All delighted people

out of the forest, i come with my flowers

Première décennie (0/10ans) :
Je suis née avec le statut de première et unique fille de mes parents. Je n’avais pas de frères et sœurs mais une ribambelle de cousins et cousines avec qui faire les quatre cents coups. Nous étions comme cul et chemises, toujours fourrés ensemble, jamais l’un sans l’autre. À l’école, on nous appelait le « gang de sang ». C’était enfantin, pas très recherché mais c’était vrai. Nous étions un gang et personne ne pouvait en faire partie sans l’approbation de tous. À l’époque, je ne comprenais pas que ce « gang » que nous formions serait une prison plus qu’un bouclier contre le monde.

Je vivais innocemment, sans comprendre dans quel univers j’évoluais. J’entendais et je voyais des choses que je ne comprenais pas et que je ne cherchais pas à comprendre. Les grandes personnes de mon entourage étaient pour moi des personnes de confiance, indéfectible avec des valeurs fortes qui ne me faisaient douter à aucun moment de leur juste sens moral.

Seconde décennie (10/20ans) :
J’avais treize ou peut-être quatre ans quand j’ai commencé à comprendre que l’argent qui faisait mon bonheur, n’était pas gagné aussi proprement que je le pensais. Mon père, ce chef d’entreprise qui vendait du thé à l’international, n’exportait pas seulement une unique marchandise.

J’avais surpris une conversation derrière la porte du bureau de mon paternel. La conversation entre lui et un autre homme était sérieuse tournait autour d’une « livraison » qui semblait bien plus « dangereuse » que d’habitude. Apparemment les « flics surveillaient les transports ». Mon père mit fin à la discussion en coupant court à toutes négociations. « La poudre » arriverait à bon port et sans embûche. Un « pot-de-vin » auprès de la douane ferait l’affaire.

Décontenancée par ce que j’avais entendu, je me refusais à croire que j’avais compris de quoi il s’agissait. Je laissais cette histoire de côté pendant quelques années… Jusqu’à mes seize ans.

Une soirée était organisée chez un de mes cousins. Comme toute soirée d’ados en crise existentielle, il y avait de l’alcool qui coulait à flots. Plus la soirée avançait, plus la drogue circula. On passa de la marijuana gentillette à la cocaïne sortit de la poche d’un de mes cousins. Je ne comprenais pas comment il avait pu se procurer une pareille chose. « Nos pères en ont des stocks. Ils remarqueront même pas que ça à disparu. » Et là je me souvins de ce que j’avais vu quelques années auparavant. Les pièces d’un puzzle que j’avais longtemps occulté, me frappèrent en plein visage.

J’en parlai avec ma mère. Elle éclipsa la conversation en disant que mon cousin était ivre et racontait des bêtises. Son regard fuyant et son envie pressante de changer de sujet trahissaient ses véritables pensées.

Je ne dis rien à mon père mais je pris conscience de ce que je voyais sans voir depuis des années. Au sein de l’entreprise familiale, au sein de notre maison ou de celles de mes cousins. J’étais en colère mais incapable de faire face. Je m’isolai pour éviter d’être confrontée à la réalité. J’essayais de me convaincre que je me faisais des films car c’était plus facile que de voir mon monde s’effondrer.

À dix-huit ans je m’éloignai de ma famille grâce à mon entrée à l’université. Une université où mes études étaient payées sans aucune bourse par mes parents. Je culpabilisais de construire ma vie d’adulte sur de l’argent sale. Mais en même temps que pouvais-je faire ?

Troisième décennie (20/30ans) :
Je revins auprès de ma famille avec mon diplôme en poche. J’avais suivi des cours dans la gestion des entreprises. La comptabilité n’avait pas de secrets pour moi. Mon père me proposa de l’intégrer à l’entreprise familiale pour gérer l’export/import de marchandises. Je savais que mon père avait une confiance totale en moi et qui de plus fiable que sa fille pour contrôler les possibles irrégularités dans son commerce ? J’avais failli refuser mais cela faisait trop d’années que je me questionnais. C’était l’occasion d’en savoir davantage.

Les comptes étaient parfaits. Rien ne trahissait un commerce illégal. Mais en creusant bien, en ayant une vision d’ensemble à la fois globale et minutieuse je vis tout ce qui se passait dans la partie immergée. L’argent qui se blanchissait, qui entrait et sortait du pays pour ensuite regagner les poches des différents membres de la famille… C’était énorme.

Un jour, un homme charmant prit contact avec moi au travers d’une application de rencontre. Un rencard qui se déroula merveilleusement bien, tout était parfait et tout matchait entre nous, comme s’il me connaissait depuis toujours. Et c’était bien ça le problème. Il savait tout de moi. C’était un membre du FBI qui menait une enquête sur ma famille depuis plusieurs années déjà, attendant le moment ou la personne qui pourrait conduire mon père et ses frères devant la justice.

J’étais rentrée chez moi avec un dilemme. Après un moment de réflexion, je pris ma décision. Il fallait que cela cesse. Les révélations de cet homme étaient accablantes et allaient totalement contre toutes les valeurs que ma famille m’avait inculquées toute ma vie. Ne pas mentir. Ne pas voler. Ne pas être cupide. Ne pas nuire à autrui. Rester sur le bon chemin, droite et fidèle à ses principes.

J’acceptai de livrer des infos durant deux ans sur tout ce que je voyais, tout ce que j’entendais. J’étais discrète et je savais me faire oublier. Je faisais mon travail sans créer de problèmes. Je ne posais pas de questions. Personne n’avait de raisons de douter de ma loyauté.

Quatrième décennie (30 ans à aujourd’hui) :
Ils ont su. Quelqu’un m’a balancé. Je ne sais pas qui m’a dénoncé et je ne le saurais peut-être jamais. J’ai été récupéré en pleine nuit par le FBI qui me dit de faire un sac et de partir avec eux. Je quittai mon chez-moi pour une ville inconnue. J’étais un témoin important et ils ne pouvaient prendre le risque que je sois « éliminée ». Mon père n’oserait quand même pas… Le doute était là. Je ne pouvais pas en être certaine. J’avais trahi ma famille et j’étais en danger.

On me donna une nouvelle pièce d’identité. Une nouvelle histoire à raconter.
Je serais Aurora Mitchell et j’emménage à Bar Harbor parce que j’ai besoin de m’éloigner de la grande ville après que mon appartement est brûlé dans un incendie. J’ai vu cela comme un nouveau départ. Comme je n’avais ni famille et peu d’amis, c’était le moment de commencer une nouvelle vie.