All delighted people

Sortir de sa zone de confort. Cela peut paraître anodin pour une personne lambda. Peut-être y aura-t-il un brin de peur face à l'inconnu qui se présente face à soi. Mais pour une personne telle que Lorna, les sensations n'en sont pas doublées. Oh que non, cela serait encore maîtrisable. Tout est multiplié de façon intense, au point de vous donner envie de faire marche arrière. L'anxiété, l'angoisse et la panique vous obligent à vous poser mille fois plus de questions. De peser le pour et le contre. D'analyser dans le moindre détail, de tout organiser pour avoir l'esprit plus posé. Cependant, les émotions qui prennent vie ne sont pas toujours agréables. On se rend si facilement malade. Le cœur qui bat à tout rompre, les vertiges, les nausées voire des vomissements qui apparaissent. C'est assez désagréable pour tout stopper et vous bloquer dans la zone qui vous paraît la plus sécurisée. Mais au fond, ce n'est pas une bonne chose. Cela vous fait manquer tellement de choses. C'est que Lorna a constaté quand elle a mieux analysé sa vie. Constater tout ce temps perdu avec de mauvaises personnes. Des personnes censées vous booster. Vous faire avancer. Vous aimer. Au final, tout n'a été que dans un sens et là est la souffrance qui vous capture et vous fait croire durant quelque temps que c'est un sort justement mérité. Les personnes toxiques savent vous rendre coupable d'actes que vous n'avez pourtant pas commis. La seule chose dont vous avez pu être coupable, c'est d'avoir cru et aimé ces êtres. Du temps perdu. Du temps que l'on ne peut pas retrouver. Mais on peut changer le cours de son destin. Et c'est ce qu'à fait Lorna en plaquant tout pour s'éloigner, recommencer sa vie sur des bases plus saines. Faire ce qu'elle veut et de la façon dont elle le souhaite. Bien sûr, ce n'est pas facile. Chaque jour est un combat, mais Lorna se concentre sur la moindre de ses victoires pour s'encourager et aller au-dessus de ces malaises qui peuvent parfois la frapper. Heureusement qu'avec le temps, la jeune femme a fini par avoir une certaine maîtrise. Un contrôle plus ou moins sûr. Les malaises ne sont plus aussi présents qu'auparavant, mais ces derniers restent existants malgré tout.

Se retrouver seule face à une inconnue, en dehors de sa passion, c'est devoir s'adapter à une nouvelle situation. Une nouvelle fois, Lorna prenait sur elle, même si celle-ci avait l'impression de paraître ridicule aux yeux de cette femme paraissant tellement sûre d'elle. Une envie pointe le cœur de la tatoueuse espérant pouvoir être un peu comme Iris. Sans peur et à foncer sans se poser de questions. Mais ce n'est qu'une douce illusion parce que Lorna le sait pertinemment. Son mal, elle ne pourra jamais s'en débarrasser. Le contrôler plus ou moins, oui. Mais pas le faire disparaître. Être consciente de cela, c'est un pas vers le meilleur. C'est ce que son psy lui a dit. Il faut l'accepter et vivre avec. Et autant le dire, Lorna l'a accepté et s'y est fait. Ce soir, la jeune femme le savait. Elle va être épuisée.

-Ok meuf, je dépose tout et on se rejoint à ta caisse. Et ensuite, on va à pieds dans le lieu de ton choix.

« Très bien. » Fit-elle d'un léger sourire timide avant de se diriger vers sa voiture pour y ranger son matériel. Mais aussi pour faire quelques exercices de respiration qui l'aident toujours autant. Cela peut paraître ridicule pour certains, mais pour Lorna, cela a un effet bénéfique. Alors, elle en use et en abuse même. Après tout, cela ne pouvait lui faire de mal.

Au final, il faut peu de temps autant pour l'une que pour l'autre de tout ranger. Lorna n'a eu qu'un petit répit pour reprendre contenance. Pour s'encourager intérieurement avant de se jeter dans l'arène. Tout était très différent quand cela ne concernait pas le domaine du tatouage où elle semblait être une femme totalement différente. Étant donné que c'est nouveau pour Iris, Lorna lui pose alors la question pour meubler le silence.

-Même si j'ai mal partout et que je pense que j'ai besoin de 15 heures de sommeil à la suite pour récupérer, c'était vraiment génial.

« C'est vrai que la première fois, j'ai été tout aussi épuisé. » Confie-t-elle avec un léger sourire. Sauf qu'à la différence d'Iris, la jeune femme a dû faire face à plus que ça. D'un ordre plus psychologique. Des confrontations diverses. Plonger dans une mer pleine de requins. C'est un peu comme ça qu'elle voit les choses quand tout est nouveau et qu'on n'a jamais été confronté à ce genre d'événement.

-Je dessine depuis que j'ai sept ans. C'est la seule chose qui me permettait de m'évader du foyer où j'ai grandi. Alors être là aujourd'hui, même en tant que simple amatrice gagnante d'un concours, c'est un beau bras d'honneur à cette enfance pourrie.

Lorna se contente d'écouter Iris comprenant que sa vie n'a pas dû être facile non plus. À des degrés différents, chacun à sa croix à porter, n'est-ce pas ? Sauf qu'Iris a su se relever sans perdre ce que la vie a tenté de lui voler. « Je comprends… Moi-même le dessin et la lecture m'ont permis de me créer ma petite bulle de bonheur et de bien-être. » Surtout après la mort de sa mère. Avant tout, était plus supportable et elle n'était pas victime de la toxicité de son père.

-T'sais, même si j'aime la vie que j'ai maintenant, cette passion pour le dessin, puis pour le tatouage, éclaircit mon avenir. Je pense qu'un jour je pourrais en faire mon métier. Parce que là, pour l'instant, la seule chose pour laquelle je suis payée c'est montrer mon cul à des pervers.

Arquant un sourcil, Lorna la regarde. « Tu as tellement de volonté et de talent que je suis sûre que tu y parviendras sans mal. Il faudra juste faire preuve de patience. » Quand on est bloqué comme Lorna, on peut dire que la patience s'acquiert et que l'imprudence fait rarement partie de votre quotidien.

-Non non, j'suis pas une pute hein ! J'ai eu une vie de merde, mais pas jusqu'à ce point non plus, hahaha ! Non, je suis stripteaseuse à l'Eden Club, mais ça tu aurais pu t'en douter vu à quel point je suis canon, non ?

Lorna la regarde en souriant doucement. « Oh, mais je ne pensais pas à ça… Mais étrangement, je t'imaginais plus barmaid à jongler avec les verres et les bouteilles. » Elle rougit doucement.

-Putain je déconne meuf ! Je te demande pas de me confirmer que je suis canon, je le sais déjà... Ah bordel, tu me fais rire. Détends-toi !

« Je te fais rire ? » C'est étonnant. Est-ce sa timidité qui lui paraît venir d'une autre planète ? Peut-être qu'elle n'a jamais encore rencontré de personne comme elle. Cependant, se détendre, c'est quelque chose qui paraît simple, mais tellement compliqué pour Lorna qui finit par pousser la porte du petit restaurant qu'elle avait mentionné plus tôt. La bonne odeur des grillades lui chatouillait déjà les narines et forcément, cela lui rappela qu'elle n'avait qu'un sandwich dans l'estomac. « Viens, il y a une table tranquille là-bas. » Loin du bar de préférence donc loin des buveurs qui peuvent devenir facilement lourd par moment.

Lorna s'installe sur le banc toujours aussi confortable et regarde Iris en souriant. « Si tu ouvres ton studio de tatouage, je veux bien être ta première cliente. Tu fais des merveilles. » Elle la regarde. « D'ailleurs, si ça te tente, je voudrai bien un tatouage de toi. »

Spoiler:

Les relations humaines ont toujours été compliquées pour Lorna. Très vite, elle a dû mûrir et s'est confinée chez elle après le décès de sa mère. C'est souvent à un âge où l'on se trouve vite mise de côté quand on décline les invitations pour une raison ou une autre. Les adolescents ne veulent pas comprendre trop ancrés dans leur naïveté et la facilité qu'ils peuvent avoir quand papa et maman sont toujours là et leur offrent une éducation digne de ce nom. Lorna a dû se grandir seule et se rendre vite compte à quel point son père était un véritable déchet et pilier de bar. C'était une honte pour la demoiselle de devoir aller le chercher parce que monsieur était trop ivre pour prendre la voiture. Au moins, le barman était assez conscient d'appeler le numéro de la jeune fille. Un numéro facilement dans les répertoires des bars du coin d'Alaska. Tout ce qui était une habitude pour Lorna n'était en réalité pas logique.

Non, ce n'était pas logique qu'une adolescente prenne quasiment le rôle d'une adulte pour s'occuper d'un père qui a abandonné toutes responsabilités trouvant normal de vivre de cette façon et d'avoir son unique fille sous sa coupe. De lui faire croire que sans lui, elle n'était capable de rien. D'avoir la responsabilité non de sa fille, mais d'une bonne à tout faire. Lorna s'est vite laissé emprisonner parce qu'elle ne connaissait pas autre chose. Alors quand on ne connaît pas le monde, le quotidien devient une habitude normale. Mais avec le temps, on se rend compte qu'au final, rien n'a été logique ni ce qu'elle aurait dû vivre. Lorna s'est rendue compte que beaucoup de personnes mettent des œillères pour ne rien voir. Ils entendent, chuchotent, mais ne font rien. Avec le temps, Lorna a appris à supporter cette situation, à faire comme si de rien n'était en étant une élève qui se présentait bien et ayant de bons résultats. Elle aurait pu prétendre à tellement de choses, mais la présence écrasante de son père l'en a empêché.

Faire un choix d'utilité à savoir pouvoir passer son permis contre un choix de vie à savoir continuer ses études. Dans l'esprit de Lorna, elle pensait que le permis lui ouvrirait toutes les portes, qu'elle pourrait aller vers cette liberté dont celle-ci rêvait. Mais quand on est prisonnière et que l'on a tout en main, il est parfois effrayant de vouloir avancer.

Si cette femme face à elle pense qu'elle plaît à Lorna, cette dernière se fourvoie. Bien sûr, Iris a du style, une présence et une assurance que la tatoueuse envie. Mais fréquenter une nouvelle personne, c'est se confronter à elle-même. Cette angoisse qui monte au-delà de toute compréhension pour une personne qui n'est pas dans la tête de Lorna. De toute manière, la jeune femme ne demande plus à être comprise, mais à être accepté tel qu'elle est.

-T'es toujours aussi directe avec les femmes qui te plaisent ?

« Pardon ? » Plaisantait-elle ou était-elle convaincue que Lorna était intéressée par elle autrement que par le tatouage ? Sans doute que la timidité de Lorna n'aidait pas non plus. Ses joues qui prennent des couleurs dès qu'elle lève les yeux ou qu'elle lui parle. Oui, on peut comprendre qu'elle saisisse cette information plutôt qu'une autre.

-Ok, j'vois que tu ne me laisses pas d'autre choix que de t'accorder un peu de sérieux, parce que je n'ai pas envie que tu passes toute la soirée à te demander si je suis en train de te draguer ou non.

« Non, mais… » Lorna ne sait pas quoi dire. En fait, la situation était un brin gênante pour cette dernière.

-Oui, je suis pansexuelle, et non, malgré un charme certain, je ne me sens pas attirée par toi. Peut-être dans quelques semaines ou quelques mois, mais si j'suis là avec toi c'est parce qu'on a eu un bon feeling à la convention et que je trouvais ça cool de passer encore un peu de temps ensemble.

« Euh… En fait… Tu n'y étais pas du tout… Cette idée ne m'a jamais traversé l'esprit. Pour tout te dire, je n'y pensais pas du tout. Je suis comme ça par nature… En dehors du tatouage… Je suis totalement différente. » Elle ne savait pas comment expliquer la situation. Cette femme l'intimidait par l'assurance qui se dégageait d'elle. On pouvait tellement le sentir que ça pouvait donner un sentiment d'écrasement. Lorna voulait juste faire une proposition simple, mais peut-être qu'elle devait réviser son comportement. « Mais oui… Les choses sont plus claires maintenant. » Elle a du charme, mais Iris n'imaginait pas plus. De toute manière, Lorna n'aurait jamais imaginé autre chose parce qu'elle n'a jamais été attiré par les femmes.

-Et pour ta demande, ce sera avec grand plaisir. Dis moi juste ce que tu veux, et dans la semaine je bosse sur le projet et je te l'envoie. C'est bon pour toi ?

Le sourire de Lorna s'élargit. Bien sûr, qu'elle était heureuse ! Iris avait un talent certain et on voyait que celle-ci faisait tout dans le détail. Un point que l'une et l'autre ont en commun. « Magnifique, je suis contente. » Il fallait être idiot pour passer à côté d'une telle possibilité. « Je t'avoue que je n'ai pas trop d'idées… Peut-être un phœnix… Cet animal de légende me correspond plutôt bien… Après, pour le reste, c'est vraiment selon ton inspiration. Je veux qu'on voit ton style unique sur ma peau.. » Iris a de l'avenir dans le monde du tatouage, c'est une certitude. Lorna savait par avance qu'elle allait rapidement la retrouver dans un local de Bar Harbor avec une belle clientèle.

Tourna la tête vers le serveur qui venait prendre leur commande, tout du moins la boisson, Lorna laisse Iris commander en première avant de prendre la parole. « Une limonade au citron pour moi s'il vous plaît. Pour le menu, on réfléchit encore. » Le laissant s'éclipser, Lorna se tourne vers sa collègue tatoueuse. « Je suis désolée pour le quiproquo de plus tôt… Je… Enfin, les relations humaines, ce n'est pas toujours une de mes grandes spécialités. » Elle fait de son mieux chaque jour, déployant tellement d'énergie qu'une fois chez elle, la pauvre finit par s'évanouir d'épuisement dans son lit. Cela pouvait être tellement étonnant au vu de l'assurance qu'elle déployait quand elle tatouait. Lorna semblait tellement différente, c'est comme faire face à deux personnes. Il lui fallait du temps pour être à son aise avec quelqu'un. Le passé, croyez-le, pouvait sacrément marquer un être. En bien comme en mal. Mais toutes les expériences sont bonnes à prendre, dit-on et sur ce point, Lorna est d'accord parce qu'elle a tout de même progressé et eu de belles victoires.

Spoiler:

Il y a des rencontres qui ne sont pas évidentes au premier regard. Un instant où l'on se demande s'il peut y avoir des atomes crochus. Cette certitude que les différences éloignent plus qu'elle ne rapproche. Cependant, il semble évident que ces deux femmes que tout oppose semblent être connectées d'une certaine manière. C'était difficile à Lorna de mettre le doigt sur ce point jouant le pont entre cette femme et elle. Elle qui se vante pourtant de deviner facilement les gens, la voilà bien prise au dépourvu. Ce n'est pas un sentiment qu'elle apprécie puisque cela la met face à l'inconnu. Et nous savons que ce simple mot peut prendre des proportions importantes pour une personne angoissée. Ce mystère de ne pas savoir. Mais n'est-ce pas le moment de se dépasser ? De faire face à ce qui fait peur pour remporter une nouvelle victoire sur soi-même ?

Alors qu'elle héla à nouveau le serveur, Lorna remarque plus encore l'audace qui semble être une partie intégrante d'Iris. Elle semble être une femme ayant le pouvoir de briser la peur elle-même. Cependant, Lorna ne peut s'empêcher de ressentir une certaine forme de fragilité cachée. Le genre qu'on ne veut montrer à personne pour ne plus être brisé par la vie. Voilà encore un point qui diffère d'elle. Lorna a tant souffert que montrer ses faiblesses était du domaine de l'impossible.

-Finalement j'vais prendre une limonade au citron moi aussi, laissez tomber les whiskys.

« Tu n'étais pas obligée de changer pour moi. » Lorna avait bien compris qu'Iris ne voulait pas être la seule à boire. Elle n'avait rien contre l'alcool, mais elle avait un rapport bien défini avec cette boisson par rapport à son passé. Un père et un ex-mari aimant l'alcool, cela marque forcément une personne. Ces derniers n'étaient pas du genre à la dégustation, mais à l'abus. S'ils avaient eu des effets positifs après avoir bu plusieurs verres, peut-être que Lorna verrait les choses différemment. Mais on ne garde pas un bon souvenir d'une ado devant aller chercher son père parce qu'il était trop ivre pour mettre un pas devant l'autre ou encore d'un époux excellent dans la maltraitance psychologique avant de passer au stade suivant.

-Bon, j'avais prévu de m'alcooliser jusqu'à tout oublier et faire la fête entourée de dizaines de corps en chaleur, mais j'suis pas certaine que tu apprécies l'ambiance.

« Disons plutôt que je n'y suis pas du tout habituée. Je n'ai même jamais été ivre pour t'avouer la vérité. » Prendre une cuite. Lorna n'en savait que la définition et non les effets que cela apportait. Elle a toujours été plus sage sur ce point. Peut-être tellement que cela lui arrive de penser qu'elle est passée à côté de beaucoup de choses dans sa jeunesse. Après le décès de sa mère, sa vie a pris un tournant tellement radical, qu'il fallait bien faire les choses autrement. Surtout avec un père incapable de gérer le quotidien comme le faisait sa mère.

-T'sais quoi, ce que j'ai vraiment envie de manger, c'est une putain de viande rouge bien saignante.

« Très bonne idée ! » Fit-elle en regardant la carte à son tour. « Avec des frites, des légumes sans oublier leur sauce piquante est un délice. » Pas trop fort, juste assez pour apprécier toutes les saveurs que le palais peut accueillir. « Cela fait un moment que je n'ai pas mangé une bonne entrecôte. » C'est l'occasion ! Il fut un temps où la jeune femme devait compter le moindre centime pour acheter, mais à présent, sa vie en était bien différente. Croyez-le, mais cela fait tellement de bien de pouvoir profiter de son argent de la manière dont on l'entend. Sans avoir à rapiécer encore et encore des vêtements parce que c'était hors du budget de s'en acheter des nouveaux.

-J'sais pas pourquoi, je sens que toi aussi t'as vécu des trucs pas cool dans ta jeunesse. Un feeling, un truc qui s'explique pas. Mais qui par contre justifie le fait que l'on se soit attirées l'une vers l'autre tu vois.

Levant les yeux vers elle, Lorna la regarde. Elle aussi verrait-elle plus loin que ce que les gens ne veulent bien montrer ? Après tout, Lorna peut être juste une femme angoissée de plus. Il peut y avoir une histoire de parents trop protecteurs qui ont pu donner en héritage ce mal qui la ronge aujourd'hui. Mais non. Iris estime sans même hésiter qu'il y a bien plus que cela. « Cela se voit tellement… » Ce n'était pas une question, simplement des mots qui traversent la frontière de ses lèvres. Le serveur arrive alors et cela permet à Lorna de se préparer psychologiquement tout en donnant sa commande à ce dernier. L'audace d'Iris fait sourire Lorna, elle est admirative de ce comportement naturel voir impulsif.

-Ben quoi ? T'as pas faim toi aussi ? On est les clientes, et en tant que cliente, on doit être traitées comme des reines, c'est tout. Héhé.

« Non tu as raison, j'ai très faim aussi. » Remerciant le serveur d'un léger sourire, Lorna observe les lieux où les clients ont leurs habitudes ancrées depuis longtemps. Il lui semble même reconnaître quelques visages. « Tu as raison… Pour ta remarque de plus tôt. » Fit-elle en la regardant à nouveau. « J'ai eu mon lot de complications et malheureusement, j'ai des séquelles avec lesquelles je devrais composer toute ma vie. » On ne se débarrasse pas des crises d'angoisse, d'anxiété et de panique. Il faut apprendre à vivre avec et à gérer lorsqu'elles vous frappent, même quand tout va bien. « Tu vois… J'ai eu la malchance d'avoir un père et un ex-mari qui ont eu les fesses vissées sur le canapé ou encore un tabouret de bar. L'un et l'autre ne connaissaient pas le mot limite. C'était à tel point que le barman avait mon numéro en mémoire pour que je vienne les chercher. C'est pas joyeux pour une fille de 17 ans de devoir aller chercher son père dans un bar parce qu'il ne pouvait plus faire un pas devant l'autre. Et en Alaska, certaines périodes ne pardonnent pas. » Combien de fois n'y a-t-il pas eu des corps retrouvés recroquevillés dans un coin de rue parce que la personne s'y était endormie car bien trop alcoolisée. « Ce n'est qu'une partie de ce que j'ai vécu. » Elle pose la carte du menu à côté d'elle. « Mais j'ai l'impression que toi aussi, tu n'es pas en reste. Néanmoins, tu es différente. Tu es forte et tu as une audace que j'envie… Je vois bien qu'on ne te marche pas sur les pieds. Et si les gens pensent avoir gagné, tu montres que t'as un coup d'avance sur eux. » Souriant doucement. « Est-ce que je me trompe ? » Elle finit par rajouter. « Le tatouage n'est pas qu'une forme d'expression pour nous… C'est ce qui nous permet de nous sentir bien… De connaître un sentiment de bien-être dans tout le bordel que notre esprit peut avoir face à des souvenirs pas joyeux qui nous frappent. »

Spoiler:

Lentement, les langues se délient. Les confessions se font même si d'une part ou de l'autre, il y a comme une sorte de retenue. Attendre avant d'en dire plus. Lorna pourrait raconter encore beaucoup sur son propre vécu, mais pourquoi déballer tout dans l'instant ? Elle pressentait que cette rencontre n'était que la première parmi les autres qui suivront. Alors, forcément, les deux femmes apprendront à se connaître lentement, mais sûrement. Sans forcer. Les choses se feront doucement et naturellement. Lorna n'était pas le genre de personne à être particulièrement loquace lors d'une première rencontre. Non pas retenu, mais plutôt par timidité. On ne peut pas dire qu'elle ait été entourée lors de son adolescence. Il faut avouer que les soucis des jeunes de son âge l'avaient rapidement dépassé et elle les trouvait si ridicules comparés à ce qu'elle devait affronter au quotidien. Mûrir rapidement était aussi bénéfique que mauvais. Si l'on apprend à gérer un budget ou un problème, on voit également à quel point les adultes peuvent vite paniquer devant une facture exorbitante sans savoir comme la payer. À devoir économiser le moindre centime sans pouvoir se gâter une fois de temps en temps. Pire encore, à devoir cacher l'argent parce que l'on a un père capable de tout dépenser en alcool. Combien de fois Lorna ne s'est-elle pas rendu malade sur ce point ? Bien trop souvent. Le côté positif dans tout cela, c'est que l'on se contentait de ce que l'on a et que l'on ne demandait jamais plus. Aujourd'hui, Lorna était parfaitement heureuse avec son salaire gérant très bien son budget et pouvant vivre jusqu'à son prochain salaire sans grande difficulté. Autant ce fut difficile de vivre autant de galères qu'à présent, elle remerciait d'avoir traversé ces difficultés et ajoutons-le, la tête haute et le dos bien droit.

Parler de la façon dont elle voit son métier n'était que de son point de vue même si la lueur d'Iris lui faisait dire qu'elle aussi pensait de cette manière. Dans sa capacité à observer, Lorna a bien vu une autre lueur sur le visage de sa collègue tatoueuse, mais elle préféra faire comme si elle n'avait rien remarqué. Elle soupçonnait très fortement que ce n'était pas plaisant pour Iris d'être démasquée de la sorte. Parfois, il valait mieux faire comme si de rien n'était et poursuivre sur sa lancée. L'audace dont faisait preuve cette femme était ahurissante et le mot était bien faible. En réalité, n'était-ce pas une forme de protection ? Se montrer plus forte qu'on ne l'est réellement ? Lorna était persuadée qu'Iris n'était pas le genre à afficher ses faiblesses. Bien au contraire, elle aurait l'impression d'être démunie comme si on pouvait facilement l'écraser.

« Merci monsieur. » Fit-elle à l'intention du serveur qui venait de les servir. Si Iris voulait se montrer ainsi, Lorna resterait sur la ligne de conduite qu'elle a toujours adoptée depuis des années. C'était tout de même impressionnant de voir la différence de comportement entre Iris et elle. Il y avait tout pour les éloigner et pourtant, il suffisait d'une chose pour rapprocher deux femmes totalement différentes.

- T'sais, quand rien ne t'a jamais été donné dans la vie, que t'as jamais rien eu, tu comprends très vite que t'as rien à perdre.

« Je peux comprendre ton point de vue, mais personnellement, je vois les choses différemment… Tu as au contraire beaucoup à perdre… Pas vraiment au niveau matériel, mais tu peux te perdre toi-même… Je parle en connaissance de cause. » Combien de fois ne s'est-elle pas mise de côté à force de toujours tout donner dans l'espoir que tout aille bien. Mais qu'importe ce qu'elle avait pu faire, que ce soit son père ou son ex-mari, elle était toujours nulle et fautive de quelque chose.  

- Donc ouais, là le serveur, si j'veux, j'vais continuer à lui parler mal. Ou alors j'vais l'allumer en faisant exprès de faire tomber ma fourchette quand il arrivera vers nous, et je me mettrais à genoux devant lui, la bouche très proche de sa bite. Qu'est ce qui peut nous arriver ? Hein ?

De l'audace pour cacher quoi ? On ne peut pas dire la colère parce que la jeune femme transpirait cette émotion. Mais elle dissimule aussi une certaine forme de tristesse. Lorna peut le sentir. Ce besoin d'agir comme ça pour avoir de l'attention. Même si les paroles la faisaient rougir alors qu'elle mettait un bout de viande dans sa bouche, Lorna se contentait d'esquisser un léger sourire.

- Enfin bon, ce sont des histoires qui me font marrer tu vois, mais parfois, quand j'y réfléchis, j'pourrais avoir de plus gros problèmes.

« J'admire vraiment ton audace… Mais j'espère sincèrement que les problèmes te seront épargnés… Je n'arriverais pas à réagir comme ça… Parce que ce n'est pas mon genre et je ne vois pas ce que je pourrais en tirer… Tu vois… Adolescente, on m'évitait parce que je ne pouvais jamais sortir, je n'avais jamais d'argent sur moi donc qu'est-ce qu'on voudrait faire avec une fille qui ne pouvait même pas se payer un coca… Ensuite, j'ai dû grandir très vite… Alors ma mentalité était différente de celle des autres. À force de rester dans mon cocon, à lire des tonnes de livres et à dessiner pour passer le temps, j'ai appris à mieux connaître et à comprendre les gens… Et on m'a détesté pour ça. » Posant son regard sur Iris, Lorna sourit légèrement. « Ce n'est pas agréable quand une personne arrive à te comprendre un peu trop facilement… On fait souvent peur en fait… J'ai appris à observer, écouter et je ne parle de ce que je comprends quand la personne m'en donne l'autorisation… Mais ce que je peux dire sur toi, c'est que tu as bien plus à montrer que ça… Tu es le genre de personne qui aime être regardé, mais je crois que tu as aussi le sentiment que personne ne te voit comme tu le voudrais réellement. » Lorna prend une petite pause pour boire une gorgée de limonade. « Crois-moi, ça finira par arriver… Le souci quand ça arrive, c'est qu'on a l'impression de se perdre et ça fait peur… Mais c'est l'occasion de donner cette chance aussi. C'est ce que je disais sur le tatouage juste avant… On s'y sent bien parce qu'on exprime une forme de perfection que l'on recherche sans atteindre… D'abord parce qu'être parfait, c'est inutile, c'est nos défauts qui nous rendent unique… Et de deux, parce que l'on donne une part de soi à chaque tatouage que l'on peut faire. Quand tu vois le visage ravi des clients, tu te sens valorisé comme tu ne l'as jamais été au cours de ta vie… Jamais personne ne m'a félicité ou bien n'a été fier de moi… Si ce n'est ma mère et l'homme qui m'a appris à tatouer… Et quand on te dit ce genre de mot… C'est comme si l'on mettait sur toi un plaid bien chaud dans un hiver un peu froid… Tu te sens bien. » Elle espérait sincèrement ne pas être allée trop loin sinon Lorna sentirait l'angoisse la gagner au point de se dire que le relationnel en dehors du travail, ce n'était vraiment pas pour elle.

- Super adresse en tout cas, la bouffe est top.

Lorna lui sourit voyant bien qu'elle avait également dévoré ce qu'il y avait dans son assiette. Lorna était également une personne qui appréciait la bonne nourriture et n'était pas le genre de femme à se soucier de son physique. Surtout pas avec les nombreuses promenades qu'elle fait pour se changer les idées et combattre ses angoisses. Cependant, elle se disait que la compagnie d'un chien pourrait lui assurer un certain bien être, un soutien très fort et la pousser à sortir plus souvent encore. « Oui, c'est vrai… J'y viens quand je peux. » Et quand ses crises la laissent tranquille. Il faut avouer que sortir seule quand on est comme Lorna, ce n'est pas si facile qu'on ne pourrait le croire.

- T'as encore de la place pour un dessert ? Parce que souvent les meufs avec qui je suis en date me disent que je suis à croquer...

« Toujours… J'ai besoin de finir un repas par une note sucrée. » Avoue-t-elle en prenant la dernière bouchée de viande et de se rendre compte des paroles d'Iris. Paroles qui la font un peu rougir encore une fois.

- Putain Lorna, j'déconne encore ! Tu verrais ta tête, je m'en lasse pas, hahaha !

« Je vois ça, j'ai l'impression que tu adores ça… » Ce n'était pas méchant, une petite taquinerie de la part d'Iris. « Si tu es fan de chocolat, ils ont un dessert à tomber… Sinon t'as le classique avec la crème glacée… Le choix du chef ou bien plus fruité et selon la saison. » En Alaska, il n'y avait pas trop de choix, il fallait faire avec ce qu'il y avait. Ce n'était pas toujours simple de se faire livrer surtout en période hivernale et selon le coin où l'on se trouvait. Lorna avait eu la chance de vivre en ville, mais la vie n'était pas donnée et pour rien au monde, elle y retournerait. C'était un plaisir d'avoir de l'eau courant et un hiver moins rude qu'en Alaska, mais c'était surtout bien mieux que d'être éloigné de son père et de son ex-mari violent.

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