All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
“Monsieur Breckenridge … ?”

Lohengrin fusille du regard l’employée qui lui sert d’assistante temporairement pour l’été, un job étudiant le temps que la personne en titre revienne de congés. Il ne l’a embauché que pour trois raisons. Elle sait se servir d’Excel. Elle vérifie TOUT ce qu’elle fait . Elle a été la seule candidate à savoir prononcer son nom et à l’écrire sans se tromper au bout de deux fois. Même les personnes en titre n’en sont pas capables et c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a écrit Lohangreen Brackenread sur la plaque de son bureau. Parait qu’on a pas le budget pour la changer. Depuis douze ans. Foutaise, si les gens arrêtaient de manger les toner d’imprimantes et les crayons de papier, on les aurait les moyens. Tiens, à noter dans son carnet, point à aborder lors de la prochaine réunion de services : consommation excessive du matériel de bureautique . Pour le bien des finances publique dont il a la charge mais aussi accessoirement pour la planète parce qu’on l’oublie un peu trop dans ce putain de pays, la Planete, elle est en train de crever en partie à cause de Karen de l’acceuil qui imprime tous ses putains de mails.

“Qu’est ce qu’il y a ?”

Sa voix est à peu près calme, oh joie, il fait illusion. Si les gens savaient tout ce qu’il se traficote dans son esprit, il serait surpris, vraiment très surpris. Des fois, ça s’échappe. Comme au dernier pot entre collègues. La faute au vin. C’est traître le vin.

“C’est le commissariat, monsieur. Il y aurait un problème avec votre mère.”

Soupirs. Immenses soupirs. Ça faisait longtemps. Alors, là tout de suite, la pauvre jeune fille, elle pense qu’il est arrivé quelque chose de grave comme un accident à la vénérable madame Breckenridge et que c’est pour ça qu’on dérange son fils à son bureau. Si elle savait, la pauvre.

“Merci beaucoup, Sally. Donnez-moi le téléphone, je vais m’en occuper.”

Il attend que la jeune femme sorte pour prendre l’appel.

“Breckenridge.
- Bonjour monsieur, avant de commencer cette conversation , je vais devoir vérifier votre identité.
- Madame. Soyez sûr du respect que je vous porte mais vous m’avez appelé pour une raison similaire il y a exactement vingt-deux jours quand ma mère a menacé le facteur à coup de canne parce qu’il lui aurait subtilisé le courrier d’un admirateur.
- C’est la procédure, monsieur.”

Gros soupirs. Si c’est la procédure.

“- Donc vous êtes monsieur Lahen…
- Lohengrin. Lohengrin Breckenridge.
- …
- C’est le nom du chevalier au cygne dans la légende arthurienne et accessoirement un opéra de Wagner.
- …
- … Laissez tomber, je vais vous épeler, ça ira plus vite”

Ça aussi, il est absolument persuadé d’avoir eu l’exact même conversation vingt-deux jours auparavant. Et la fois d’avant. Et encore la fois d’avant.

“ Parfait monsieur. Votre mère a été arrêtée par nos services lors d’une descente de nos services dans une salle de paris hippiques clandestins. Il faudrait que vous appeliez son avocat et que vous veniez payer sa caution.
- … Parce qu’elle parie sur les chevaux maintenant ?
- Ah ? Non non . La bookmaker, c’est elle”

Sainte Marie, mère de Dieu

"J’arrive dans vingt minutes"

Il raccroche. Bookmaker. Sérieusement. Bookmaker. Magdalene Breckenridge lui aura décidément tout fait
—

Et sinon ...
— Magdalene Linwood a quitté sa ville natale de Bar Harbor le 18 juin 1964 en tant que jeune espoir américaine de l'Opéra. Soprane, elle avait gagné un concours et une bourse pour étudier à la Juillard School of New York .

— Quand Magdalene Linwood, elle ne s’appelait plus Linwood mais Breckenridge, disait avoir eu une grande carrière (mais bon, en hiver 1980, les amateurs d'opéra, ça courrait pas les rues de Bar Harbor). Elle disait qu’elle avait été mariée à un chef d’orchestre avec qui elle avait eu un fils. Mais que ce dernier avait eu des soucis avec les indépendantistes irlandais et qu’il était mort. En fait, personne ne sait vraiment ce qu’elle a fabriqué pendant 17 ans. Si ce n’est qu’elle est revenue avec un petit garçon sous le bras.

— Lohengrin est donc arrivé à Bar Harbor avant ses un an. Sa vie avec sa mère n’a pas été de tout repos. Maggie n’a pas beaucoup d’argent, est du genre panier percé et parfois parfaitement inconsciente mais on ne peut pas lui enlever un sacré caractère et un courage grand comme ça. Son fils, elle l’a élevé seule et s’est toujours battu pour lui. Quand elle en a eu les moyens, elle lui a payé l’abonnement à la bibliothèque et les cours d’alto qui lui faisaient tant envie.

— Lohengrin n’a pas été un gamin banal, déjà par son nom mais aussi parce qu’il a su lire à 4 ans, les partitions à 5 et qu’on lui a fait sauté une classe dans le primaire (et qu’on lui en aurait fait sauté une deuxième si on avait pas pensé que ça mettrait à mal son confort social). Il s’est avéré aussi qu’il a une mémoire phénoménale.

— Lohengrin n’a quitté Bar Harbor qu'à ses 17 ans après avoir obtenu une bourse complète de l’université de Darthmouth. Il en est ressorti six ans plus tard avec un master en gestion des administration obtenu avec les honneurs et des promesses d’embauche à ne plus savoir qu’en faire.

— On l’imaginait déjà en train de monter les échelons dans les administrations d’État, mais non, Lohengrin est revenu dans sa ville natale pour travailler à la mairie. Il est largement surdiplômé pour l’endroit mais il s’en fiche. Au moins, ça lui a permis de monter les échelons rapidement et d’obtenir la tête du service “administration” de la mairie

—  Il a touché l’héritage de son père à 30 ans. Visiblement, c’était une clause du testament (donc il était vraiment mort, le bougre). Personne ne sait à combien il se chiffrait. Mais Lohengrin s’en est servi pour rembourser les multiples dettes de sa mère, payer les traites de la jolie maison de Cromwell Cove qu’ils occupent tous les deux depuis son retour et il s’est acheté un alto neuf.

—  Rien n’a changé dans la vie planplan de monsieur le chef de service. Il aime sa routine, sa vie calme et ne l'échangerai pour rien au monde. Ou presque