All delighted people

@Morris Woodyard

Encore un nouveau jour qui se lève sur Bar Harbor. Et encore un jour où je bénis le ciel de vivre ici. Depuis dix ans maintenant les jours se suivent et se ressemblent, mais étrangement ça ne m'a jamais dérangé. Réveil, petit déjeuner hyper protéiné, footing d'une trentaine de minutes dans le quartier puis départ pour la salle de boxe. Toujours la même routine d'installation des équipements, toujours dans le silence. Le calme avant la tempête des gants qui s'entrechoquent avec les sacs de frappe, les rebonds des cordes à sauter sur le parquet, les grincements des chaussures sur des appuis un peu trop appuyés... J'ai beau avoir passé la cinquantaine, je suis toujours aussi passionné par ce sport. Et pour finir cette routine de la meilleure des façons, quelques rounds face au sac de frappe. Des enchainements que j'ai l'habitude de réaliser tellement ils sont ancrés dans ma mémoire. Ce qui est amusant, c'est que je ne suis pas le seul à connaitre ces combos, dont quelques uns qui sont devenus ma signature. Morris aussi les connait par cœur. D'ailleurs, c'est le premier truc qu'il m'a dit lorsqu'il m'a vu boxer à la salle. Je venais d'ouvrir depuis à peine quelques jours que lui était déjà là. D'ailleurs si je regarde dans les registres, je pense qu'il est le premier inscrit officiel du Good Boy Gym. Et ça c'est beau.

Morris, c'est un rustre, costaud, robuste, et qui pourtant me regardait au début avec les yeux d'un fan. Des pupilles brillantes au possible, surtout lorsqu'il évoque avec ferveur mes plus belles victoires. J'ai d'abord commencé par être flatté, puis un peu anxieux, avant de finalement réaliser que c'était un mec génial. On est devenus potes avec le temps, et ça va faire une dizaine d'années maintenant. Et justement, aujourd'hui je lui ai réservé une petite surprise. En dix ans à la salle, je lui ai programmé quelques combats amicaux, contre des boxeurs du coin. Et là, le prochain adversaire sera un adversaire d'un standing bien supérieur, parce que c'est un gars d'un des clubs les plus réputés de Boston. En terme de poids et d'âge, ils sont à peu près similaires, et de ce que j'ai vu de ce type, Morris a toutes ses chances de gagner. Je vais attendre qu'il arrive à la salle pour lui en parler, très probablement en fin de journée. De toute façon c'est moi qui ait les clés, c'est chez moi ici, alors si on veut s'entrainer jusqu'à pas d'heures, on a le droit.

La journée débute, les portes de la salle sont ouvertes, et comme chaque jour, c'est un petit défilé d'athlètes qui s'enchaine. Des plus jeunes aux plus âgés, je passe de boxeur à boxeuse, prodiguant des conseils sur la posture à avoir, les gestes à faire et à ne pas faire. Peut-être qu'un jour quelqu'un franchira les portes de cette salle avec une ceinture de champion du monde autour de la taille. C'est mon fantasme absolu. Et ce jour là, je pourrais fièrement accrocher cette nouvelle ceinture gagnée à côté de la mienne, gagnée il y a si longtemps maintenant. Puis j'entends une grosse voix m'interpeller, et en me retournant, j'aperçois la silhouette de Morris, qui est vraiment en bonne forme. Salut camarade, comment tu vas ? Nous nous saluons d'une tape dans la main, puis je lui annonce le programme de son entrainement du jour. Et si tu bosses bien ce soir, j'aurais une petite surprise pour toi.