All delighted people

out of the forest, i come with my flowers
« Arrête de pleurer. Reprends-toi, tu vas monter sur cette scène peu importe. » Ton regard larmoyant était posé sur cet homme en qui tu avais une confiance totale depuis si longtemps. Celui que tu considérais comme un oncle. Un ami de la famille depuis tellement longtemps qui avait été la personne désignée pour réaliser « ton rêve ». Ou plutôt, celui de tes parents de voir leur magnifique princesse devenir une star. Beaucoup trop jeune, tu as été poussé dans un monde qui n’était pas le tien. Tu as été poussée devant des caméras dans tes premières années de vie. Tu es devenue la vedette de séries pour enfants, ensuite pour adolescents. Actrice et chanteuse. C’est ce que tu étais. Tu étais si jeune quand tu t’es retrouvée seule sur une scène devant des milliers de personnes à devoir assurer un concert, une tournée complète. Tu étais si jeune quand tes parents ont décidé de quitter ta Sicile natale pour te pousser dans les bras du vedettariat, sans réellement chercher à te protéger des paparazzis et de tout ce que ça incluait. Tu ne sais même pas qu’est-ce qu’ils ont fait pour en arriver là. Pourquoi tout a aussi bien fonctionné pour toi. Toi, tu as été marqué par les puissances angoisses que ça te provoquait, par les nombreuses obligations que tu avais, par l’horrible sentiment d’étouffement qui empirait jour après jour et par les cris et les violences verbales que tu pouvais subir si tu montrais le moindre signe de fatigue et de relâchement. C’était souvent causé par ce même homme. Par cet oncle qui était également ton agent, qui t’en demandait beaucoup trop et qui laissait ta coiffeuse ou ta maquilleuse te consoler. Ta mère n’était pas au courant de tout ça. Elle, elle voyait que le bout de l’iceberg, que le résultat final, que les faux sourires que tu affiches sous tes airs d’actrice. Ton père, c’était une autre histoire. Il voyait l’argent que tu pouvais lui rapporter. On aurait pu te faire faire n’importe quoi qu’il n’aurait jamais rien dit en ayant le chèque de paie entre les mains.

Ta vie a été sous ce schéma jusqu’au début de ta vingtaine. Ce n’est pas l’alcool, la drogue ou le sexe qui a eu raison de toi, ce fut ton besoin de rébellion. Tu ne voulais plus te faire marcher, tu n’en pouvais plus. Tu devais retrouver le contrôle de ta vie, quitter ce monde qui t’avait volé toute ton enfance. Tu n’as jamais été sur un banc d’école, tu as été scolarisée dans tes loges ou dans tes caravanes de tournée. Ton unique véritable amie était le fils de la meilleure amie de ta mère. Dan. Dan, il était souvent avec vous. Il était celui qui te soutenait, celui qui te faisait sentir normale l’espace de quelques heures. Celui qui t’a poussé vers la porte, qui t’a conseillé de tout laisser tomber si c’est que tu souhaitais. Tu le voyais avoir sa vie en main, faire les études de ses rêves pour devenir médecin, ce qu’il voulait faire depuis gamin… Alors que toi, on ne t’avait jamais demandé ce que tu aurais voulu faire si tu avais eu le choix. Dan a été la première personne à le faire, la première personne à savoir que tu voulais être pompier. Tu ne savais même pas d’où ça te venait exactement, c’était tellement à l’opposé de tout ce que tu étais. Pourtant, c’est ce qui faisait briller ton regard. Alors Dan t’a dit d’y aller. Tu n’aurais jamais cru saisir cette main aussi fort. Tu as tout envoyé balader. Tout. Du jour au lendemain, tu as envoyé bouler tout le monde et tu es partie. Même toi, tu ne te souviens pas exactement de tout ce qui s’est passé. Tu as quitté le plateau de tournage en hurlant et en pleurant pour disparaître « pour toujours ». Personne n’a réussi à t’y faire remettre les pieds et à finir ton contrat, tout a été annulé. Au plus grand désarrois de ton père qui a vu des millions s’envoler.

Pendant trois mois, tu n’as donné aucune nouvelle. Tu regrettes l’inquiétude que tu as causé à ta mère, de lui avoir caché tout ce que tu ressentais. Tu sais que les choses auraient été différentes si elle avait su. Aujourd’hui, elle est l’unique lien que tu as gardé avec ta famille. Tu as tout brisé. Une guerre a éclaté entre tes parents. Ta mère t’a défendu corps et âme et ton père est parti avec ton petit frère. Et on t’a tellement monté la tête qu’aujourd’hui, tu les détestes tous les deux. Tu ne pourrais pas dire exactement pourquoi tu en veux autant à ton petit frère, tu n’en as aucune idée, mais tu ne lui as jamais reparlé. Tu as brisé le lien, tu as tout détruit. Tu as quitté Los Angeles pour le Maine, et contre toute attente, Dan t’y a rejoint. Il a aussi tout quitté pour toi et il a été ton pilier dans tous les moments majeurs de ta vie à partir de là. Il t’a protégé contre le monde.

Lorsque les choses se sont un peu calmées pour toi, tu es rentrée dans ce que tu appelles « ton second enfer ». Une chanteuse chez les pompiers ? Ouf… Tu as dû travailler trois voire quatre fois plus fort que les autres pour seulement te faire accepter. Tu as subi toutes les remarques, toutes les insultes, tu as donné tout ce que tu avais pour venir à bout de ton camp, pour prendre ta place, pour faire oublier qui tu avais été « avant ». Tu t’es battue pour grimper chaque échelon et pour être acceptée dans ta caserne. Tu t’es également battue pour la cause des femmes chez les pompiers. Et malgré tout, tu as tenu bon. Tu es devenue lieutenant de ta caserne. Tout d’abord dans l’équipe B avant d’obtenir ta place dans l’équipe A. Ensuite, tu es devenue le capitaine de cette caserne pendant plus d’une décennie, tu l’as mené d’une main de maître, tu l’as forgé à ta sauce. Franchement, tu avais toujours cru que c’est là-bas que tu finirais ta carrière, que tu avais atteint le plus haut échelon que tu pouvais. Tu n’aurais jamais cru que c’est toi qu’on pourrait approcher pour devenir le bras droit du chef des pompiers. Tu n’aurais jamais cru que ce poste, plus loin de l’action, pourrait te plaire. Pourtant, ton ami et collègue des dernières années te voulait toi comme seconde. Et tu as accepté. À contrecœur encore aujourd’hui. Tes équipes te manquent, mais tu ne feras pas reculer la cause des femmes de ce métier. Devenir cheffe des pompiers ? Non jamais. Ça n’avait pas été ton ambition, ce ne l’est toujours pas et pourtant, le poste vient de te tomber dessus. Mai 2024. Un incendie majeur dans un entrepôt, tout le monde a été contraint d’intervenir et personne n’aurait pu se douter que ça tournerait si mal. Ce jour-là, tu as perdu ton excellent ami et patron. Les pompiers ont perdu leur pilier et tu n’as même pas eu le temps de faire ton deuil que tu te retrouves aujourd’hui à sa place. Et tu n’aimes pas particulièrement qu’on te voit comme la remplaçante de cet excellent pompier. Tu es beaucoup plus que ça. Tu te retrouves aujourd’hui à encore devoir te battre pour faire tes preuves. Et même si une partie de toi est fatiguée de se battre, la plus grande partie n’abandonnera jamais.

Quand on te regarde, on pourrait croire que ta vie est gouvernée par ton travail, que c’est tout ce qui compte. Oh non, pas une seule seconde. À côté de ta famille, ton travail ce n’est rien. Ton travail a complètement disparu de ton esprit le jour où ton cœur a commencé à battre pour cette magnifique rousse qui est passée à l’appartement que tu occupais avec ton meilleur ami. Tous les deux étudiants en médecine, c’est comme cela que tu l’as rencontré. C’est comme cela que tu as découvert le véritable amour. Tu avais eu des amourettes avant. Des amourettes de star, pour les caméras. Ça n’avait rien à voir avec ça. Erika, elle a bouleversé ta vie et elle la bouleverse encore aujourd’hui. Tu as su que c’était avec elle que tu voulais faire ta vie. Ce fut une certitude pour toi. Tu l’as accepté à part entière et elle a fait de même pour toi. Elle est devenue ton univers. Ton univers qui t’a offert un mini-univers à vous. Miah. Les procédures ont été longues pour vous et vous avez tout donné pour cet enfant qui allait changer votre vie à tout jamais. Vous avez fermé les yeux sur toutes les remarques de votre entourage. Sur le fait que vos métiers ne pouvaient pas fonctionner avec le fait d’avoir une famille. Vous vouliez un enfant. Point. Le reste, vous alliez vous débrouiller. Ta mère t’a beaucoup aidé, elle vit à quelques rues et elle est très présente dans ta vie. Erika, Miah et ta mère sont les femmes de ta vie. Celles pour qui tu pourrais tout donner. Tu as soutenu ta fille dans chacune de ses décisions. Tu ne voulais pas être seulement une mère pour elle, tu voulais être une amie, qu’elle puisse te faire confiance dans toutes les circonstances. Tu es pour elle, la mère que tu aurais voulue pendant ton enfance et ton adolescence. Et tu travailles beaucoup sur toi pour garder ton côté surprotecteur avec toi. Pour la laisser vivre ses expériences. Pour la laisser quitter l’énorme papier-bulle dans lequel tu aurais voulu la voir passer toute sa vie.

La vie est une garce. Ça tu le dis haut et fort. Elle ne s’acharne pas sur les bonnes personnes. Elle vous pousse à vous battre constamment. Et c’est un tout nouveau combat que vous allez traverser avec Erika. Quand cette dernière t’a annoncé son cancer, tu as senti une partie de ton monde s’effondrer. Devant elle, tu garderas toujours la face, tu vas te battre avec elle de te toutes tes forces, tu vas l’accompagner dans chaque épreuve, chaque rendez-vous. Tu seras toujours là. Mais dès que tu te retrouves seule avec tes pensées parfois sombres, tu pleures comme tu n’as jamais pleuré avant. Le pire te fait peur et réveille chez toi des angoisses que tu pensais enfui depuis ton adolescence.