All delighted people

La nouvelle de l’arrivée de Jasmine à Bar Harbor avait déclenché en moi une grande joie, mêlée d’une pointe de mélancolie. Notre histoire, passant d’un flirt à une relation, puis à une amitié sincère, avait survécu à l’épreuve du temps et à la distance. L’annonce de sa candidature à un poste au sein de la mairie de BH m’avait donné une raison d’espérer. Non pas à ce que nous avions été à Miami, mais d’espérer pouvoir écrire un nouveau chapitre de vie avec elle, dans cette amitié grandissante.

Étant sur place, je m’étais empressé de me donner le rôle d’éclaireur pour les visites de logements. Elle faisait des choix et j’allais sur place pour lui faire le tour du propriétaire en visio. Une drôle et amusante expérience. Une fois son choix arrêté, il ne lui fallut pas très longtemps pour emballer ses cartons et se les faire expédier ici avec elle et sa fille.

Un petit sachet de viennoiserie dans l’une de mes mains, deux boissons chaudes dans l’autre et ma trousse à outil dans mon sac à dos, c’est ainsi que je me présentai à son logement. Je sentais mon cœur battre à une petite vitesse anormale dans ma poitrine, une vitesse à la fois effrayante et satisfaisante. Tel un enfant le jour de noël j’étais tout impatient de la revoir après tant de temps. Mais j’étais aussi un peu nerveux car le temps avait passé et que c’était différent que derrière un écran. La porte était entre-ouverte. Je frappai poliment et pénétrai à l’intérieur de l’appartement. Les cartons, témoins du chaos du déménagement, étaient éparpillés dans une certaine désorganisation.

« Jasmine ? » appelai-je dans ce qui semblerait être son salon.

Ma voix résonna légèrement dans cette pièce encore étrangère. Guidé par le bruit de mouvement, je m’avançai vers dans un petit couloir et bifurquai dans une chambre. Elle était là, entrain d’essayer de monter, à priori, le lit de Sapphire. Cette dernière tentait maladroitement d’aider sa mère en lui tendant quelques outils.

« Alors ça s’en sort par ici, mesdames ? » dis-je avec un sourire dans la voix.

Je me mis au sol auprès des filles, déposai les cafés et les viennoiseries. Mon regard captura les leurs un à un et je retrouvai dans les yeux de mon ami ce lien que nous avions dans le passé. Cela m’apaisa et mon cœur sembla se calmer légèrement. Je fus envahi d’un brin de nostalgie en repensant aux différents moments partagés. Je me défis de mon sac à dos et le laissai tomber lourdement sur le sol.

« J’ai rapporté de quoi nous donner du courage ! »

Je poussai le petit sachet de nourriture vers la petite fille avec un large sourire pour l’inciter à piocher dedans. A Jasmine, je tendis l’une des deux boissons chaudes.

« Le premier d’une longue lignée qu’on partagera j’espère ! »

Je pris la mienne dans ma main et trinquai doucement, un geste symbolique qui scellait ce nouveau départ pour nous tous, ici à Bar Harbor. Je passai un bras autour de ses épaules et la serra chaleureusement contre moi, le temps d'un instant.

La vision de Jasmine, totalement absorbée par l’installation de son nouvel environnement, me procurait un sentiment de bonheur. Elle semblait être une petite force tranquille au milieu du chaos des cartons et des meubles en attente de montage. La joie non dissimulée de Jasmine me fit sourire. Voir son visage éclairé par la joie, semblable à celle que j’avais connue à Miami, me fit sourire avec une affection profonde. Pétillante, avenante, toujours pleine d’énergie, elle avait cette capacité à illuminer ma vie à chaque fois que je la voyais. Je me laissais aller à son étreinte, réalisant combien sa proximité m’avait manqué. Les réseaux sociaux avaient maintenu le lien entre nous, mais rien ne pouvait remplacer la chaleur de son sourire en face de moi. Voir son énergie et sa joie si sincère me remplissait d’un étrange mélange de bonheur et de mélancolie.

« Tu es une bien grande fille ! Tu as quel âge maintenant ? Trois ans c’est ça ? » demandai-je à Sapphire en me penchant à sa hauteur, un sourire malicieux aux lèvres, attendant avec amusement qu’elle me corrige.

Cela ne manqua pas. Ses petits doigts s'agitaient fièrement pour montrer le bon nombre. Cela m’amusa. L’innocence des enfants, ce franc parler était quelque chose de rafraîchissant dans ce monde trop souvent sérieux.

« Est-ce qu’elle n’aurait pas récupérer quelques jolis gènes de sa maman à tout hasard ? » dis-je en me retournant vers mon amie avec un petit sourire à la fois amusé et charmeur.

Mes mots étaient légers, mais mes yeux cherchaient les siens, espérant peut-être inconsciemment y lire une étincelle de l'ancienne flamme qui nous avait autrefois unis. Une étincelle que nous avions éteinte d’un accord commun.

« Bon, alors, quelle est la stratégie ? Je suis tout à toi pour la journée. Montage de meubles, déballage, n'importe quoi. Je suis pas très doué en déco, mais je suis assez bon pour suivre des instructions ! »

Jasmine énuméra les tâches déjà accomplies et celles qui restaient à faire. Il ne semblait pas y avoir énormément de travail mais par expérience je savais que ça pouvait prendre plus de temps que prévus à certains moments. On avait pas de temps à perdre si elle voulait avoir un minimum de confort pour cette nuit.

« Tu vas voir d’ici ce soir, tu auras un vrai chez toi accueillant ! »

J’étais plein d’énergie et je comptais pas bien utiliser cette énergie à bon escient. Je ramassais ma boite à outil prêt au service. Je bombais le torse en me simulant être un petit soldat attendant ses ordres.

« Allons-y, chef. J’attends ma première mission. Tu veux un coup de main ou bien j’attaque sur un autre assemblage ? »

Jasmine me proposa de commencer à monter la penderie de Sapphire le temps qu’elle termine son lit de celle-ci. D’un geste de la main j’acquiesçai, prêt pour cette première mission. Cela fit rire timidement la petite fille et je lui fis un petit clin d’œil amusé. En prenant place dans ce nouveau décor, je sentais qu’une nouvelle page dans ma vie s’ouvrait. Je pris les paquets de planches à assembler, sortis les vis de leur boite et la visseuse de son étui. Avec précaution je me mis au travail.

« Peut-être qu’une fois que nous aurons finis, s’il n’est pas trop tard, on pourra aller faire un tour sur la plage. On aura peut-être fini pour le coucher du soleil ! »

Je n’avais pas envie de rompre ces retrouvailles de sitôt. Nous avions tant à nous dire, tant à partager et chaque seconde à ses côtés me rendaient heureux. Même après notre rupture, Jasmine avait gardé une place particulière dans ma vie, dans mon cœur. J’espérais que dans la douceur de Bar Harbor notre relation deviendrait plus forte qu’elle ne l’était jusque-là.

« Quand est-ce que tu commences le travail ? »

Cette question n’était pas anodine. Non elle se voulait curieuse et intéressée. Je voulais savoir combien de temps nous avions avant que nos emplois du temps professionnels ne viennent nous mettre quelques bâtons dans les roues. J’avais pris quelques jours de vacances pour l’aider dans son emménagement et être le plus disponible possible. Je savais qu’avec mes horaires de nuit il m’aurait été plus difficile d’être présent comme je le voulais. Je voulais que ces retrouvailles soient de qualité. Je voulais pouvoir retrouver mon amie dans les meilleurs conditions possibles.

Une fois l’installation finit dans la chambre de Sapphire, Jasmine m’annonça que la prochaine étape était sa propre chambre. Ce moment d’entraide, de sympathie qui se déroulait en ce moment-même me submergea d’émotions positives. Les mots complices que nous avions passés à Miami m’avaient bien plus manqué que ce que j’avais pensé. La jeune maman demanda à sa fille si elle préférait rester dans sa chambre pour jouer ou nous suivre dans la prochaine pièce. En attendant la réponse de la fillette, on se dirigea vers la chambre de Jasmine. Je ne pu réprimer un rire à sa remarque sur les limites de nos retrouvailles.

« Compris, chef ! Je respecterais les frontières pour ne pas créer d’incident diplomatique. » lui dis-je en reprenant les métaphores militaires utilisées plus tôt.

Je savais qu’elle était ma place dans la vie de Jasmine et son amitié était bien trop importante à mes yeux pour gâcher cela avec de stupides idées. Nous avions mis fin à notre relation quelques années auparavant et ça avait été pour le mieux. Les choses continueraient donc ainsi … même si je ne pouvais pas ignorer le sentiment nostalgique qui s’emparait de moi.

Pendant que Jasmine se chargerait du bureau, je m’occuperais de monter l’armoire, bien plus lourde et imposante. Je déposai la boîte à outil sur le sol. Sortis ce dont j’avais besoin pour ne pas avoir à les chercher et m’attaqua au montage. La jeune femme m’informa de ses quelques jours de répit avant de commencer le travail.

« Ca nous donnera un peu plus de temps de retrouvailles avant de s’enliser dans le train-train quotidien ! » J’étais impatient de lui faire découvrir les environs. J’étais persuadé que Bar Harbor allait lui plaire. « Tu as trouvé un mode de garde pour Sapphire ? »

Je réalisais que n’ayant pas d’enfants, je ne savais même plus si la petite pouvait entrer à l’école ou bien si elle devrait être garder dans un jardin d’enfant ou une nourrice durant le temps de travail de sa mère.

J’assemblai deux planches puis deux autres afin de pouvoir associer les deux duos. J’avais bien progressé en bricolage depuis que je bossais à la scierie. J’étais assez fier d’être devenu un homme un peu plus manuel que je ne l’avais été dans le passé. C’était toujours utile d’avoir quelques compétences dans ce domaine, comme présentement par exemple.

« Tu sais ce qui m’a paru le plus bizarre en arrivant à Bar Harbor ? » je me tournai de trois-quarts afin de me trouver face à mon amie. « La vie ici avant au ralenti. Par rapport à Miami, j’avais l’impression que tout était plus lent. La vie, les gens … Mais on y prend goût et je crois que je pourrais difficilement retourner habiter dans une grande ville. »

Je serrais une vis, fixant solidement un coin de l’armoire. Je ne pouvais m'empêcher de repenser à Miami, où tout semblait plus compliqué. Ici, j’avais presque trouvé un sentiment de sérénité que j’avais perdu depuis bien longtemps. Sans doute, depuis le décès de mes parents. Je levai l’encadrement de l’armoire pour y insérer les planches servant d’étagères.

« Nate n’était pas trop triste que tu déménages ici ? Ca lui donnera peut-être l’envie de nous rejoindre qui sait ! Imagine-nous, tous les trois à BH comme au bon vieux temps. Ce serait cool, non ? »

Un sourire se glissa sur mes lèvres. J’avais régulièrement des nouvelles de mon demi-frère mais il était vrai, de même que pour Jasmine, que je m’ennuyais de ne pouvoir l’avoir près de moi. Je venais à peine de le découvrir lorsque j’avais dû quitter Miami. Nous avions continué à faire connaissance via les réseaux au cours des dernières années, mais ce n’était pas pareil que de se voir en vrai.