All delighted people

J’étais pas un gars super investis dans la communauté mais cette fois j’avais voulu mettre la main à la pâte en vendant mon charme au plus offrant. J’espérais que mon corps d’Apollon attirerait quelques dons avantageux pour le Criterion. Et puis, il était probable que je me retrouve acquis par une jolie demoiselle et je serais alors gagnant. Et si c’était le cas, ce serait un super cadeau d’anniversaire non ?  

J’avais un peu déchanté en prenant connaissance de mon partenaire pour la soirée. Arden. Un nom de mec. Bon tant pis ! J’espérais que c’était au moins quelqu’un de cool avec qui je passerais une bonne soirée. On m’indiqua que j’avais rendez-vous au théâtre hanté, le Cinéma des Âmes Perdues. Je poussai la porte de la vieille bâtisse qui grinça. « Arden ? » appelai-je à l’intention de la personne que je devais retrouver. Ma voix résonna en écho avant de se perdre. Avec précaution je m’avançai dans le théâtre, suivant un long couloir. Je tombai sur une porte que j’ouvris et y découvrit une lugubre loge poussiéreuse. A l’intérieur un lit. Le matelas semblait sorti d’un autre temps mais m’appelait quand même à m’y poser dessus pour attendre le jeune homme. J’avais passé une journée de boulot assez intense, avec de grosses livraisons de bois et la fatigue se faisait sentir.

Dans mon costume de l’ange de la mort, je m’assis sur le matelas poussiéreux. Le théâtre semblait être calme, peut-être un peu trop d’ailleurs. Mon esprit vagabonda et malgré mes tentatives pour rester éveillé, mes paupières s’alourdissaient. « Une minute. » me murmurai-je en fermant les yeux. Je m’étais dit que j’avais sans doute encore un peu de temps avant qu’Arden n’arrive. Je m’endormis assez profondément pour me laisser happer par un rêve, ou plutôt un cauchemar. J’entendis un grincement d’abord, puis le son de griffes raclant un mur. Ce bruit me glaça le sang instant. « Freddy … » Dans mon rêve, un long couloir se déroulait devant moi. J'essayai de me retourner, mais mes pieds étaient figés, comme si mes chaussures étaient collées au sol. Le bruit des griffes se rapprochaient. J’avais beau essayer de me convaincre que ce n’était qu’un cauchemar, j’avais une désagréable sensation de réel et je n’arrivais pas à me sortir de là. La terreur me nouait l'estomac, chaque respiration devenant plus difficile.

Soudain, un choc brutal me tira de ce cauchemar. J'ouvris les yeux en sursaut, le cœur battant à tout rompre. Je m'étais redressé d'un bond. « Bordel ! » lâchai-je en mettant une main sur ma poitrine dans laquelle mon cœur menaçait de s’extirper. J’étais debout près de la porte. Je comprenais pas trop comment j’étais arrivé là. Je tournai la tête et vit dans la pénombre un Arden qui venait de se manger un mur. A côté de lui, un ballon rouge. Je le regardai, interloqué, essayant de calmer la panique que j’avais en moi. « Ca va, mec ? » m’inquiétai-je. « Je crois que je me suis assoupi, désolé ! Je recommande franchement pas cette maison d’hôte, hyper flippant. » Un petit peu d’humour pour dédramatiser la situation. « T’es là depuis longtemps ? » Je ne savais pas combien de temps j’étais tombé dans mon sommeil. En tout cas il était certain que je ne recommencerais pas cette expérience de sitôt dans ce bâtiment.

Je réprimai un rire en croisant le regard d'Arden posé sur moi. Il semblait clair qu'il évaluait le "lot" qu'il avait remporté, avec un mélange de scepticisme et de regrets. Cela m'amusait. J'aurais moi aussi préféré une compagnie aux courbes plus féminines, mais tant pis ! Ce gamin ressemblait à un poisson hors de l'eau, agrippé à son ballon rouge comme si c'était une lanterne magique. Je me demandais bien pourquoi il trimballait ce ballon partout. « Oui, Deagan, l'ange de la mort narcoleptique, à ton service ! » dis-je avec un sourire amusé tout en me massant la joue pour effacer les traces du matelas.

Arden se releva, toujours agrippé à son ballon, et m'avoua qu'il avait un super plan initialement, mais qu'il avait opté pour cette soirée caritative à la place. Je le sentais agacé par la tournure des événements. Monsieur semblait bougon et peu joueur, puisqu'il me proposa de sortir de là au plus vite pour aller boire une bière. J'étais pas contre une bière, il fallait bien l'admettre. « T'inquiète pas, t'as payé pour une soirée mémorable, alors on va faire en sorte que ça le soit ! Je suis sûr qu'il y a plein de choses sympas dans cette baraque ! »

Arden commença à plaisanter sur le pire qui pourrait nous arriver : tomber sur un grand type armé d'une machette, vêtu d'un masque de hockey. Quelle idée aussi de regarder des films d'horreur à dix ans. Je complètement incensé pour des parents de laisser des vidéos de films d'horreur en possessions d'enfants si jeunes ... « Je pense que le pire truc qu'on risque de croiser ici, c'est une chauve-souris. Enfin, j'espère...» dis-je, prenant une intonation faussement inquiète avant de rire. Je donnai une petite tape dans le dos d'Arden, presque affectueusement, tandis qu'il réitérait son envie de quitter l'endroit pour un bar. « Allez, tu te souviens du chemin que t'as pris ? »

Je regardai le couloir, et, comme si les murs avaient changé de place, je me sentis soudainement désorientée. Aucun souvenir de ce couloir. Je fis un pas vers la droite, où un courant d'air se faisait sentir. Peut-être y avait-il une issue par là, une fenêtre au moins ? Je tournai la tête vers Arden et demandai : « Tu gardes ton ballon ? » Après tout, la petite ampoule LED à l'intérieur éclairait suffisamment pour nous aider dans notre exploration. « Je propose qu'on aille par là. Mais si on tourne en rond, je me dédouane de toute responsabilité ! » dis-je en levant les mains, affichant un air innocent.

Le chemin que nous avions choisi semblait nous faire tourner en rond. Nous nous retrouvâmes face à un cul-de-sac, avec trois portes devant nous. Je lançai à Arden un regard légèrement inquiet avant d'ouvrir une des portes. L'intérieur révélait une table, quatre chaises, et une planche de Ouija posée dessus. Soudain, la porte claqua derrière Arden, et nous entendîmes le bruit d'un verrouillage. « C'est toi qui as fermé la porte ? », demandai-je en m'approchant de la poignée, tentant de l'ouvrir, mais elle était bloquée. Une inscription lumineuse apparut alors sur le mur de la pièce : Communiquez avec les esprits pour trouver la clé.

« What the fuck ? C'est quoi ce bordel ? ». Cette aventure dans ce théâtre prenait une tournure bien trop horrifique à mon goût, et bien trop soudainement.

La soirée commençait à prendre un tournant à la fois absurde et flippant. Voilà que nous étions maintenant enfermés comme des idiots dans une pièce lugubre où on nous invitait à prendre place pour une séance de ouija. Complètement incensé … Mais on se prêta tout de même au jeu. Je regardai d’ailleurs Arden qui s’installait tranquillement à cette table bizarre, son ballon rouge flottant au-dessus de lui comme un halo moqueur. Je ne pu m’empêcher de sourire en coin en le voyant parler à des esprits pour commander une pinte. Ce gars avait du cran … ou bien il essayait juste de masquer sa trouille.

« Une bière avec une rondelle de citron, sérieux ? Peut-être que dans une baraque comme celle-là on pourrait y demander un whisky ! »

Je m’approchai de la table et tirai une chaise avant de m’y laisser tomber, les bras croisés. Mon regard se glissa sur le ouija avant de tapoter distraitement du bout des doigts les lettres de la planche.

« Bon, si on doit jouer à Ghostbusters, autant le faire correctement tu penses pas ? » soupirai-je en approchant mon buste de la table. « Esprit es-tu là ? Si oui, manifeste-toi … Ou bien fais envoler ce ballon, histoire qu’il arrête de s’y accrocher comme à une bouée de sauvetage. »

J’éclatai de rire sans grande conviction que quelque chose se passe. Un coup d’œil vers Arden et j’affichai un petit sourire moqueur sur mes lèvres avant de pointer le ballon d’un signe de tête.

« Je suis pas sûr que ce ballon puisse nous emmener aux pays des merveilles ni même nous aide à nous sortir de là … En plus, vu la gueule de cette pièce et de la baraque, je croise les doigts qu’on tombe pas sur l’esprit d’un vieux projectionniste mort lors d’un film chiant … à mourir ! »

Ma blague était facile, un peu nul mais tant pis. Au moins j’essayais de détendre l’atmosphère pesante qui s’installait peu à peu. Je ne croyais pas aux fantômes, ni aux évènements surnaturels mais quand même cette ambiance était un peu glauque. Je levais mes mains pour invoquais un pseudo esprit en faisant une grimace exagérément dramatique.

« Esprits du théâtre, pouvez-vous nous indiquez le moyen de sortir d’ici ? S’il vous plaît ne nous condamner pas à devenir les prochaines victimes d’un film d’horreur. »

Un courant d’air se fait soudain sentir. Mes plumes frémirent comme pour appuyer cette sensation que je venais d’avoir. Le ballon lui-même se mit à bouger. Je haussai un sourcil et regardai Arden.

« Ok, soit c’est un esprit … soit c’est juste un courant d’air … plus probable à mon avis. »

Le truc sur la planche – dont je ne connaissais pas le nom – bougea alors pour allez vers des lettres sur la planche. Ca c’était encore plus bizarre. Je perdis mon sourire en me demandant si nous étions réellement entrain d’entrer en contact avec un fantôme.