All delighted people

Quand on visite une ville de taille moyenne ou un quartier aux États Unis et au Canada, il y a des lieux à ne pas louper. La place principal ou l'artère principale avec tout ce qui s'y passe de manière imperceptible . L’église, festival du paraitre de la communauté où il faut être vu et voir. Et les bars parce que tout le monde y parle de tout et de rien sans se soucier des oreilles qui trainent. C'est à se demander pourquoi il n'y a pas tant de barman scénariste de série ou écrivain. Ils sont pas tenus au secret professionnel, contrairement aux avocats et au médecin. Même si bon, Gideon, le secret professionnel parfois, il l'oublie un peu. Sinon, y'aurait pas eu un tel débat familial sur la somme exact à réclamer aux assurances après son accident. Limite, il est persuadé qu'ils se sont fait une visio commune pour débattre de ce point crucial alors qu'il était certes plus dans le coma mais encore dans le cirage. C'est qu'ils aiment bien décider pour lui depuis qu'il a eu son accident. Il n'aime pas trop mais il n'ose pas dire non. D'autant qu'il y en a qui font peur quand on leur dit non. Genre, vous avez déjà essayer de dire non à Enoch ? Lui, pas, il préfère louvoyer. Peut être parce qu'Enoch est son "vrai" frère génétiquement parlant. En tout cas, c'est ce que disent les extraits de naissances américains. Parce que physiquement, y'a certes un truc dans les yeux mais un peu comme tous, ça vient du Pasteur. Le regard, un truc imperceptible, qui dit qu'ils ont le même père. Mais par contre rien d'autre dont ils auraient pu hériter de leur mère commune. Ou alors ils ont hérités de deux trucs différents. Va savoir. Quant au caractère, c'est le jour et la nuit. Ira, le jour. Enoch, la nuit.

Nonobstant, Gideon n'est pas une norme dans le monde des avocats (et encore heureux parce que les procureurs auraient du soucis à se faire) et avec un peu de chance, y'aura pas d'avocat au bar devant lequel Ira s'est planté. Parce qu'il a besoin d'un bière. Et puis si le bar sert à manger, il est vraiment pas contre, parce que mine de rien, il est 18h, qu'il a passé la matinée dans son nouveau chez lui à palier au plus urgent (genre identifier l'épicerie, le supermarché et autres commerces de bouche pour remplir le frigo et aller faire les dites courses) et après un déjeuner succinct parce qu'il est toujours très nul en cuisine et une sieste à chat, il était reparti dans son exploration, sans sa canne parce qu'elle est gênante, dans son exploration de la ville. Elle attire des regards condescendants dont il se passerait bien. Puis imaginez si c'est la première image qu'il renvoie à Eryn s'il la croise. Lui, tout cassé avec une canne de vieux. Un peu plus et elle ne le reconnaitra pas . Ou pire. Elle ne voudra pas de lui. Terrible. Affreux. N'y pensons pas. Pas de canne.

Ira passe la porte de l'endroit, observe. Il y a du monde. Un peu. Des têtes qui se tournent vers lui. Normal, il est nouveau en ville (et intimement persuadé qu'ils se connaissent tous) (d'ailleurs, ça doit pas être simple pour les flics du coin de se mettre en planque, on doit les repérer à des kilomètres... l'enfer). Par chance, ou parce qu'il ne paie vraiment pas de mine, on se désintéresse de lui assez vite de lui et on retourne aux discussions ou autres activités que propose l'établissement. Ira se pose au comptoir, sa jambe semble coopérer pour grimper sur un tabouret de bar.

"Excusez-moi , je pourrais avoir une pinte de bière blonde ? Et un truc pour grignoter avec, ce que vous voulez, ce sera parfait."

Il pose son menton sur son bras, de trois quart, continue son observation discrète des lieux. Quelque chose lui dit que les touristes fréquentent rarement ce lieu. Peut être qu'il est le premier. Ça ne l’empêche pas de repérer deux trois trucs pas forcément très net. Donc ce bar ne serait pas un simple établissement. Pas qu'il faille présumer son flair mais les habitués sont un poil trop suspicieux à son égard. Dans quoi s'est il encore fourré, hein ? La technique, dans cette situation, c'est de taper la discute' avec le barman, sans poser de questions équivoques qui ferait devenir suspect. Ça va. Ça reste dans ses cordes. Il pose son téléphone sur le bar pour surveiller un peu l'heure, faudrait pas laisser Hyrum trop longtemps tout seul. Hyrum dont la trombine orne l'écran de veille du téléphone. Ok, les photos , ça ne vole QUE l'âme des humains. Les chats, c'est bon. Pis Hyrum, il est si photogénique, si ... chat. Barman, on a dit.

"Vous avez pas souvent de nouveau ici ? J'ai l'impression d'avoir déranger un truc ou quoi ... Si c'est le cas, j'en suis désolé. J'ai un frère qui fait le même taff que vous à Toronto. Il dit qu'il aime pas trop les nouveaux clients parce qu'il sait jamais sur quel pied danser avec eux. Ça vous fait ça aussi ? Ou alors, c'est mon frère qui est un barman étrange. Si y'avait que ça, ça se saurait, remarque ..."

Eeeet son téléphone se remet à vibrer. Nouvelle salve fraternelle . Heureux ou Heureuse gagnant.e ? Temperance, ce qui monte son compteur à 34 appels.

"... Désolé. C'est ma sœur. Je réponds pas, ça l'énerve, elle insiste, et je sais pas virer les vibrations de ce bidule. Vous savez vous ? "

Bon déjà, un bon point, le type répond , de manière plutôt avenante en plus . Certes , il est barman et théoriquement, faut avoir un bon feeling client pour ce genre de métier, c'est pour ça qu'Enoch sera jamais barman alors qu'Hyrum (l'humain) (quoi que le chat irait aussi), oui, à partir du moment où il est pas sous emprises de quoi que ce soit , il est presque sociable. Presque. Moins que Salathiel. Mais presque quand même. En tout cas, il en profite pour lui expliquer le pourquoi du comment, même si Ira, sous ses airs benêts, a plus ou moins compris où il mettait les pieds. Mais bon, il n'est pas en service, il ne le sera plus jamais, rien ne lui interdit de foutre les pieds ici jusqu'à nouvel ordre, même pas une hiérarchie laissée à Toronto, loin des yeux, loin du cœur, loin des archives surtout, cet endroit du démon, bien plus terrifiant qu'un bar de motard, c'est lui qui vous le dit.

"J'avoue que je fais un peu le tour des bars pour me faire une idée des endroits qui me vont le plus pour boire un peu et discuter. Je suis un peu bavard , il parait..."

Il parait. Seulement "il parait" ? Ira hausse les épaules. Il parle de lui un peu, c'est une concession, une manière de montrer patte blanche aussi un peu. Puis ce n'est pas donner beaucoup d'information que de dire qu'il est bavard, d'autant que le pauvre barman s'en serait aperçu bien vite, de cette particularité.

"De fait, je ne peux pas demander aux habitués et aux employés d'un même endroit de me supporter tous les soirs de la semaines. Mes frères et sœurs me le disent souvent, que je parles trop. En même temps, c'est normal, on est plus d'une vingtaines, donc ça fait beaucoup de gens qui répète une même information. Notez qu'ils sont pas d'accords entre eux et avec eux même. Parait il qu'il fallait que je prenne l'air et bla et bla. Maintenant que je suis ici pour prendre l'air, justement, il n’arrête pas de m’appeler et je suis persuadé que je vais me faire engueuler si je décroche. D'autant que , comme ils sont nombreux, surtout si on ajoute les +1 et les enfants, ils ont la force de frappe d'un call center pour Windows frauduleux en Inde. Vous avez déjà eu ce genre d'appel ? ... Merci pour le téléphone au fait . Ou ce genre de message qui apparaissent sur l'écran ? J'avoue que je ne comprend pas trop comment les gens tombent dans le panneau. Fin, si les mecs continuent c'est qu'il y a une personne sur mille qui tombe dans le piège. C'est comme ça que ça marche dans ce genre d'arnaque. On fait du chiffre et on voit qui répond. Et c'est encore pire pour ceux qui visent les entreprises. Parfois il suffit d'une personne et hop, c'est terminé. Et puis c'est pas la faute à l'informatique ou quoi, ça existait déjà avant. On m'a racontait qu'en ... France je crois ... fin en Europe du moins, y'avait ce qu'ils appelaient la lettre de Jérusalem. Parce que des prisonniers , dans la prison de la rue du même nom, envoyaient des lettres en se faisant pour un type très riche mais dans le besoin, demandant secours avec une somme d'argent moyenne et en faisant espérer rétribution à la future victime. Comme quoi, internet a rien inventé. Juste, l'escroc ne se trouve plus dans la prison du coin mais dans un pays lointain."

Il avait demandé quoi le barman déjà ?