All delighted people

Lohengrin s'étire. Encore. La journée s'annonce compliqué. D'abord parce qu'il a l'impression qu'une locomotive à vapeur lui est passé par l'oreille droite pour lui sortir de l'autre côté. Vous savez, le genre de locomotive ancienne qu'on voit dans les très vieux films, qui font des entrées en gare fracassantes et sans son parce qu'on a pas encore coller de son sur la bande image à l'époque. Un bon gros train de western, avec une locomotive rutilante qui chasse l'air avec son plow qui chasse les obstacles sur les voies et sa cheminée qui chasse la vapeur dans un bruit assourdissant.  N’empêche que les gares de l'époque devaient des lieux extrêmement bruyant à moins que les films aient beaucoup, comme souvent, exagéré la chose parce que finalement ce qu'on attend d'un film historique, c'est un imaginaire auquel on se raccroche pour faire un paysage et un univers et pas la vérité historique pour peu qu'on la connaisse et qu'elle soit établie, les historiens vous le diront , c'est souvent pas si sûr parce que machin du A , bidule dit B et les fouilles archéologiques laissent présumer C ...

De quoi on parlait déjà ? Ah oui. Le mal de crane. Le mal au dos aussi parce qu'il s'est endormi tout habillé en costume trois pièces sur le canapé du salon. Il ne sait plus du tout comment il a réussi à atterrir jusque là. Probablement l'ancien pote de lycée qu'il a trainé dans une virée au bar sur le port parce qu'il avait besoin de décompresser après être aller chercher sa délinquante de mère dans une cellule du commissariat de Bar Harbor après avoir appeler le cabinet d'avocat local pour s'excuser encore de les déranger, que non, elle ne s'en est pas repris au facteur, que oui , ce coup-ci, ils l'ont vraiment mis en cellule et que oui, il faudrait (encore) se déplacer pour essayer de démêler tout ça. Ça plus le passage sur la raison de l'arrestation... Bref, il fallait oublier ça avec de la bière, de la vodka, n'importe quoi et c'est ce qui explique le black-out complet de la soirée pour l'instant et le besoin express de café qui s'est fait ressentir dès lors qu'il a passé le seuil de sa salle de bain pour se changer , remontant difficilement les marches jusqu'à son étage.

Depuis qu'il avait acheté ici , à Cromwell cove, et sa vie de vieux garçon continuant sans aucune nouveauté , il avait décidé de donner l'usufruit d'une partie des pièces du rez-de-chaussé à sa mère , celle ci ne rajeunissant malheureusement pour qu'elle y installe ses petites affaires, se gardant pour lui les pièces de l'étage, donc certaines faisaient office de chambre d'ami. Sauf que dans les faits, elle ne servaient juste à rien. Au moins, le jour où les procédures judiciaires de sa mère le mettrait sur la paille, il pourraient toujours les louer et se transformer en bed and breakfast à la haute saison pour renflouer les caisses. C'est vraiment une pensée à avoir en se levant le matin et en tentant d'assortir un costume sombre avec une cravate, parce que celui qu'il a sur le dos est froissé et qu'il est hors de questions qu'il ne porte ne serait-ce qu'une fois quelque chose de froissé au bureau. Il se devait de donner l'exemple. Il grogne encore un peu , récupère son téléphone et son porte feuille pour les mettre dans sa veste et se traine à l’extérieur de la maison, toujours avec ce bourdonnement incessant dans les oreilles.

Il descend la rue, récupère l'artère principal ... Il a besoin d'un café. Non. Il a besoin de la cafetière entière . A minima. Et il doute que ce sera suffisant. D'autant qu'il a une réunion de service cet après-midi et qu'il a une liste de récriminations en douze points/ Il se cale de manière automatique dans la file, ça devrait aller vite , Starbuck il ne connait pas mais le café doit pas être plus mauvais qu'ailleurs. La réunion ... le premier point insiste sur l'importance d'établir des devis précis pour éviter les suspections de fraudes. Le second, c'est l'importance de respecter les nomenclatures parce que tout le monde se fout sauf lui parce que c'est lui qui est en charge des archives et que si les fédéraux débarquent ou x ou y raison, il vaut mieux qu'elles soient rangées parce qu'ils vont forcément débarquer après le barouf qu'il y a eu à la mairie et ...

"Il me faut un prénom pour la commande monsieur ..."

La Barista lui offre un immense sourire. La file derrière lui s'impatiente. Ah non. Pas dès le matin, Dieu, non ...

Une question. Une seule et unique question. Est ce que donner un mauvais prénom à la Barista relève de l'usurpation d'identité et est donc répréhensible par la loi ? Bon, il y avait bien une seconde question mais son esprit a été suffisamment rapide à convaincre que la Barista n'étant un agent fédéral de quelque sorte que ce soit (il l'aurait su dans le cas contraire, il fallait bien que ses rares années passées hors de Bar Harbor à Dartmouth serve à quelque chose), il n'était pas illégale de lui mentir, même si ce n'était pas correct . Non, le seul qui aurait pu lui reprocher quoi que ce soit quant à l'idée de mentir, c'est Dieu et il suffirait de régler les comptes un de ces quatre, pour lui reprocher une énième fois d'avoir laisser l'officier d’État Civil d'il ne sait pas trop où d'avoir accepter sans broncher un prénom pareil dans ses registres. Et d'avoir laisser penser à sa mère que ce prénom serait viable à porter en société. Quoi que, Dieu est capable de miracle mais il est impuissant quant aux idées fixes de sa mère et à son égoïsme. Ou alors, il voit ça comme une épreuve de foi. Bref. Évacuée, on a dit, cette idée. Reste l'usurpation d'identité. Ça va sur combien les condamnations pour ce type d'infraction déjà ? Est ce que ça vaut le coup de s'éviter un long moment gênant pour voir de toute façon son prénom écorché sur le gobelet vu que c'est ce que semble vouloir faire l'employée. Lohengrin ne sait visiblement pas que le prénom écorché, c'est un running gag à Starbuck. Non. Un rite de passage pour entrer dans la caste des gens capables de payer un demi rein un café de mauvaise qualité sous un verni happy friendly.

Finalement, on vient le sauver. Attendez, quoi ? La surprise transperce son masque neutre un peu plus longtemps qu'il ne le souhaiterait. D'accord pour donner un autre prénom mais Abilene, ça sonne féminin, pas plus courant que Lohengrin (note pour plus tard , rechercher le nombre d’occurrence à l’État Civil pour Abilene), ça sonne nom de lieu surtout. C'est pas une ville Abilene ? Genre dans la Bible Belt ? Ça fait très "famille croyante". Attendez Attendez Attendez. Encore plus grave. Comment ça, elle ajoute une limonade sur la commande , ils ont pas élevés les cochons ensemble à ce qu'il sache. C'est qui cette fille ?! Bon, elle lui dit vaguement quelque chose, elle est déjà passé à la mairie ? C'est une des filles qui avaient postulé sur les jobs d'été et qui a pas été prises ? Non, trop âgée. Quelqu'un du lycée ? Non , il s'en serait souvenu, d'habitude, la mémoire des visages, comme la mémoire de tout d'ailleurs, ça ne lui réussit pas trop mal. C'est un euphémisme. Il se souvient de tout. Donc s'il ne se souvient pas d'elle, c'est très inquiétant. Début d’Alzheimer ? Mon dieu, qu'est ce qu'il va devenir cette saleté se déclenche ? Comment il fera pour s'occuper de sa mère, pour le travail, pour que son microcosme continue de tourner bon grè mal grè ? Et puis nuit ? Au dernières nouvelles, il s'est réveillé sur le canapé du salon , ce qui veut dire qu'il n'a pas cédé aux plaisirs de la chairs cette nuit. Il aurait peut être dû, au moins, ça aurait été moins bizarre ce matin. Et puis Lo...

Il s'approche à grand pas, raide dans son costume.

"Excusez moi ..." il jauge "Madame" il va se faire assommer "Mais je crois que nous n'avons pas été présenté. Pourriez vous s'il vous plait reprendre depuis le début ? Ma nuit n'a pas été rocambolesque selon mes souvenirs. Arrosée oui mais rocambolesque ..."

"C'est ta mère, l'incarnation du rocambolesque" marmonne une petite voix dans sa tête. Il détaille la nouvelle venue le plus discrètement du monde. Elle est jolie. Mais on doit lui dire. Souvent. Elle n'a probablement pas envie qu'on lui répète à longueur de journée.

"Je vais vous rembourser le café, nonobstant."

Argh. La petite voix dans sa tête et cette femme ne sont qu'une seule et même entité, que fait le monde, où va-t-il , quel horrible projet est en train de s’échafauder ici bas pour mettre à mal sa sacro-sainte routine et stabilité, obtenue envers et contre tout. Et puis surtout d'où est ce qu'elle connait sa mère. Elle n'a pas trop le profil des admirateurs transis habituels, elle est trop jeune, beaucoup trop jeune pour s'être intéressé aux figures de l’Opéra classique des années 1970/1980. Correction, elle n'a pas la tête à s’intéresser à l'Opéra tout court. Alors d'où est ce qu'elle peut bien connaitre sa mère, hein... Les paris hippiques. Cette fille est la représentante d'un réseau rival de celui de sa mère à peine mort né. Elle n'a pas la tronche de l'emploi non plus, qu'importe, ça ne peut être que ça. A moins qu'elle soit de la famille du postier qu'elle a agressé il y a quelque mois ... non, elle aurait été moins amicale. Ou Alors que tout ça ne soit que façade et qu'elle cherche des informations sur Magdalene afin de pouvoir mener son contrat à bien, sans heurs. Il a souvent envie de tuer métaphoriquement sa mère mais cela reste métaphorique justement et il est le seul à avoir ce droit. Peut être partagé avec ce défunt père imaginaire mais pas trop parce qu'il fallait bien être deux pour qu'il naisse et que l'argent ne tombe pas du ciel mais en tout cas il est plus là. Lui si.

Et sinon pire, elle peut être là se venger sur lui pour les bêtises de sa mère. Ça devait arriver, il est absolument miraculeux que ça ne se soit pas invité plus tôt, il fallait qu'un jour les conséquences autre que judiciaires ne s'invite, tout le monde n'a pas son inconsistance . Il n'y a bien qu'elle qui croit qu'aucune de ses folies n'a de conséquence dans le monde réelle. Et si ce n'est pas ça , ça pourrait être ... un fan du réseau social où sa mère poste ses recette de cuisine en chantant et en dansant là . Comment ça s'appelle déjà ? Ceci dit pour le coup, elle est un peu trop vieille et puis sa mère a beau ne respecter aucune règle basique, elle respecte jusqu'à nouvel ordre sa volonté de ne pas exister dans le grand méchant internet, donc si cette fille était effectivement fan elle ne connaitrait pas son prénom et mieux ton diminutif. Les rares fois où sa mère l'a mentionné, de mémoire, elle l'a appelé Parsifal. Histoire de rester dans la thématique opéra du mythe arthurien par Wagner. Il faut vraiment qu'elle arrête avec Wagner, sérieusement. Elle pouvait pas être fan des romantiques français. Il se serait appelé Lelio ou Benvenuto ou Bénédict, ça n'aurait pas été moins ridicule mais au moins il y aurait eu moins d'erreurs dans son prénom et à commencer sur les gobelets du coffe-shop

Le masque tient bon et c'est heureusement parce qu'il est en train, en bon angoissé chronique qu'il est , de refaire toutes les possibilités les plus improbables que cette fille le connaisse et ... ATTEND QUOI ?!

"Excusez moi de réitérer ma demande mais est ce qu'il vous serait possible de m'expliquer ce qu'il s'est passé exactement hier soir s'il vous plait ?"

MAIS BON SANG, IL S'EST PASSE QUOI HIER ?

Plusieurs conclusions à tout ça s'imposent. Déjà, il ne pas faire confiance à ce pote là quand il boit pour le protéger de toutes les bétises qu'il peut faire une fois bien bourré. Ca devait être son rôle, il s'y était engagé en tout début de soirée. Lohengrin avait prévénu dés le début. Il fallait qu'il boive pour oublier toutes ces conneries. Il allait probablement être très, très, très emmerdant (genre, plus que d'habitude quand il est sobre). L'ami en question lui avait dit qu'au contraire, il était plutôt marrant, bourré. Et en vrai , une fois qu'on le connaissait, il était tout aussi drôle sobre. Lohengrin n'avait pas été sûr de bien comprendre mais bon passons, il avait eu du mal à recruter en dernière minutes , il faut dire que la plupart de ses connaissances ont son âge, sont pour la plupart marié avec des enfants. Verdict, la prochaine fois qu'il veut s'oublier pour décompresser, il fait ça dans une chambre d'hotel fermée à double tours. Oui parce qu'en plus, comme il habite avec sa source de stress principal, il ne peut pas faire ça chez lui comme un être humain lambda. Toutes ces précautions lui auraient éviter de se trouver là devant une presque inconnue, les joues roses , contrit et absolument désolé .

"Donc , si je résume bien, c'est plutôt à moi de vous offrir votre limonade ... Je me trompe ? Ce serait ce qu'il y a de plus cavalier à faire. Ou à défaut, je peux vous offrir un restaurant ce soir pour m'excuser. Je suis vraiment désolé que vous ayez été témoin d'une telle scène, je ne suis pas comme ça en temps normal, je sais me tenir."

Mais bon, qui sait se tenir avec deux grammes d'alcool dans le sang, qu'on soit réaliste. Même le plus sain des hommes, sous emprises, ne contrôle rien à part avoir l'alcool soporifique. Ca existe et il trouve finalement cela bien pratique dans une certaine mesure. D'autant que dans son cas, l'alcool est un véritable filtre de vérité, sans ses barrières habituelles, tout lui semble limpide, sans contrainte. C'est aussi pour cela qu'il ne veut pas que sa mère soit à proximité, il risquerait d'avoir des mots plus que malheureux. C'est vrai qu'elle est jolie, en plus, ce ne serait que mensonge de le nier.

"J'espère en tout cas que cela ne vous a pas mise en porte à faux auprès de votre frère, j'imagine qu'il mérite lui aussi mes excuses. Je vous remercie d'avoir détourné l'attention de ma mère en tout cas et d'avoir écouter ses histoires, cela aurait pu créer des problèmes. Elle est, comme vous avez pu le comprendre ... particulière"

Suffisament particulière pour avoir un casier des plus fournis qui s'est brusquement rempli dès lors qu'elle a été à la retraite. Peut être que finalement, c'est de ça dont elle avait besoin, pour rester dans le droit chemin, raconter sa vie remplie à une oreille compatissante et interessée. C'est pas un club de tricot qu'il faudrait qu'il lui trouve, c'est un groupe d'écriture autobiographique, d'autant qu'au vu de la mystérieuse fanbase que possède sa mère, cela lui ferait un pécule bien à elle. Il regarde sa montre , hopine

"J'ai un peu de temps devant moi. Nous pouvons nous poser si vous le souhaiter et si vous avez le temps."

Il lui montre une table libre à proximité. Cela va aussi lui permettre de répondre à une politesse des plus élémentaires

"Je m'appelle ...Lohengrin Breckenridge, je travaille à la Mairie. Vous le savez surement déjà à moins que ma mère se soit trompée."

Les chances qu'elle l'ait présentée comme "Parsifal" comme à sa base d'abonnées Tic Toc est assez haute. Autant rétablir la vérité tout de suite

"Vous vous appelez Abilene, n'est ce pas ? Ce n'est pas commun. Qu'est ce qui vous ammène à Bar Harbor ?"