All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
Décembre 2023
Il faisait froid dehors mais la température dans l’atelier était idéale. Suffisamment frais pour qu’elle ne transpire pas alors qu’elle travaillait le bois. Suffisamment chaud pour que ses doigts ne soient pas douloureux alors qu’elle le faisait. Le silence était à peine perturbé par le bruit des ciseaux à bois et de deux respirations qui ne parvenaient pas à s’accorder, l’une expirait quand l’autre reprenait son souffle.Mais Sue-Jean Burke ne s’en souciait pas. Elle ne se souciait pas de grand chose quand elle travaillait, elle tait alors tellement concentrée , tellement prise que peu de choses pouvaient la sortir de ce moment qu’elle semblait passer seule avec elle-même. L’instrument en main elle détaillait, avec toute la délicatesse du monde, la volute de l’instrument qu’elle était en train d’assembler. Il y avait quelque chose de presque intime, de si profondément personnel dans la pratique.

Cela faisait treize ans qu’elle était devenue Luthière. Un peu moins depuis qu’elle avait pris le parti de devenir ébéniste d’art. Aucune importance , jamais en ces treize années elle n’avait perdu cette excitation lancinante qui dévorait tout alors qu’elle travaillait sur un instrument. Pas une seule fois elle ne s’était ennuyée en le faisant et pour tout dire , elle ne pensait pas qu’elle pourrait jamais le faire. Parce qu’elle ne reproduisait jamais deux fois le même objet. Chacun d’entre eux portait en lui d’autres rêves, d’autres aspirations. Il en allait de même quand elle en restaurait et qu’elle tenait entre ses doigts des témoins de moments d’histoires, de tranches de vie.

Avant d’être luthière, la jeune femme avait été musicienne. C’était son amour pour la musique qui l’avait poussée vers l’artisanat. Elle se souvenait encore avec émotion de la première fois qu’elle était entrée dans les couloirs du conservatoire de musique de Barcelone. Elle tenait fermement la main de sa mère, comme si sa vie en dépendait. Elle n’était âgée que de six ans quand elle avait supplié ses parents de l’inscrire a l’école de musique, une révélation qu’elle avait eu après que ces derniers n’aient décidé de fêter leur installation en Catalogne en assistant à un concert de Jordi Savall. Ça avait été un électrochoc et la petite fille qu’elle été était tombée amoureuse. De la musique , de la magnificence des pièces et plus sûrement que quoique ce soit d’autre : de la Viole de Gambe.

Ce concert avait changé quelque chose dans la chimie de son cerveau de manière irréversible et ça avait influencé chaque seconde de son existence. Elle avait insisté encore et encore , promis qu’elle ne ferai plus jamais de caprices, qu’elle ne demanderai plus jamais rien ni pour noël , ni pour ses anniversaires pourvu qu’on la laisse apprendre à jouer de cet instrument et ni son père ni sa mère n’avaient eu le cœur de lui refuser. Alors cette année-là, au mois d’avril , sa maman l’avait conduite au conservatoire, seul endroit où ils étaient susceptibles de trouver un gambiste qui accepterait de la prendre pour étudiante.

Sue-Jean avait rencontré ce jour-là la femme qui changerai sa vie: Montserrat Ibáñez. Un visage fermé et un corps noueux , elle avait de sa voix chuintante affirmé qu’elle ne ferai pas l’effort de lui apprendre dans une autre langue que le catalan et que si elle voulait apprendre , elle ferait aussi bien de s’y préparer. Sa mère s’était outrée , mais Sue n’avait pas bronché. Elle s’accrochait à cette opportunité comme si c’était la seule chose qui comptait dans sa vie. Trente ans plus tard, elle ne regrettait toujours pas cette décision. Ça avait été des années compliquées mais elle avait appris avec une des meilleures , dans une des meilleures institutions d’Europe.

Montserrat voyait en elle une future concertiste de talent et avait mit dans son éducation musicale plus de temps et de passion que n’importe qui, elle avait failli en claquer quand la jeune femme lui avait , à l’âge de 18 ans, rêvélé qu’elle ne souhaitait pas d’une carrière dans la lumière mais qu’elle souhaitait en réalité dédier sa vie à fabriquer des instruments. Sue-Jean ne lui en voulait même pas pour les mots durs qu’elle lui avait craché. Pour tout dire , elle avait surpris beaucoup de monde. Fille d’un diplomate américain et d’une avocate , ayant fréquenté toute sa vie des écoles internationales, obtenu avec les honneurs son bac international, elle était certaine que ses parents avaient eux aussi des ambitions tout à fait différentes pour elle. Ils avaient au moins eu le goût de ne pas les faire peser sur ses épaules.

Ses parents étaient des gens formidables à toutes sortes d’égards, mais c’était surtout pour l’amour inconditionnel et leur appuis sans faille qu’elle était reconnaissante. Jae-ni Jung et Aster Burke avaient fait le voyage jusqu’en Corée du Sud pour l’adoptée, une adoption internationale qui avait plus que certainement été facilité par la double nationalité de sa mère, elle aussi sud-coréenne , née aux USA. Elle avait autour de trois mois quand ils étaient venus la récupérer dans le centre d’accueil de la petite enfance ou elle avait passé les premières semaines de sa vie en pouponnière. Ils avaient choisis de conserver la seule chose que sa mère biologique lui avait laissé , son prénom « Soojin » et avaient seulement américanisé son orthographe pour faciliter son intégration mais elle portait toujours son nom coréen sur ses papiers d’identité. Comme seconde appellation. Quoi qu’il en fut , ils s’étaient consacrés à elle et a ses rêves chaque seconde que la vie avait faite depuis ce jour-là.

Quels qu’aient pu être leurs propres rêves, leurs propres aspirations pour son avenir, ils ne lui avaient jamais fait sentir qu’elle devait s’y conformer et quand elle avait choisis de s’engager dans l’école nationale de lutherie au lieu d’aller a l’université , ils avaient accepté. Sans dire un mot. Ils avaient payé pour elle un appartement proche de l’école et lui rendaient visite chaque fin de semaine , l’appelaient tous les jours; ils avaient aussi soutenu son désir de continuer a étudier la musique et la fin pour elle des cours de solfège obligatoire avait libéré de la place pour plus de pratique encadré et elle avait rejoint a 19 ans l’orchestre de chambre du conservatoire de Madrid.

De ses six ans où elle avait quitté New York city, à ses 26 ans quand elle était retournée s’installer dans la Grande pomme , seule, elle n’avait plus jamais remis les pieds aux USA, ou seulement pour des vacances. Ironiquement , elle avait désormais un léger accent espagnol quand elle parlait anglais.

Cette constatation lui arracha un petit rire et elle pris quelques temps pour observer sa sculpture. Son esprit s’attarda sur la respiration de la seconde personne dans la pièce, comme pour voir si leurs respiration s’étaient synchronisées et le fait que ce ne soit pas le cas déclencha un étrange sentiment chez elle.

Son esprit erra de nouveau.
Elle songeât a ce voyage prolongé aux états Unis vingt-deux ans plus tôt. Le troisième évènement le plus marquant de son existence. Quatorze ans après sa propre adoption , quatorze ans de démarches et de faux espoirs , le couple Burke avait reçu un message d’une agence d’adoption américaine qui leur avait accordé l’adoption d’un petit garçon.

Comme la musique qui avait changé son existence, Arden était arrivé un matin d’été et l’univers avait changé son axe une nouvelle fois. La famille était rentrée a new-york et s’était accordé huit semaines de répis à Bar Harbor. C’était peut-être pour ça qu’elle s’y sentait si bien désormais. Cet endroit avait été tellement important pour elle.

Arden avait seulement douze ans quand Sue-Jean s’était vu offrir une chance de travailler comme luthière dans les ateliers de Juillard et qu’elle était repartie, seule , pour les États Unis. Ça avait sans doute été la décision la plus difficile qu’elle avait prise de sa vie, mais elle devait avancer. Et comme elle était une adulte responsable, leurs parents avaient envoyé l’adolescent chez elle pour les vacances, elle les visitait autant qu’à son tour au moins une fois par an.

C’était avec le même accord qu’elle avait déménagé à Bar Harbor six ans plus tôt , pour ouvrir son propre atelier de lutherie et d’ébénisterie d’art. Elle avait une clientèle qui était prête a voyager et à payer cher en frai d’envoi pour avoir son instrument confectionné ou réparé par elle et elle sauta sur l’occasion de s’éloigner de l’agitation de cette grande ville qui ne lui convenait pas , elle qui avait vécu toute sa vie dans un pays ou les villes avaient une taille autrement plus humaine.

« je pourrais l’essayer ?»

la voix d’une autre femme la fit presque sursauter alors qu’elle revenait a elle. Lentement, elle avait pivoté son corps , s’adossant à son plan de travail pour observer celle qui avait élu domicile dans la chaise de son bureau. Elle ne se souvenait même plus de pourquoi elle l’avait laissé s’attarder.

« Tu ne sais même pas jouer du violoncelle.
— Et alors ?
— ça ne me plait pas.»

ce n’était ni méchant , ni violent, pas même acide. Mais cela sonnait aussi froid que le constat était simple. Elle n’aimait pas l’idée que cette inconnue pose ses mains sur quelque chose qui lui tenait autant à cœur. Elle n’appréciait pas non plus sa présence dans cet endroit qui était certainement le plus intime qu’elle possédait. Elle se demanda si cela l’avait toujours dérangée, mais elle ne s’en souvenait pas.

« Je pense que tu devrais t’en aller.
— t’es vraiment une connasse.
— Si c’est ce que tu penses je n’y peu rien.
— c’est tout ce que ça te fait ?ça fait deux mois que je supporte ton …caractère et tu me demande de partir ?!
— Oui.»

elle ne précisa pas à laquelle de ses questions elle répondait. Probablement les deux. Elle ne sursauta même pas en entendant claquer la porte de l’atelier.

le silence était revenu et désormais seul le bruit de sa respiration le perturbait.

Sue-Jean adora cela