All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
Depuis de nombreuses années déjà, la famille Banks a posé ses valises à Bar Harbor. Tout a commencé avec un jeune couple, Robert et Isabella, que tout opposait par leurs origines sociales : lui, fils de bonne famille, et elle, issue d'une famille ayant fui le régime oppressant mis en place à cette époque en Italie pour vivre le rêve américain à New York. Leur rencontre lors d'une soirée dansante a été le début d'une histoire passionnée et sincère, malgré les désaccords entre les familles Banks et Chiavelli. Robert a tout de même demandé la main d'Isabella, et ils se sont mariés contre vents et marées, avant de s'installer dans la paisible ville de Bar Harbor, non loin des grands-parents de Robert dans une maison plutôt modeste.

Très vite, leur première enfant, Silvia, viendra au monde, suivie de Leopold quelques années plus tard ainsi que d'un autre garçon, Gregory et une fille, Emma. Malgré les difficultés inhérentes à l'éducation de quatre enfants, le climat de la maison était globalement chaleureux, élevés par des parents aimants qui savaient aussi faire preuve de discipline quand cela était nécessaire. Leopold, quant à lui, avait tendance à s'attirer les foudres en faisant les quatre cents coups avec son voisin et meilleur ami, Aaron, avec qui il constituait un duo irrécupérable de petites terreurs toujours prêts à faire la moindre bêtise dans le seul but de s'amuser et de nourrir leur curiosité. Puis il y avait Helena, cette petite-fille qui venait rendre visite à ses grands-parents et avec qui les deux garçons se sont très vite liés d'amitié. Ensemble, ils formaient un trio inséparable dès qu'ils étaient réunis. Bien sûr, ils n'étaient pas toujours d'accord et se disputaient parfois, mais l'impatience de se retrouver était toujours présente à travers les lettres qu'ils pouvaient s'envoyer ou les retrouvailles qui revêtaient pour eux une importance toute particulière.

Leopold ne saurait précisément dire à quel moment les choses ont commencé à changer pour lui, mais cette affection qu'il portait à Helena avait peu à peu évolué. Helena représentait pour lui cet amour d'enfance inavoué qu'il aimait bien taquiner, mais qu'il chérissait profondément au fond de lui. Il sentait son cœur palpiter sans trop comprendre pourquoi, se sentait facilement gêné en sa présence, et s'il ne parlait pas d'Aaron, c'était le prénom d'Helena qui revenait innocemment sans cesse sur ses lèvres.

À l'adolescence, cet attachement innocent a pris une nouvelle dimension. Leopold n'aurait pas douté un instant de sa réciprocité avant d'en avoir la confirmation de la bouche même d'Helena, lors d'une soirée d'été imprévue où ils se sont retrouvés en tête-à-tête. Il s'était senti pousser des ailes. Helena était son premier amour, avec qui il a partagé ses premières expériences et sa plus longue relation jusqu'à aujourd'hui. Mais ils nourrissaient chacun des projets d'avenir différents : lui envisageait de s'engager dans l'armée tandis qu'elle aspirait à devenir diplomate. Bien que leurs idéaux semblaient se compléter, cela a plutôt marqué le début de la fin d'une relation qui s'annonçait pourtant pleine de promesses.

En 2003, alors âgé de vingt ans, Leopold s'est engagé dans l'armée de terre, conscient du contexte tendu entre les États-Unis et le Moyen-Orient. Animé par un fort sentiment patriotique et pensant trouver sa vocation dans cette voie, il a rapidement été confronté à la triste et cruelle réalité de la guerre, laissant en lui des marques indélébiles. De retour au pays deux ans plus tard, Leopold n'était plus que l'ombre de lui-même. Chaque nuit, il revivait les atrocités qu'il avait vécues, sentant encore l'odeur de la poudre, entendant les cris d'agonie de ses camarades alors qu'il avait eu la chance de survivre. Il se posait inlassablement la question du pourquoi, en regardant ses mains tremblantes.  Espérant trouver du réconfort auprès de sa petite amie, il n'en fut absolument rien. Helena avait fait le choix de privilégier sa carrière à Londres plutôt que leur couple, laissant leur relation imploser dans l'indifférence d'un compagnon qui avait plus que jamais besoin de son soutien. C'était la fin.

Leopold, le cœur brisé, tomba dans une profonde dépression, soutenu par sa famille et son meilleur ami qui l'aidèrent à ne pas sombrer complètement. Après de longs mois voire des années de suivi psychologique et psychiatrique, il put peu à peu retrouver une vie normale et entamer des études en architecture dans l'optique d'obtenir un diplôme et de stabiliser sa situation grâce à l'une de ses passions : le dessin.

Reconstruisant lentement sa vie sur des ruines, et ce, en dépit de quelques histoires qui n'ont pas été assez solides pour perdurer, Leopold s'est progressivement épanoui dans son travail d'architecte, ayant fini par être amené à diriger des équipes et même des projets. De voyager, prendre du temps pour lui en se ressourçant avec ses proches, notamment Atticus, un ancien frère d'arme venu s'installer à Bar Harbor pour élever des alpagas et couler de beaux jours. Si tout semblait lui sourire de nouveau, il y avait pourtant un vide que Leopold n'arrivait pas à combler. Certains pourrait penser qu'il s'agissait d'un désir inavoué de fonder une famille au vu de son âge, mais son mal était encore bien plus profond que cette solitude qui le rongeait.