt ou ne pas me jeter en pâture a ta famille quand je pensais que nous étions un peu plus proches toi et moi. »

Mon regard, un peu trop rougie par un sanglot qui menace, plonge dans le sien alors que je décide de conclure cet échange qui n’aboutira a rien sauf a ce que je souffre un peu plus.

« Maintenant, je vais te souhaiter une bonne continuation et te laisser continuer à m’ignorer comme tu l’as remarquablement fait pendant 14 ans. »

@Aurora Mitchell  

Chacun des mots de Alexandra me faisait l’effet d’un coup de poignard dans la poitrine. L’air frais ambiant n’arrivait pas à dissiper l’ambiance lourde et oppressante autour de nous. La rue bruyante était devenue plus silencieuse.

Je regardai mon amie retrouvée, celle avec qui j’avais partagé tant de rires et de secrets. Elle me semblait une étrangère, pleine de colère et je ne comprenais pas pourquoi. C’est elle qui m’avait trahi au départ mais elle semblait bien plus en colère contre moi que je ne l’étais. Quand elle me dit l’avoir jetée en pâture c’est là que je saisis que quelque chose n’allait pas dans notre conversation. Je n’avais jamais fait quoi que ce soit à son encontre. On m’avait rapporté que c’était elle qui avait parlé aux policiers, chose que j’avais vue de loin.

« Alex ! » lui criai-je alors qu’elle me tourna le dos.

Je sentais l’émotion m’envahir, des larmes me monter aux yeux. Mon cœur meurtri par cette violente rencontre était douloureux. Je ne voulais pas la perdre de nouveau. La savoir dans cette même ville et ne pas pouvoir renouer avec, ça faisait trop mal.

« Qu’est-ce que tu veux dire par jeter en pâture à ma famille ? Je n’ai jamais rien dit ou fait qui aurait pu te porter préjudice. On m’a dit que tu avais parlé à la police le jour de la fête et je me suis sentie trahie, mais j’ai l’impression que ce n’est pas la version que tu as. »

J’avais besoin de savoir la vérité, j’avais besoin de comprendre. J’étais persuadée en cet instant qu’il y avait un certain quiproquo entre nous. Une larme coula sur ma joue. Du revers de la main je l’essuyai rapidement.

« J’ai voulu reprendre contact avec toi mais quand je l’ai fait ton numéro n’était plus attribué puis j’ai appris que ta famille avait déménagé. Le temps a passé … mais je ne t’ai jamais oublié ! »

Elle avait toujours eu une place dans un coin de ma tête et de mon cœur. Même si j’avais eu une certaine rancune en pensant qu’elle avait dénoncé mon cousin pour possession de drogue, je n’avais pas cessé de me demander ce qu’elle était devenue.