All delighted people

out of the forest, i come with my flowers



Cher journal...

Il paraît que c'est comme ça que l'on commence à écrire sur un journal intime. Je ne fais que mettre en pratique les conseils de mon psy. Poser sur des pages blanches l'histoire de ma vie. Comme si cela allait avoir un impact significatif sur ma psychologie. Je suis pessimiste, mais je veux bien me prêter à l'exercice. Le psy m'a fait comprendre que lire mes mots pourra m'aider à percevoir les points positifs de ma vie. De peut-être faire table rase du passé. Même si sur ce dernier point, j'émets de sérieux doutes sur le sujet. J'ai déjà mal à la main après avoir écrit ces mots. L'ordinateur me paraît plus utile pour le coup. Mais il semble que mon écriture donnera un impact réel à mon cerveau.

Très bien. Commençons l'exercice.

Mon enfance n'est pas particulièrement intéressante. C'est un passage que l'on dit doux à l'oreille et à l'esprit. Passage d'innocence et d'une naïveté certaine. Je n'irais pas contre le fait que j'ai eu une belle enfance. Sans fausse note. Mes parents se sont aimés, tout du moins, je le pense. À moins qu'ils aient bien joué le jeu du mensonge. Pour tout vous dire, j'ignore encore quoi penser sur le sujet. Ce dont je me souviens, c'est que j'ai toujours été une enfant pleine d'énergie et téméraire. J'ai dû faire naître pas mal de cheveux blancs à mes parents, tant le concept de danger me semblait dérisoire. Je suis beaucoup tombée, mais j'ai su me relever. En pleure peut-être, mais il n'était pas étonnant de me revoir produire le même trajet pour affronter les petits dangers d'un enfant.

Ma version de l'enfance, c'est un doux passage comme une berceuse qu'un bébé aime entendre avant de s'endormir et qui continue à avoir de l'effet quand vous êtes adulte. Un adulte qui recherche un sentiment d'apaisement. Il nous arrive à tous de chanter la berceuse que notre mère pouvait nous chanter avant que l'on ne s'endorme. Comme un doux murmure à son oreille.

Je vais donc passer cela. Parce qu'il ne m'est rien arrivé de marquant. Si ce n'est un passage à l'hôpital pour me faire opérer de l'appendicite. Je ne me souviens pas de grand chose de ce moment si ce n'est que j'ai beaucoup pleuré et que cela m'a fait très mal.

J'ai toujours été proche de ma mère, c'est un fait que je ne peux pas oublier. Nous avons le même caractère et bien entendu, nous savions comment l'une ou l'autre allaient réagir. J'étais même assez fière de son métier. C'est grisant quand on dit que sa maman est policière et que rien ne lui fait peur. Pour un enfant, c'est toujours magique. Et même en grandissant, je maintenais ce discours avec une ferveur toujours plus grande. Tout était parfait jusqu'à ce que tout s'écroule à l'âge de 16 ans.

Vous savez cette phrase que l'on lit parfois. Quand l'enfer ouvre ses portes, il vous engouffre et vous brûle avant même de plonger dans les flammes. Je l'ai lu quelque part, mais je ne me souviens plus d'où.

Au cours de l'année 2015, ma mère a changé du tout au tout subitement. Je n'ai jamais su pourquoi, mais à peine pouvais-je me poser sur ce mystère, que celle-ci a été arrêté pour meurtre. Elle, la policière dont j'étais si fière.

À 16 ans, nous ne sommes pas encore prêts pour affronter le monde. Nous ne sommes que des apprentis et les parents, les instructeurs censés nous guider. Je n'ai pas eu le droit à cela. Tout du moins, cela a été stoppé avant même que je puisse en profiter pleinement. Beaucoup de choses m'ont été arraché au moment même où l'on a passé les menottes à ma mère. Je ressens encore l'incompréhension me prendre. C'est comme si vous deviez faire face à un deuil. En suivre les quelques étapes d'un événement qui marque et sera la base d'une nouvelle construction. La colère m'a longtemps poursuivi et le comportement des autres ne m'a pas aidé. Les amis que j'ai pu avoir m'ont tourné le dos. Tous sauf un qui ne m'a jamais lâché. Lorsque votre vie change à cause d'une histoire comme celle qui a marqué ma famille et qui la marque toujours, on se sent obligé de se défendre. De lever les poings. De grogner contre le monde et de mordre fort si besoin. Je ne compte plus le nombre de bagarres qui a éclaté à cause de cela. Je ne me suis jamais laissée marcher sur les pieds et il m'arrivait à l'époque d'être violente autant que les mots que l'on avait à mon encontre ou contre ma famille. En particulier mes sœurs.

Si je n'avais pas eu mon ami et le sport, je pense que j'aurais très mal fini. Plus j'étais en colère et plus je pratiquais. Le stade de mon école me voyait plus souvent que ma famille. Je courais jusqu'à perdre mon souffle et sentir mes poumons brûlaient autant que l'enfer dans lequel nous avions tous plongé. Le divorce de mes parents n'a même pas été une surprise. Après ce que maman avait fait, j'ai suivi mon père. Même si la curiosité me poussait à savoir. À me poser un tas de questions.

On cherche toujours une raison à tout. Mais au fond, les réponses que l'on trouve finissent par engendrer de nouvelles interrogations. Cela devient fatiguant. Alors pour mon propre bien-être, j'ai mis un ruban, affaire classée, dans ma tête. Mais ma sœur aînée lisait tout ce qu'elle pouvait trouver et quand je le découvrais, je m'énervais contre elle. Elle se faisait du mal pour rien. Et par extension, c'était nocif pour tout le monde.

Vers la fin de mes 17 ans, j'ai découvert une vérité qui a eu un impact conséquent sur ma vie. Où le mot dégoût prenait un sens plus grand encore. La déception semblant être une tradition dans la famille. Mon père, cet homme, qui prônait l'honnêteté et la bonne conduite, s'est trahi lui-même lorsque je l'ai vu avec une autre femme et une fille qui l'appelait papa. Au vu de l'âge de la gamine, j'ai rapidement compris que mon père nous mentait depuis des années. Que ma mère le savait ou non, elle nous avait caché la vérité. Agissant en femme stupide en pensant qu'en ne disant rien, cela allait effacer la tromperie d'un homme sur lequel je voulais cracher à la figure. En fait, plus les choses avançaient et plus j'en avais assez.

L'école. La famille. Cette vie. Tout m'enchaînait douloureusement. Je ressentais le besoin de partir très loin. Au moment où je me posais cette question, mon meilleur ami devait partir pour suivre son oncle dans une ville des Etats-Unis nommée Bar Harbor. Il ne pouvait plus rester à Toronto après le décès de ses parents dans un accident de voiture. J'avais mal, mais je comprenais. Nous nous sommes promis de toujours rester en contact. Une promesse que nous avons toujours tenu. Même si moi, je suis de retour à la vie civile et que lui a décidé de poursuivre son chemin dans l'armée avec des objectifs aussi clairs que ceux que je peux avoir.

Secrètement, à l'écart de mes sœurs, j'ai mis mon père face au mur en le confrontant à la réalité, photo à l'appui. Photos, mais aussi une vidéo. À présent, je décidais comment lancer les dés et il n'avait plus qu'à respecter mes décisions s'il ne voulait pas que je dévoile sa trahison. En fait, ce n'était que le début d'un jeu qui me permettrait de m'éloigner.

Durant l'été de mes 18 ans, avec l'argent économisé avec mes petits boulots, je suis partie à Bar Harbor pour aller voir mon meilleur ami. Son oncle a été particulièrement adorable de bien vouloir m'accueillir. En fait, je crois que je me sentais bien mieux chez eux que dans ma propre maison. Avec mon meilleur ami, je retrouvais de bons repères lui révélant même pourquoi tout avait changé. Sans lui pour me pousser sur une pente plus positive, je crois que j'aurais fait n'importe quoi. C'est ensemble à ce moment-là, qu'on s'est renseigné pour intégrer l'armée. Plus la personne qui m'a reçu me parlait et plus je me sentais emporté. J'y voyais une porte de sortie, mais un avenir aussi. Quelque chose qui répondait à toutes mes attentes. Moi, la gamine qui ne tient jamais en place. Ayant obtenu mon diplôme, je pouvais faire ce que je voulais. Je n'ai jamais été comme mon aînée à être du genre scolaire et tranquille sur un banc. J'ai toujours eu besoin d'action. Que cela bouge. Et l'armée pouvait m'offrir tout cela, mais aussi des formations à plusieurs métiers.

Je suis retournée chez moi, parce qu'il le fallait bien et je voulais revoir mes sœurs et tous ceux qui sont encore à Toronto. Le temps de remplir les papiers et préparer le terrain. Mes sœurs ne connaissaient que ma partie de l'histoire. À savoir que je voulais entrer dans l'armée de terre aux USA.

Pourquoi si loin ?

Bien sûr que la question fut posée, mais j'ai simplement répondu que le goût de l'aventure me prenait aux tripes et que là-bas, j'entrerais avec mon meilleur ami. De quoi peut-être les rassurer, je ne sais pas. Mais en me regardant, mon père savait pourquoi. Oui, il savait que plus j'étais loin de tous ces mensonges, plus je m'en sentirais apaisé. Mais j'avais aussi ce sentiment que ma famille était devenue problématique pour moi. Parfois, même si l'on aime certaines personnes, il faut savoir s'éloigner d'une situation pour ne pas plonger dans le mauvais bassin.

À 19 ans, je prends le large avec quelques affaires. De retour aux USA où l'oncle de mon meilleur ami était d'accord pour m'héberger connaissant très bien mes projets. Ensemble avec mon meilleur ami, on s'engage donc dans l'US Army réussissant les tests donnés par l'armée. Nous étions tous les deux de bons sportifs et loin d'être bête alors ce ne fut qu'une formalité. Quand la véritable formation a débuté, oui, on a été poussé à bout, au plus loin de nos retranchements. La tendresse n'était pas de mise par nos instructeurs. Et pourtant, j'adorais souffrir. Non, je ne suis pas maso. Mais quand le corps est poussé dans un épuisement extrême et que l'on réussit, il y a un sentiment indescriptible qui vous prend. Même le cerveau en pause pour que le corps avance. Croyez-moi, c'est un exercice qui fait du bien. Surtout quand, comme moi, j'ai tendance à trop penser au point de me donner mal à la tête. Quand on a un moment de repos, on est plus tenté par se reposer qu'à continuer de penser.

Des semaines à se donner à fond. À pousser notre corps à bout. Maniement des armes. Combat. Tactiques sur le terrain. Tout ça avec les hurlements des instructeurs. Par tous les temps, on a dû s'entraîner à faire face à des situations que nous pouvions potentiellement affronter une fois sur le terrain. Mais encore à ce moment, je ne pense pas que l'on se rendait compte que cela pouvait être vrai. On ne pouvait même pas imaginer malgré les entraînements.

Durant mes entraînements, on m'a mis en binôme avec Roxy, un berger belge malinois. C'est plutôt elle qui m'a choisi. Sans moi, elle aurait été donné à un refuge, car il était difficile pour elle d'obéir tout le temps. Une petite rebelle. Un cœur semblable au mien. Bien sûr, les débuts n'ont pas été simples, mais on a su trouver le même chemin à emprunter, à s'apprivoiser l'une et l'autre. J'ai pu passer une formation de maître chien avant de prendre le chemin de la police militaire.

Oui, je me suis étonnée moi-même à suivre un chemin que je ne connais que trop bien. À peine mes entraînements finis, que l'on m'a fait plonger dans une zone de conflit pour débuter ma vie de militaire. L'action sur le terrain ne manquait pas. En fait, c'est autant étonnant qu'effrayant quand vous comprenez que chaque jour est une nouvelle évolution. On se confronte à tout et surtout à vous-même. Le pire, c'est qu'on se rend compte que tuer n'est pas si difficile quand on veut voir le jour se lever. Il faut savoir avoir la rage, mais aussi le contrôle. Respecter le soldat en face même si c'est un ennemi. Le juste milieu n'est pas toujours simple, il faut bien l'avouer.

Lentement, mais sûrement, j'en apprends toujours et un peu plus dans la police militaire recevant même la Silver Star après avoir sauvé la vie de deux de mes camarades au détriment de ma propre vie. Je me suis prise une balle à l'épaule et une autre à la cuisse, ce qui m'a valu un repos forcé le temps de reprendre du poil de la bête. Rééducation pour quelques temps avant de replonger dans la militaire qui m'a énormément manqué.

Les missions se suivent, mais aucune ne se ressemble véritablement. Sauf la violence qui semble avoir le même goût. Même si l'on fait tout pour survivre, on perd des frères et des sœurs d'armes. Bien entendu, ça vous marque. Vous construire autant que cela peut vous détruire. L'esprit est marqué.

À l'aube de mes 4 ans de contrat dans l'US Army, j'ai déposé ma démission. Une nouvelle mission où sans l'intervention de mon meilleur ami, je serais probablement morte. Si moi, j'ai survécu, lui n'a pas eu cette chance. Quand j'ai repris connaissance, j'ai fait face à cette nouvelle qui m'a pris tellement aux tripes que j'en ai vomi. Mes souvenirs avec lui ayant défilé dans ma tête comme si je faisais face à la mort. Le traumatisme a été trop grand pour moi. Dans la même foulée, j'ai demandé une dérogation pour adopter Roxy et l'emmener avec moi à la vie civile. Elle n'obéissait qu'à moi et sa présence ne pouvait me faire que le plus grand bien. La demande ayant été accordée, j'ai pu rentrer tranquillement dans ma petite maison.

Une maison qui m'est paru vite comme vide. Trop calme alors que dans ma tête, le bruit des balles et des grenades continuaient à jouer leur musique. J'ai tout fait pour m'en sortir, acceptant de voir un psy pour m'aider dans ce que je traverse et me réadapter d'une certaine façon. Mais je n'ai pas voulu rester des semaines enfermée chez moi. J'ai donc postulé dans la police pour intégrer la brigade cynophile, la K-9. Autant dire qu'au vu de mes quelques années de service, bien que mince, m'ont permis d'être engagé. J'ai de nouveaux objectifs, ceux qui ne m'ont jamais abandonné et que je compte bien poursuivre. Mais chaque chose en son temps.

Je suis jeune. Je n'ai que 24 ans. Je veux faire ma propre médication en replongeant dans l'action. Une action plus calme que dans l'armée, je l'admets. Les interventions que je fais sont une vraie promenade de santé comparée à ce que j'ai pu affronter en si peu de temps dans l'armée.

Tout en mémoire. Certains passages gravés dans le corps. Dans une boîte, se trouvent des médailles, des plaques militaires et des photos.

Le but n'est pas d'oublier ce qui vous a construit, mais de comprendre ce que l'on peut en tirer de positif. Ce n'est pas toujours simple. Je cherche encore, mais je ne désespère pas. Car mon meilleur ami et moi, on s'est juré de garder la tête droite et fière. D'aller de l'avant, qu'importe ce qui peut arriver. Je ne suis pas seule, je le sais.

Je ne l'ai jamais été.

Et voilà cher journal, tu connais l'histoire de ma vie. Elle est bien remplie, n'est-ce pas ? Mais l'aventure ne fait que commencer. Il faut simplement que je cesse de vouloir courir comme à l'armée, mais d'apprendre à marcher simplement…